Juges

Chapitre 9

Abimélec, ou l’usurpation de l’autorité

Ce chapitre nous fait entrer dans une phase si attristante du déclin qu’elle semble, au premier abord, ne plus contenir même un lieu de refuge pour la foi. Nous avons vu, au chap. 8, l’assemblée d’Israël, désirant conférer l’autorité à son conducteur; ici, un loup usurpe la place du Berger et s’empare du troupeau pour le dévorer.

C’est l’autorité arbitraire du méchant esclave qui se met à battre, en l’absence du maître, ceux qui sont esclaves avec lui, et qui mange et boit avec les ivrognes (Matt. 24:48-49). Cela rappelle, en un mot, le principe du clergé dans la maison de Dieu et ses funestes envahissements. Le misérable Abimélec n’est point un juge; il cherche une position plus élevée encore: il se fait proclamer roi (v. 6) et prend, au milieu du peuple, le titre des gouverneurs des nations. Se posant ouvertement en dominateur (v. 2), il agit à l’opposé d’un juge suscité de Dieu (cf. 8:23). Pour usurper cette place, il met en jeu des ressorts purement humains. Par les frères de sa mère, concubine de Gédéon, il séduit les hommes de Sichem au nom de la fraternité. Ceux-ci prennent confiance en ce traître; leur état moral est si bas, qu’ils oublient jusqu’au lien qui les unit à tout Israël et disent d’Abimélec: «Il est notre frère». La fraternité a perdu pour eux son vrai sens et n’est plus qu’un nom destiné à caractériser un parti.

L’influence de cet homme s’étaye du trésor tiré de la maison des faux dieux. L’usurpateur fait appel à la bourse du peuple et ne méprise pas l’origine impure de ses biens. Cet argent sert à accomplir l’œuvre du diable. Le trésor de Baal a remplacé la force de l’Éternel et fournit à l’usurpateur le moyen de persécuter et de retrancher la postérité de la foi, la famille de Dieu (v. 5). Un seul, Jotham, le plus jeune de tous les fils de Gédéon, pauvre être sans conséquence, s’échappe et réussit à se cacher.

Abimélec a gain de cause; le mauvais esprit triomphe, mais ne sera jamais un esprit de paix entre les hommes. Déchirures intestines, perfidies, luttes d’influence, vendanges qui produisent la joie de l’ivresse, ivresse qui profère des malédictions, ambition de Gaal, conseils d’Ébed, astuce de Zebul, violence d’Abimélec, voilà ce qui s’agite dans le camp d’Israël, quand le témoignage de Dieu l’a quitté. C’est une scène de deuil, de carnage et de haine. Mais l’Éternel, dans sa grâce, jette un rayon de lumière au milieu de ces ténèbres. Il ne se laisse pas sans témoignage; nous pouvons le répéter avec confiance en traversant des temps difficiles. Et quand il ne resterait plus, comme ici, qu’un seul témoin de Dieu dans ce monde, soyons ce seul témoin, ce Jotham méprisé, le dernier de tous, mais qui tient ferme pour Dieu. Préservé par la bonté providentielle de l’Éternel, il «se tient sur le sommet de la montagne de Garizim» (v. 7). Moïse avait ordonné jadis que six tribus se tinssent sur le mont Ébal pour maudire, et six, pour bénir, sur Garizim. Josué, lorsque le peuple fut entré en Canaan, s’était souvenu de cette ordonnance, mais dès lors Israël avait moralement choisi Ébal, l’endroit de la malédiction. Jotham a choisi Garizim, l’endroit de la bénédiction, et s’y tient seul. Témoin de Dieu vis-à-vis d’un peuple tout entier, il élève sa voix, prononce son apologue à leurs oreilles, et proclame la bénédiction de la foi et les suites de l’infidélité du peuple. Jotham est, dans sa personne, le représentant des bénédictions du vrai Israël de Dieu, lui, faible et persécuté, mais qui pouvait jouir de la faveur de Dieu et lui rendre témoignage, en portant du fruit à sa gloire.

Dans son récit, trois arbres refusent d’aller s’agiter pour les autres arbres. Ils représentent, selon la Parole, les divers caractères d’Israël sous la bénédiction de l’Éternel. L’olivier dit: «Laisserais-je ma graisse, par laquelle on honore par moi Dieu et les hommes, et irais-je m’agiter pour les arbres?» (v. 9). L’huile correspond à l’onction et à la puissance de l’Esprit Saint par laquelle Dieu et les hommes sont honorés. L’Israël de Dieu ne pouvait réaliser cette puissance spirituelle qu’en se séparant entièrement des nations et de leurs principes. Ces dernières établissaient des rois sur elles (1 Sam. 8:5), tandis que l’Éternel était le seul dominateur du peuple fidèle. Le figuier dit: «Laisserais-je ma douceur et mon bon fruit, et irais-je m’agiter pour les arbres?» (v. 11) car Israël ne pouvait porter du fruit que dans la séparation des nations. La vigne dit: «Laisserais-je mon moût, qui réjouit Dieu et les hommes, et irais-je m’agiter pour les arbres?» (v. 13). Le moût, c’est la joie qui se trouve dans la communion mutuelle des hommes avec Dieu.

Cette jouissance, la plus haute qui se pût désirer, était perdue pour Israël, quand il s’accommodait à l’esprit et aux mœurs des nations.

Quelle leçon pour nous, chrétiens! Le monde, pour l’Église, correspond aux nations d’autrefois. Si nous obéissons à ses appels, nous abandonnons notre huile, notre fruit, notre moût, c‘est-à-dire notre puissance spirituelle, les œuvres que Dieu nous a préparées, et la joie de la communion. Oh! puissions-nous répondre à toutes les invitations du monde: Laisserais-je ce qui fait mon bonheur et ma force, pour des agitations stériles, ou pour satisfaire les convoitises et les ambitions du cœur des hommes? Jotham apprécie, comme son père Gédéon (8:23), ces trésors de l’Israël de Dieu, et il se met à part sur Garizim. Il garde sa position bénie; en présence de tout ce peuple apostat, il est le vrai, le dernier rejeton de la foi, le seul témoin de Dieu. Quel honneur pour le jeune et faible fils de Jerubbaal! Repoussé de tous, son sort est le seul digne d’envie, car seul il glorifie Dieu dans ce triste monde. Soyons comme lui, séparés du mal. Nous y goûterons tous les produits des arbres de Dieu. Celui qui a joui de ces choses s’écrie: Les laisserais-je?

Le moment arrive où Jotham, ayant montré au peuple sa folie et prédit son jugement, s’échappe et s’enfuit (v. 21). Il quitte l’assemblée d’Israël et l’abandonne au châtiment qui déjà se tient à la porte. Jotham alla à Beër et y habita. «C’est là le puits au sujet duquel l’Éternel dit à Moïse: Assemble le peuple, et je leur donnerai de l’eau», et que célébra le cantique d’Israël (Nomb. 21:16-18). C’est ainsi qu’au milieu de la chrétienté déjà mûre pour le jugement, les témoins fidèles se retirent à Beër, lieu du vrai rassemblement et des sources d’eau vive, lieu des cantiques et des louanges.