Habakuk

Henri Rossier

Chapitre 1er

Sainteté des voies de Dieu envers Israël et envers les nations.

Verset 1er — Introduction.

«L’oracle qu’a vu Habakuk, le prophète.»

Tout nous sert d’enseignement dans les Écritures, soit qu’elles parlent, soit qu’elles gardent le silence. Elles se taisent sur la personne d’Habakuk et sur la date de sa prophétie. Les recherches minutieuses des critiques ont abouti aux conclusions les plus contradictoires quant au temps où le prophète écrivit. Lorsque les données de la Parole sont assez claires pour nous permettre de situer la prophétie dans le milieu où elle s’est produite, nous en recevons beaucoup de lumière et d’édification; quand Dieu ne parle pas, les recherches des savants, tout intéressantes qu’elles soient, ont pour le chrétien une valeur très restreinte.

D’après certains indices il serait pourtant assez probable que Habakuk prophétisa sous le règne de Josias. Deux circonstances pourraient nous confirmer dans cette pensée. D’abord l’idolâtrie d’Israël n’est pas mentionnée dans Habakuk, ensuite le Chaldéen (non pas l’Assyrien, comme sous Manassé) y est signalé comme l’ennemi du peuple.

Quoi qu’il en soit, la portée morale de ce livre ressort d’autant plus fortement que l’Esprit de Dieu omet les circonstances de sa production. En effet, Habakuk ne révèle que fort peu les événements prophétiques, mais décrit le caractère de Dieu dans ses voies à l’égard de l’état moral du peuple et des nations. Il nous fait connaître ensuite le résultat produit par cette révélation sur le cœur du prophète. Ce dernier devient ainsi comme un échantillon de l’état moral du Résidu au temps de la fin. Tout cela est d’un grand intérêt et d’une haute portée pour nous. Le champ des circonstances historiques étant supprimé, nous nous trouvons d’emblée avoir affaire à des principes qui régissent aussi bien les hommes d’aujourd’hui que ceux d’alors. En présence de ces principes, les voies parfaites de Dieu dans son gouvernement et la sainteté de son caractère sont justifiées et, en contemplant ces choses, les fidèles ne peuvent qu’en adorer la perfection divine.

L’état moral au milieu duquel vit Habakuk est le suivant: En Israël tout un cortège de vices, sans qu’il soit fait mention de l’idolâtrie, comme en Sophonie; chez son ennemi, le Chaldéen, une idolâtrie grossière, mais dominée par l’exaltation de l’homme; chez le prophète, un esprit indigné et un cœur affligé, mais éclairé par l’enseignement divin. Il apprend à vivre de sa foi en attendant la gloire future, mais déborde en louanges avant d’avoir reçu les choses promises.

Nous l’avons dit, l’analogie entre les jours d’Habakuk et les nôtres est frappante et, par là, sa prophétie acquiert pour nous une immense importance. Cette remarque est confirmée par le fait que, dans le Nouveau Testament, les citations de ce prophète appuient et illustrent toute la doctrine de l’apôtre Paul sur la justice de Dieu, la foi, la vie, la résurrection de Christ, et sa venue, la colère de Dieu révélée du ciel, et enfin la gloire! Le mystère de l’Église, caché dans l’Ancien Testament, est seul excepté de cette énumération.

Ainsi s’affirme l’accord constant entre les diverses parties de la parole de Dieu. Elles forment un tout, un ensemble sur lequel nous avons insisté autre part. L’étude constante de cet accord préservera les chrétiens d’ajouter foi aux savants critiques, adversaires de la Parole sans la comprendre, hommes dépourvus de sens, qui croient pouvoir interpréter l’Écriture avec leur intelligence, et dont Dieu lui-même déclare: «Je détruirai la sagesse des sages et j’annulerai l’intelligence des intelligents.»

 

Versets 2 à 11 — Dieu n’est pas indifférent à l’iniquité de son peuple. Il le jugera par les Chaldéens.

«Jusques à quand, Éternel, crierai-je, et tu n’entendras pas? Je crie à toi: Violence! et tu ne sauves pas. Pourquoi me fais-tu voir l’iniquité, et contemples-tu l’oppression? La dévastation et la violence sont devant moi, et il y a contestation, et la discorde s’élève. C’est pourquoi la loi reste impuissante, et le juste jugement ne vient jamais au jour; car le méchant cerne le juste; c’est pourquoi le jugement sort perverti» (v. 2-4).

Notons, dès ces premiers versets, un caractère spécial d’Habakuk parmi les petits prophètes. Michée nous a fait assister à un entretien, par demandes et réponses, entre l’Éternel, son prophète et divers autres interlocuteurs, entretien qui se termine par un plaidoyer où l’accusé comparaît devant ses juges. Dans Nahum, l’Éternel seul s’adresse, à tour de rôle, aux divers personnages qui sont en cause. Ici, nous assistons à un entretien tout intime entre le prophète et son Dieu. Habakuk parle à l’Éternel et celui-ci lui répond. Il y a de l’analogie, sous ce rapport, entre lui et Jérémie, mais tout le drame se passe dans le cœur et la conscience du prophète; et aucun incident personnel ne vient l’interrompre, comme dans le cours de la prophétie de Jérémie. L’angoisse l’étreint à la vue de ce qui se passe, mais les circonstances elles-mêmes ne semblent pas l’atteindre personnellement. Elles soulèvent chez lui des questions si angoissantes, qu’il sent le besoin d’épancher son cœur dans le sein de l’Éternel, pour être délivré du trouble profond qu’elles lui causent. Habakuk est un homme de foi et son premier mot: «Jusques à quand», le prouve, mais sa foi a besoin d’être soutenue et éclairée. Elle est mêlée d’infirmité, aussi trouve-t-elle une réponse miséricordieuse, car Dieu reprend l’incrédulité, mais non l’infirmité de notre nature humaine. Notre infirmité rencontre la sympathie de Celui qui a été tenté en toutes choses comme nous, à part le péché (Héb. 4:15), seulement chez nous, le péché y est toujours plus ou moins mêlé. L’apôtre lui-même pouvait prendre plaisir dans ses infirmités et s’en glorifier, dans la mesure où elles n’étaient pas mélangées avec la chair (2 Cor. 12:9, 10), car le Seigneur y trouvait, en les infligeant, un moyen d’accomplir sa puissance dans son apôtre bien-aimé.

Le mot «Jusques à quand» est, comme nous le voyons si souvent dans les prophètes et dans les Psaumes, le cri de la foi. Cette foi exprime la certitude que Dieu répondra en temps et lieu, mais, en attendant, elle accepte la tribulation comme une épreuve nécessaire. Ce sera le cri du Résidu d’Israël affligé, traversant la grande tribulation de la fin, avec la certitude qu’elle est le dernier mot des jugements de Dieu et qu’elle prépare l’avènement glorieux du Messie, un règne de liberté, de justice et de paix. Il en est toutefois un peu autrement ici. Si le prophète est un témoin, séparé du peuple, il ne souffre pas personnellement de la violence comme le Résidu, mais y assiste et la constate. L’idolâtrie d’Israël n’est pas ici en cause, mais plutôt ce qui a caractérisé, dès le début de son histoire, l’homme dépravé par le péché (Gen. 6:11), la violence, avec son cortège d’iniquité, d’oppression, de dévastation, de discorde et de contestations parmi le peuple (v. 2, 3). De nos jours, comme aux jours du prophète, tout cœur, soucieux des intérêts du Seigneur, est à même de constater ces choses. Elles sont «devant nous» comme pour Habakuk. Ce qui en augmente l’angoisse, c’est que nous les voyons se produire, comme jadis, au milieu de ceux qui ont encore la prétention d’être le peuple de Dieu, en un temps où l’Éternel les a déjà abandonnés. Alors, si notre âme, comme celle du prophète, n’a pas encore appris pourquoi Dieu laisse subsister tout ce mal sans y mettre fin, nous crions: «Pourquoi me fais-tu voir l’iniquité?» et: «Comment peux-tu contempler l’oppression?» En parlant ainsi nous oublions deux choses, constatées par le prophète Nahum (1:3, 7): «L’Éternel est lent à la colère»; «L’Éternel est bon». Nous crions à lui: «Je crie à toi: Violence! et tu ne sauves pas». Nous voudrions voir Dieu intervenir, en présence d’un état moral que nous savons lui être en abomination. Au fond il y a toujours un certain égoïsme dans cette infirmité, quoiqu’elle soit aussi l’expression de notre amour pour les fidèles qui traversent ces temps désastreux!

«Tu ne sauves pas!» Il s’agit ici, non pas d’un salut spirituel, mais d’une délivrance temporelle. L’âme angoissée voudrait voir la paix rétablie, les violents jugés et supprimés. La violence est là, sous nos yeux, et Dieu ne répond pas! Je le répète, ce n’est pas manque de foi, mais c’est le cri d’angoisse d’une âme peu affermie, se trouvant en présence d’un problème, jusqu’ici insoluble pour elle. Pourquoi Dieu permet-il le mal? Comment semble-t-il oublier les siens, sans défense au milieu de tout cet appareil de la méchanceté de l’homme? Le prophète va recevoir la réponse, mais différente de celle qu’il aurait imaginée. Il lui faudra passer par un temps d’instruction douloureuse, mais très bénie pour son âme, avant d’avoir compris ce que Dieu veut produire dans le cœur des siens qui traversent ces jours d’épreuve.

«C’est pourquoi la loi reste impuissante», la loi, donnée autrefois par l’Éternel lui-même, et qui était destinée à briser la volonté de l’homme. «Le juste jugement» que l’homme aurait dû apprendre à pratiquer sous l’égide de la loi, ne vient jamais au jour; bien au contraire, «le méchant cerne le juste». Remarquez ce mot: «le juste». Nous allons le retrouver au chap. 2. Le prophète a conscience de son intégrité, comme plus tard le Résidu d’Israël quand il traversera les jugements de la fin, mais il n’a pas encore reçu la réponse et ne voit pas la victoire du mal sur le bien. Il adresse à Dieu ses «Pourquoi», mais il ne les poserait pas, s’il n’avait confiance que Dieu lui répondra. Comment se fait-il que «le jugement ne vienne jamais au jour», et que, s’il sort enfin, c’est le contraire de ce qu’une âme pieuse et droite pourrait attendre: il «sort perverti», et le fidèle, où qu’il se tourne, ne rencontre qu’injustice et iniquité.

L’Éternel va répondre à cette question, mais, en attendant, le juste ne fait que constater ce que Dieu a constaté de tout temps, dès l’apparition du péché. En dehors de ceux qui sont justifiés par la foi, il n’y a pas dans le monde un seul juste. S’il s’agit du caractère national d’Israël, la Parole nous apprend que, sous le règne de Roboam, il y avait encore «en Juda de bonnes choses» (2 Chron. 12:12); que, sous le règne d’Ézéchias, Juda, tout coupable qu’il eût été, «marchait encore avec Dieu et avec les vrais saints» (Osée 12:1); mais il n’en fut plus ainsi sous les règnes suivants. Sous celui de Josias nous apprenons par le prophète Sophonie ce que Dieu pensait de la «nation sans honte», de la ville «rebelle, corrompue et qui opprime», de ses princes, de ses juges, de ses prophètes, de ses sacrificateurs (Soph. 2:1; 3:1-4). Il en est de même ici: l’état moral d’Israël, à la fin de son histoire, n’était pas meilleur que celui de l’homme, au commencement de son histoire. Cet état n’avait au fond jamais changé réellement. Les critiques qui concluent de la description donnée ici, qu’elle ne peut appartenir qu’à l’état du peuple sous un mauvais règne, comme celui de Manassé, se trompent donc entièrement.

S’il s’agit des rois, chefs responsables d’Israël, Dieu faisait dépendre la bénédiction du peuple de leur conduite. C’est ainsi que l’on voit, sous certains règnes des rois de Juda, le mal refréné, la justice établie, la piété envers Dieu reconnue, le service du temple restauré, sans que pour cela le cœur de la nation soit changé. D’autre part, le gouvernement d’un mauvais roi aggravait encore ce fâcheux état moral en introduisant ou favorisant une idolâtrie éhontée à laquelle le cœur perverti du peuple s’adonnait immédiatement. Le passage que nous venons de citer peut donc nous reporter à quelque règne que ce soit, plus probablement peut-être à celui de Josias, l’idolâtrie d’Israël n’étant pas même mentionnée ici1.

1 Voir encore pour l’état du peuple: Michée 7:2, 3; Jér. 5:15-29 7:5, 6; 20:8.

«Voyez parmi les nations, et regardez, et soyez stupéfaits; car je ferai en vos jours une œuvre que vous ne croirez pas, si elle vous est racontée» (v. 5).

Nous trouvons ici la réponse à la question du prophète, réponse qui ne s’adresse pas à lui, mais aux méchants dont il s’est plaint. Ces méchants sont invités à «voir parmi les nations» et à considérer avec stupeur comment l’Éternel rétribuera leurs méfaits. À ce moment l’Assyrien n’est pas encore détruit, mais l’Éternel va susciter les Chaldéens. À cette puissance il asservira les autres peuples, mais, avant tout, le peuple de Dieu. Ce dernier aurait pu croire que, délivré du joug de l’Assyrien, il en aurait fini avec l’oppresseur; mais, au contraire, il allait tomber sous un joug bien autrement lourd et cruel, et, jugement plus terrible encore, l’Éternel allait ôter le pouvoir à Israël et le confier pour la première fois à Babylone, «tête d’or» de la monarchie des Gentils. Tel était le sort qui attendait ce peuple méchant, mais c’était en même temps la réponse au cri du prophète: «Je crie à toi: Violence! et tu ne sauves pas». L’Éternel répond, en montrant à son serviteur que s’il ne sauve pas le juste de la violence des méchants, c’est que le châtiment est près de tomber sur eux. Israël succombera, lui et son pays, sous les coups de Babylone, puis sera réduit en esclavage.

Mais le Saint Esprit donne à cette prophétie une portée beaucoup plus étendue, comme nous le voyons au chapitre 13 des Actes. Arrivé avec Barnabas à Antioche de Pisidie, Paul y fait un discours dans la synagogue, et son contenu, si l’on y prend bien garde, a pour texte cette parole même de notre prophète. Là où il n’y avait «pas de salut», et où le prophète disait: «Tu ne sauves pas», Dieu avait suscité à Israël comme Sauveur, un Jésus mort et ressuscité. La parole de ce salut était envoyée à ceux même qui avaient rejeté Christ. Eux tous entendaient cette parole, et ceux d’entre eux qui craignaient Dieu, étaient appelés à la recevoir (Actes 13:23, 26). Le peuple n’avait pas connu Jésus, ni les voix des prophètes qui l’annonçaient; bien plus, il avait jugé son Messie, accomplissant ainsi ce que Habakuk avait dit d’eux: «Le jugement sort perverti» (1:4). Alors l’apôtre leur applique la parole «des prophètes» et particulièrement de notre prophète, mais il la cite et la commente en rapport avec l’état de ceux auxquels il s’adresse: «Voyez, contempteurs, et étonnez-vous, et soyez anéantis; car moi, je fais une œuvre en vos jours, une œuvre que vous ne croiriez point, si quelqu’un vous la racontait» (13:41). Ils n’avaient plus à «voir parmi les nations», car depuis longtemps les Chaldéens avaient été remplacés par d’autres puissances, puis par Rome, la dernière de toutes. Depuis les jours d’Habakuk, le joug des nations avait pesé sur le peuple; lors de la prédication de Paul, Israël était asservi à la quatrième monarchie gentile. Aussi l’apôtre ne dit-il pas, comme notre prophète: «Je ferai une œuvre en vos jours». L’œuvre, Dieu la faisait, et cette œuvre n’était pas le jugement. Le grand salut était annoncé, d’abord aux Juifs et, s’ils le méprisaient, s’ils étaient des «contempteurs», l’apôtre se tournerait vers les nations. Ce seraient alors celles-ci qui regarderaient parmi les Juifs et verraient le jugement de ce peuple pour avoir refusé la grâce en Jésus. C’est ce qui arriva dans cette même ville d’Antioche, où les Juifs, ayant rejeté le salut de Dieu en Christ, se jugèrent eux-mêmes indignes de la vie éternelle. Les apôtres «secouèrent contre eux la poussière de leurs pieds et s’en vinrent à Iconium» (v. 46, 51).

Ainsi, selon Paul, l’Évangile était la réponse à la plainte du prophète: «Tu ne sauves pas». C’était le salut quand le peuple avait mérité le jugement; mais, s’il méprisait la grâce, un jugement bien plus terrible que la captivité de Babylone, que même le joug des Romains, lui était réservé: la destruction de Jérusalem et la dispersion définitive des Juifs parmi les nations.

Nous avons ici un exemple de l’usage que Dieu fait de sa propre Parole, et nous en trouverons d’autres dans le courant de cette étude. Dieu tire, de ce fonds inépuisable, des vérités cachées aux yeux des hommes et les met en lumière, des vérités qui proclament la grâce quand le monde ne pouvait attendre que le jugement. Mais que devra être ce jugement si l’homme rejette résolument la grâce?

Il est important de remarquer ici, comme du reste quand il s’agit de l’interprétation de toute la prophétie, que le jugement prochain par les Chaldéens préfigure un jugement futur dont il est comme le prélude et que la délivrance temporelle est devenue, dans l’enseignement de l’apôtre, l’image du salut éternel.

«Car voici, je suscite les Chaldéens, la nation cruelle et impétueuse, qui marche par la largeur de la terre pour prendre possession de domiciles qui ne lui appartiennent pas. Elle est formidable et terrible; son jugement et sa dignité, procèdent d’elle-même» (v. 6, 7).

L’Éternel a soin de faire comprendre à son prophète qu’en suscitant les Chaldéens, ce n’est pas qu’il ait découvert en eux des qualités morales quelconques. Bien au contraire, c’est une nation cruelle, et comment Dieu pourrait-il l’approuver? Ils sont impétueux, attaquent les premiers, marchent par la largeur de la terre, envahissent le monde et prennent possession de domiciles qui ne leur appartiennent pas. Cette soif de s’emparer du territoire d’autrui et de se l’annexer, diffère-t-elle de ce que nous voyons aujourd’hui? Non, mais les Chaldéens sont la verge de Dieu et son châtiment sur Israël aussi bien que sur les nations. «Voyez parmi les nations», avait dit l’Éternel. Ce torrent débordant qui s’avance à travers le monde, cette vague diluvienne des jugements de Dieu doit atteindre Israël, mais, avant de l’engloutir, formidable et terrible, elle balayera tout sur son passage. Il y a là de quoi remplir les cœurs d’effroi.

«Son jugement et sa dignité procèdent d’elle-même.» Sa propre volonté constitue ce que le Chaldéen appelle son droit; il en est de même de sa dignité. Il ne tient pas compte de celle des autres, mais estime avoir, par lui-même, une dignité qui l’élève au-dessus d’eux. Son bon plaisir et son orgueil sans limite le dirigent. N’avons-nous pas, sous les yeux, des exemples pareils? Le croyant pourrait désirer que cet orgueil fût abattu, mais Dieu lui dit: Ne vois-tu pas que ces jugements proviennent de moi et que, tout en commençant par les nations qui t’environnent, ils te sont destinés?

Vient ensuite la description vivante et effrayante de la puissance chaldéenne: «Ses chevaux sont plus rapides que les léopards, plus agiles que les loups du soir; et ses cavaliers s’élancent fièrement, et ses cavaliers viennent de loin: ils volent comme l’aigle se hâte pour dévorer. Ils viennent tous pour la violence; leurs faces sont toutes ensemble tournées en avant; ils rassemblent les captifs comme le sable. Et il se moque des rois, et les princes lui sont une risée; il se rit de toutes les forteresses: il entassera de la poussière et les prendra» (v. 8-10). Jérémie a des traits semblables et souvent les mêmes expressions (voyez 4:13; 5:6, etc.). L’Assyrien et le Chaldéen ont des caractères communs, mais, chez le premier nous trouvons, semble-t-il, une organisation moindre pour l’envahissement et le carnage: leur rapidité, leur agilité est comme celle d’une bande de loups affamés, s’avançant à pas pressés, sans bruit; leurs yeux allumés brillent dans les ténèbres, ils sont certains d’atteindre leur proie. Au moment précis, voici l’élan des cavaliers, venant de loin, rapides comme les aigles; l’attaque furibonde, telle qu’elle nous est déjà apparue dans le prophète Nahum (2:3, 4; 3:1-3). «Ils viennent tous pour la violence». Le prophète, consterné de l’état du peuple, criait à l’Éternel: «Violence!» Dieu lui montre que cette violence trouvera sa juste rétribution dans la violence de Babylone. «Il rassemble les captifs comme le sable et se rit de toutes les forteresses». N’avons-nous pas assisté de nos jours à de pareils spectacles? L’histoire se répète, disent les hommes pour se consoler. Sans doute, répondons-nous, mais parce que les caractères de l’homme pécheur se répétant à l’envi, bravent la sainteté de Dieu et lui portent défi. A-t-on vu, dans le passé, plus clairement qu’aujourd’hui, une puissance qui se rie de toutes les forteresses? Mais, quand la puissance de Babylone tombe à son tour, «ses rois et ses princes» sont une risée pour d’autres, comme les rois des nations l’avaient été pour elle.

«Alors il changera de pensée, et passera outre et péchera: cette puissance qu’il a, est devenue son dieu» (v. 11).

Il arrive un moment où le chef de la nation chaldéenne, celui qui est considéré par l’Éternel comme responsable de la mission judiciaire que Dieu lui a confiée, changera de pensée. Au lieu de se considérer comme un instrument, il dépassera sa mission et péchera. Ce n’est pas qu’il n’eût péché mille fois auparavant par sa cruauté, son orgueil et son idolâtrie, mais, à un moment donné, ses propres forces prendront pour lui la place de Dieu. La puissance que l’Éternel a mise entre ses mains est devenue son dieu. Il a le culte de la force, de sa force. C’est en elle qu’il se confie, à elle qu’il rend hommage. Ce chef de l’empire chaldéen ne reste pas isolé. Dans l’histoire des derniers temps, le successeur direct de Babylone, la Bête romaine «guérie de sa plaie mortelle» n’aura pas d’autre religion que celle-là. C’est cette religion que la philosophie d’un Nietsche préconise et que les chefs militaires du jour proclament. Il sera beaucoup moins question, dans l’histoire finale de l’humanité, de l’idolâtrie grossière, que de l’adoration de l’homme dont le monde fera son idole. Les idolâtres d’autrefois adoraient, dans ses attributs de puissance, d’amour, de justice, un Dieu inconnu, auquel leur imagination prêtait une forme humaine ou animale; l’idolâtrie future adorera l’homme dans l’idole. Cette tendance se montra de bonne heure dans l’histoire des empires (Dan. 3:6, 7, 11) et atteignit, dans le passé, son point culminant dans la déification des empereurs romains. Mais l’homme déifié ne peut lui-même se passer d’un dieu. L’Antichrist qui se fait adorer comme Dieu, sera l’adorateur des forces que Satan lui aura asservies (Dan. 11:38).

 

Versets 12, 13 — Le prophète justifie le caractère de son Dieu et ses voies envers Israël.

«Toi, n’es-tu pas de toute ancienneté, Éternel, mon Dieu, mon Saint? Nous ne mourrons pas! Ô Éternel, tu l’as établi pour le jugement, et tu l’as fondé, ô Rocher, pour châtier. Tu as les yeux trop purs pour voir le mal, et tu ne peux contempler l’oppression» (v. 12, 13).

Bien que la parole de Dieu n’annonce que des jugements (v. 5-10) le cœur du prophète déborde de reconnaissance envers l’Éternel. La communication divine lui donne l’assurance que Dieu est son Dieu, son Saint, un Dieu qui est en rapport avec lui, homme faible, infirme, ignorant, si peu familier, tout prophète qu’il soit, avec Ses pensées secrètes. Ce Dieu est «le Dieu de toute ancienneté», et par conséquent Celui des promesses faites à Israël. Il prend Habakuk, représentant de Son peuple, sous sa protection; Il s’est donné à son prophète, et c’est à Lui que le prophète appartient. Quel privilège, quand l’âme peut parler à Dieu avec une telle intimité! Et combien il est plus grand encore pour nous qui connaissons un Dieu pleinement révélé en Christ et pouvons dire: Mon Père, mon Seigneur, mon Sauveur!

«Nous ne mourrons pas!» Comment douter, quand on connaît personnellement un tel Dieu, que la vie, une vie éternelle nous appartienne? Habakuk n’ayant pas, comme nous, la révélation complète de la «parole de vie» ne peut aller aussi loin que nous, mais il sait que le peuple de Dieu «ne mourra point», que le châtiment divin qui l’atteint ne se terminera pas par son anéantissement. Il a reçu la réponse à son premier «pourquoi» et comprend maintenant ce qui, pour lui, était un mystère: Si le Chaldéen est «établi» et «fondé», c’est en vue du jugement et du châtiment, conséquence de la violence et de l’iniquité du peuple. Il a été suscité pour cela, mais cela prouve que le Rocher des siècles, la «pierre d’Israël» n’a pas abandonné son peuple pour toujours. Quand un père châtie son enfant, ce n’est pas pour le tuer, mais afin de le former d’après son propre caractère. Dieu agit de même envers nous, afin que nous ayons part à sa sainteté. Pensée réconfortante entre toutes! Dieu nous reconnaît quand il nous châtie, et nous châtie parce qu’il nous reconnaît comme ses enfants. Mais il est impossible qu’il consente à envisager le mal sans s’en occuper; il doit le rejeter; ses yeux sont trop purs pour le voir. «Pourquoi me fais-tu voir l’iniquité et contemples-tu l’oppression?» avait dit le prophète au v. 3. Il a maintenant appris que si Dieu lui a «fait voir l’iniquité» (et comment sans cela apprendrait-il à la juger?) Dieu ne peut la souffrir en sa présence, que ses yeux ne s’accommodent que de ce qui est parfaitement pur, ne peuvent s’arrêter que sur le bien parfait. C’est sur ce dernier, en effet, que ses regards se reposent avec un bon plaisir indicible: il a rencontré ici-bas, au sein de circonstances qui n’étaient que ténèbres, péché et souillure, un homme abaissé au dernier point, mais parfait dans cet abaissement, et c’est en lui que son amour a trouvé ses délices. Le prophète apprend aussi, en réponse à sa question: «Pourquoi contemples-tu l’oppression?» (v. 3), que Dieu «ne peut contempler l’oppression» (v. 13). Quel aveuglement s’était donc emparé, même d’un prophète, pour que, ayant affaire au gouvernement de Dieu, il fût incapable de comprendre cette énigme? Ah! c’est que, pour la comprendre, il faut connaître Dieu! Contempler le mal ne nous fait jamais connaître le caractère de Dieu, contempler Dieu nous instruit sur le vrai caractère du mal.

 

Versets 13-17 — Dieu sera-t-il indifférent à l’iniquité de l’ennemi?

Ce que le prophète venait d’apprendre avait réveillé ses chaudes sympathies pour son peuple. Au commencement il n’était occupé que de l’affreux état dans lequel ce dernier était plongé; maintenant il comprend l’intérêt que Dieu porte à Israël, en même temps qu’il a été enseigné quant aux principes du gouvernement de Dieu à l’égard de ce peuple. Mais jouissant de la communion avec son Dieu, comme nous l’avons vu au v. 12, il s’enhardit à faire une autre question, à dire un second «Pourquoi». «Pourquoi contemples-tu ceux qui agissent perfidement, et gardes-tu le silence quand le méchant engloutit celui qui est plus juste que lui?» (v. 13). Si tu ne peux «contempler l’oppression», voici, néanmoins, que tu contemples, sans t’en émouvoir, celui qui agit perfidement; voici que, loin d’intervenir, tu sembles être indifférent au mal qui atteint ton peuple, lequel, tout coupable qu’il soit, est plus juste que ses ennemis. En effet, il y avait en Israël, au milieu de beaucoup de mal, certaines «choses bonnes», que n’avaient pas les nations environnantes, et telles qu’on en voyait sous le règne de Josias, choses dont Habakuk était un exemple vivant. Sous ce rapport, Israël était plus juste que ses adversaires. Le prophète désire connaître aussi cette énigme. Si Dieu reconnaît quelque bien chez ceux que le méchant opprime, pourquoi favorise-t-il le méchant dans ses entreprises? Toutefois, avant de recevoir la réponse divine, le prophète comprend une chose: «Tu rends aussi les hommes comme les poissons de la mer, comme la bête rampante qui n’a personne qui la gouverne» (v. 14). Si Dieu a confié un gouvernement aux hommes, il a le droit de les en priver entièrement — comme il en prive les poissons de la mer et les bêtes innombrables qui rampent sur le sol, et de les livrer en proie à celui dans les mains duquel il place le pouvoir. Il allait en être ainsi des nations conquises par Babylone; et le même sort devait atteindre Israël, organisé jadis sous le gouvernement de Dieu et qui, ayant abandonné l’Éternel, allait être laissé sans roi, sans prince et sans ressource contre l’ennemi (Ésaïe 63:19; Osée 3:14).

«Il les fait tous monter avec l’hameçon; il les tire dans son filet, et les rassemble dans son rets; c’est pourquoi il se réjouit et s’égaie: c’est pourquoi il sacrifie à son filet, et brûle de l’encens à son rets, parce que, par leur moyen, sa portion est grasse et sa nourriture succulente» (v. 15, 16). Le prophète continue à comprendre une partie de ce qui va arriver. Il est en communion avec la pensée de Dieu exprimée au v. 11: «Cette puissance qu’il a, est devenue son Dieu». Il voit que l’adversaire s’est servi de la puissance qui lui a été confiée, pour faire de son filet et de son rets une idole, et qu’il invoque pour les adorer, les instruments de ses victoires. Nous pouvons bien nous demander si, sous une autre forme, les choses sont différentes aujourd’hui? Et, s’il en est ainsi, «videra-t-il pour cela son filet, et égorgera-t-il toujours les nations, sans épargner?» Dieu supportera-t-il cet emploi profane et idolâtre de la force, et l’oppression des nations durera-t-elle à toujours?

Les deux grandes questions posées par le prophète sont donc celles du gouvernement de Dieu envers son peuple et de ce même gouvernement envers le monde. Dans le Nouveau Testament, la première et la seconde épître de Pierre y répondent.

Ces questions du prophète dénotent beaucoup d’intimité avec Dieu, en même temps qu’un aveu d’ignorance et un grand désir d’être enseigné par Lui. Il pressent déjà, mais va bientôt réaliser pleinement, que, pour connaître les voies de Dieu, il suffit de le connaître Lui-même. Sans cette connaissance de sa personne, ce qui arrive dans le monde restera toujours pour nous à l’état d’énigme indéchiffrable.