Genèse

Chapitre 14

Nous avons vu, dans ce chapitre, l’histoire de la révolte de cinq rois contre Kedor-Laomer et de la bataille qui en fut la suite. Le Saint Esprit peut s’occuper des mouvements des «rois et de leurs armées», quand ces mouvements touchent en quelque manière au peuple de Dieu. Abram n’était pas personnellement impliqué dans cette révolte et dans ses conséquences: sa tente et son autel ne risquaient pas de donner lieu à une déclaration de guerre, ni d’avoir à souffrir de l’explosion ou de l’issue de cette guerre. La part de l’homme céleste ne peut jamais exciter la convoitise ou l’ambition des rois ou des conquérants de ce monde.

Mais si Abram n’était pas intéressé dans la bataille de «quatre rois contre cinq», il n’en était pas de même de Lot, car celui-ci se trouvait, par sa position, enveloppé dans toute cette affaire. Aussi longtemps que, par la grâce, nous marcherons dans le sentier de la foi, nous serons placés en dehors des circonstances qui affectent ce monde; mais si nous abandonnons notre position sainte et céleste de «bourgeois des cieux» (Phil. 3:20), et que nous recherchions un nom, une place et une part sur la terre, nous devons nous attendre à participer aux convulsions et aux vicissitudes de ce monde. Lot s’était établi dans les plaines de Sodome, et fut par conséquent profondément affecté par les guerres de Sodome. Quel témoignage Lot pouvait-il rendre dans Sodome? Un témoignage bien faible tout au plus! Le fait même qu’il s’était établi dans ce lieu avait donné le coup de mort à son témoignage. S’il eût seulement prononcé une parole contre Sodome et son train, il se fût condamné lui-même, car pourquoi y était-il entré? Mais il ne paraît pas, d’après ce que nous lisons dans l’Écriture, qu’en dressant ses tentes «jusqu’à Sodome», Lot ait eu, en aucune manière, pour but de rendre témoignage à Dieu. Des intérêts personnels et de famille semblent avoir été le mobile déterminant de sa conduite; et, bien que l’apôtre Pierre nous dise que «Lot tourmentait de jour en jour son âme juste à cause de leurs actions iniques», toujours est-il dit que Lot n’a pu avoir que peu de force pour combattre cette méchanceté, alors même qu’il eût été disposé à le faire.

À un point de vue pratique, il est important de remarquer que nous ne pouvons être gouvernés par deux objets à la fois. Je ne peux pas avoir pour but, en même temps, mes intérêts temporels, et ceux de l’Évangile de Christ. Rien n’empêche, sans doute, que je me propose de vaquer à mes affaires, et de prêcher aussi l’Évangile; mais il est clair que l’une ou l’autre de ces choses sera mon objet. Paul prêchait l’Évangile tout en faisant des tentes; mais c’était l’Évangile, non la fabrication des tentes, qui était son but. Si j’ai mes affaires en vue, ma prédication ne sera qu’une œuvre de formalisme sans fruits; si même elle n’est pas un prétexte pour sanctifier ma cupidité. Notre cœur est perfide et nous trompe souvent d’une manière étonnante, quand nous désirons atteindre un but particulier. Il nous fournit les raisons les plus plausibles pour faire ce que nous désirons, tandis que les yeux de notre entendement, obscurcis par des intérêts personnels, ou par une volonté non jugée, sont incapables de discerner la nature de ces prétextes. Combien ne rencontre-t-on pas de personnes qui, pour se maintenir dans une position qu’elles reconnaissent être fausse, s’appuient sur ce que cette position leur procure un cercle d’activité plus étendu! «Écouter est meilleur que sacrifice, prêter l’oreille meilleur que la graisse des béliers» (1 Sam. 15:22), telle est la seule réponse de Dieu à tous ces raisonnements. L’histoire d’Abram et de Lot ne prouve-t-elle pas suffisamment que le moyen le plus sûr et le plus efficace de servir le monde, c’est d’être fidèle envers lui, en se séparant de lui et en témoignant contre lui?

Cependant, souvenons-nous-en, la vraie séparation du monde ne peut résulter que de la communion avec Dieu. Nous pourrions nous séparer du monde et faire de notre personne le centre de notre existence, comme un moine ou un philosophe cynique; mais la séparation pour Dieu est tout autre chose. L’une glace et dessèche, l’autre réchauffe et épanouit; l’une nous renferme en nous-mêmes, l’autre nous fait sortir de nous-mêmes et nous rend actifs dans l’amour pour les autres. L’une fait du «moi» et de ses intérêts notre centre, l’autre donne à Dieu la place qui lui appartient. Ainsi, pour Abram, nous voyons que le fait même de sa séparation le rendit capable de rendre un service efficace à celui qui, par sa marche mondaine, s’était trouvé impliqué dans la calamité: «Et Abram apprit que son frère avait été emmené captif, et il mit en campagne ses hommes exercés, trois cent dix-huit hommes, nés dans sa maison, et poursuivit les rois jusqu’à Dan… Et il ramena tout le bien, et ramena aussi Lot, son frère, et son bien, et aussi les femmes et le peuple» (versets 14-16). Après tout, Lot était le frère d’Abram, et l’amour fraternel doit agir. «Un frère est né pour la détresse» (Prov. 17:17 pv 17.17); et il arrive souvent que l’adversité amollit le cœur et le rend insensible à la bonté de ceux-mêmes dont nous avons dû nous séparer. Il est digne de remarque également que, tandis que nous lisons au verset 12: «Ils prirent aussi Lot, fils du frère d’Abram», le verset 14 dit: «Et Abram apprit que son frère avait été emmené captif». L’affection d’un cœur de frère répond aux besoins d’un frère dans l’adversité. Ceci est divin. Bien que la vraie foi nous rende toujours indépendants, elle ne nous rend jamais indifférents; elle ne s’enveloppe jamais tranquillement de chauds vêtements, pendant qu’un frère souffre du froid. La foi fait trois choses: elle «purifie le cœur» (Actes 15:9 ac 15.6-12); elle «opère par l’amour» (Gal. 5:6 gl 5.5-6); elle «est victorieuse du monde» (1 Jean 5:4 1j 5.2-5); et ces trois résultats de la foi apparaissent dans toute leur beauté, en Abram. Son cœur était purifié des souillures de Sodome; il montra une vraie affection pour Lot, son frère; et, finalement, il remporta une victoire complète sur les rois. Tels sont les fruits de la foi, ce principe céleste qui glorifie Christ.

Toutefois, celui qui marche par la foi n’est pas à l’abri des assauts de l’ennemi; souvent, de nouvelles tentations viennent l’assaillir immédiatement après une victoire. C’est ce qui arrive à Abram. «Et comme il s’en revenait après avoir frappé Kedor-Laomer et les rois qui étaient avec lui, le roi de Sodome sortit à sa rencontre» (v. 17). Cette démarche cachait évidemment un perfide dessein. «Le roi de Sodome» représente une pensée et une phase de la puissance de l’ennemi bien différentes de celles que nous voyons en «Kedor-Laomer et les rois qui étaient avec lui» Le premier nous fait entendre comme le sifflement du serpent, ceux-ci comme le mugissement du lion; mais, soit qu’Abram ait affaire au serpent, ou soit qu’il ait affaire au lion, la grâce du Seigneur lui suffit; et cette grâce agit en faveur du serviteur de Dieu au moment même du besoin. «Et Melchisédec, roi de Salem, fit apporter du pain et du vin, (or il était sacrificateur du Dieu Très-Haut); et il le bénit, et dit: Béni soit Abram de par le Dieu Très-Haut, possesseur des cieux et de la terre! et béni soit le Dieu Très-Haut, qui a livré tes ennemis entre tes mains!» (v. 18-20). Nous avons à remarquer ici, en premier lieu, le moment auquel Melchisédec entre en scène et, en second lieu, le double effet de son ministère. Ce n’est pas pendant qu’Abram est à la poursuite de Kedor-Laomer que Melchisédec vient à sa rencontre; mais bien quand le roi de Sodome est à la poursuite d’Abram; ce qui fait, moralement, une très grande différence. Pour entrer dans une lutte d’un caractère plus sérieux que celle dont il venait de sortir, Abram avait besoin d’une communion avec Dieu plus profonde aussi dans son caractère.

Le «pain et le vin» de Melchisédec restaurèrent l’âme d’Abram, après sa lutte avec Kedor-Laomer; tandis que la bénédiction fortifia son cœur pour la lutte qu’il allait avoir à soutenir contre le roi de Sodome. Bien que victorieux, Abram était à la veille d’avoir à combattre; c’est pourquoi le sacrificateur royal restaure l’âme du vainqueur et fortifie le cœur du combattant. On éprouve une douce joie à considérer avec attention la manière dont Melchisédec présente Dieu à l’esprit d’Abram. Il l’appelle «le Dieu Très-Haut, possesseur des cieux et de la terre»; puis il déclare qu’Abram est «béni» de la part de ce même Dieu. C’est une puissante préparation pour la rencontre avec le roi de Sodome. Un homme «béni» de Dieu n’avait pas besoin de ce que l’ennemi pouvait lui offrir; et si «le possesseur du ciel et de la terre» occupait ses pensées, «les biens» de Sodome ne pouvaient avoir que peu d’attrait pour lui. Aussi, comme on peut s’y attendre, quand le roi de Sodome lui fait cette proposition: «Donne-moi les personnes, et prends les biens pour toi», Abram lui répond: «J’ai levé ma main vers l’Éternel, le Dieu Très-Haut, possesseur des cieux et de la terre: si, depuis un fil jusqu’à une courroie de sandale, oui, si, de tout ce qui est à toi, je prends quoi que ce soit, afin que tu ne dises pas: Moi, j’ai enrichi Abram!» Abram refuse d’être enrichi par le roi de Sodome. Comment aurait-il pu songer à délivrer Lot de la puissance du monde, si lui-même avait été gouverné par ce monde? Je ne puis délivrer mon prochain qu’autant que je suis libre moi-même; aussi longtemps que je suis moi-même dans le feu, il est impossible que j’en retire un autre. Le chemin de la séparation pour Dieu est le chemin de la puissance, comme il est aussi le chemin de la paix et du bonheur.

Le monde, sous toutes ses formes diverses, est le grand instrument dont Satan se sert pour affaiblir les mains et aliéner les affections des serviteurs de Christ; mais, que Dieu en soit béni, quand le cœur est droit envers lui, il vient toujours réjouir, encourager et fortifier au moment convenable. «Les yeux de l’Éternel parcourent toute la terre, afin qu’il se montre fort, en faveur de ceux qui sont d’un cœur parfait envers lui» (2 Chr. 16:9). Il y a là une vérité encourageante pour nos pauvres cœurs tremblants et craintifs, si nous désirons résister «au monde, à la chair et à Satan». Christ sera notre force et notre bouclier; il «enseigne mes mains pour le combat, mes doigts pour la bataille» (Ps. 144:1). Il «a couvert ma tête, au jour des armes» (Ps. 140:8), et finalement «Il brisera bientôt Satan sous nos pieds» (Rom. 16:20). Puisse donc le Seigneur garder nos cœurs dans l’intégrité envers lui, au milieu de la scène qui nous environne