Galates

Henri Rossier

Introduction

Si l’on demandait à ceux que ce sujet préoccupe, combien le monde contient de religions, ils en dresseraient sans doute une liste fort longue, à partir de toutes les déviations de la Révélation primitive pour aboutir enfin à la religion juive et au christianisme. Mais, de fait, il n’y a jamais eu dans le monde que deux religions et ces deux religions sont en opposition directe l’une avec l’autre. La première est la religion de la chair, la seconde la religion de l’Esprit, ce don de Dieu à la foi en un salut gratuit. La première de ces religions est aussi vieille sur la terre que le péché de l’homme, la seconde aussi ancienne que la Rédemption, ce qui fait qu’on les trouve toutes deux à l’origine de notre histoire. Dès le début elles sont personnifiées dans les actes de deux hommes, Caïn et Abel. Il nous suffit de les considérer un moment pour découvrir les caractères de leurs religions et voir qu’elles sont inconciliables. Commençons par Caïn:

Sa religion, celle de la chair, offre trois traits distinctifs. 1° Elle prétend que l’homme tombé est capable d’acquérir une justice qui le fasse agréer de Dieu. Elle pense qu’en faisant le bien, car elle ne doute pas que l’homme, malgré la chute, ne soit capable de le faire, il pourra être reçu et reconnu de Dieu comme juste. Notons immédiatement que ce principe ignore deux choses: La justice de Dieu qui doit nécessairement condamner le pécheur, et la justice de Dieu qui lui est offerte en Christ pour le justifier.

2° Le second trait distinctif de la religion de la chair est qu’elle ignore totalement l’état de ruine de l’homme, comme il est aisé de s’en assurer par le premier trait dont nous avons parlé. Elle cherche du bien dans l’homme pour le présenter à Dieu. Pour elle, l’homme est pécheur, sans doute; bien fou qui le nierait, mais il n’est pas irrévocablement perdu; car un objet perdu, il faut en convenir, ne peut servir à quoi que ce soit.

3° Le troisième trait distinctif de la religion de la chair est qu’elle ignore l’état du monde. Elle ne sait pas que le monde est aux yeux de Dieu une chose maudite qui n’a plus à faire ses preuves et sur laquelle son jugement définitif est déjà prononcé.

Ces trois ignorances: de Dieu, de l’homme et du monde se rencontrent en Caïn. Lui, injuste, pense que Dieu doit avoir égard à son offrande et le recevoir, sur un pied de justice, en vertu de ses sérieux efforts. Lui, séparé de Dieu par le péché, a assez de confiance en lui-même pour se présenter devant Dieu avec les résultats de son travail. Lui, maudit, vient apporter à Dieu les fruits d’un sol maudit, comme si ce monde pouvait être devant Dieu ce qu’il était avant la chute.

En contraste avec la religion de Caïn nous trouvons celle d’Abel qui n’a aucun trait commun avec la première. Elle n’est basée ni sur l’homme qu’elle estime pécheur et perdu, ni sur l’énergie et les ressources qu’il peut offrir, mais sur un sacrifice fourni jadis par Dieu lui-même pour en revêtir l’homme et la femme coupables (Gen. 3:21), sur la grâce qui le présente, sur la foi qui en saisit la valeur, qui l’offre à Dieu et permet au pécheur de s’approcher de Lui comme étant pleinement justifié de tout péché. Voilà ce qui est à la base de la religion de l’Esprit qui se meut dans les choses invisibles, seule base reconnue de Dieu; l’homme, ni la chair n’y ayant aucune part quelconque, comme l’épître que nous désirons considérer nous le prouve surabondamment, sans que nous ayons besoin de nous y étendre davantage.

Mais, direz-vous, entre ces deux contrastes absolus, n’y a-t-il pas lieu d’introduire un troisième élément qui les concilie? La religion de la chair, Dieu ne l’a-t-il pas sanctionnée en donnant la loi au peuple d’Israël? Il est vrai que Dieu a donné une religion à l’homme dans la chair, mais dans quel but? Précisément pour mettre en pleine lumière ce que c’est que la chair de l’homme, placée dans les meilleures conditions de culture possibles. Jamais la ruine de l’homme n’aurait été prouvée, jamais son incapacité à acquérir une justice devant Dieu n’aurait été démontrée, jamais la foi comme seul moyen d’être justifié n’aurait été établie, jamais n’aurait été manifesté l’état désespéré de l’homme et du monde qui, après avoir enfreint la loi a définitivement rejeté Christ, seul moyen de salut, jamais la nécessité de naître et d’être vivifié par l’Esprit, la chair ne servant de rien (Jean 3:5; 6:63) n’auraient été proclamées, si la loi n’avait pas été donnée.

La loi était parfaite, sainte, bonne, divine dans sa nature, juste dans toutes ses exigences; — il n’y avait pas une trace de péché en elle, mais la chair de l’homme à qui elle était donnée la rendait parfaitement inutile comme moyen de venir à Dieu et d’acquérir une justice devant Lui. Elle était «faible par la chair». La loi est donc donnée, non comme règle à la chair, mais pour lui fermer la bouche, pour que tout le monde soit «coupable devant Dieu», pour apporter à l’homme la connaissance du péché et le rendre infiniment pécheur, pour produire la colère, pour faire mourir; en un mot pour tuer le vieil homme et non pour le sauver. Or c’était l’immense vérité qu’il s’agissait de prouver et qui ne pouvait l’être par aucun autre moyen qu’en plaçant l’homme sous la loi. Voilà pourquoi la loi ne suppose pas à priori l’homme perdu; elle vient le prouver; — ni l’homme incapable d’une justice; elle lui apporte le moyen de montrer cette capacité s’il la possède: «Fais cela et tu vivras». Voilà aussi pourquoi elle ne dévoile pas d’emblée l’état du monde. Cet état ne peut être prouvé que par la longue histoire de l’état d’un peuple légal, en présence de tous les appels de Dieu et finalement en présence d’un Sauveur.

Nous venons de voir la simple religion de la chair en Caïn, puis la loi, la religion de Dieu donnée à la chair dans le peuple juif. Mais il reste encore une troisième forme de la religion de la chair, un véritable chef-d’œuvre de Satan pour tromper l’homme, religion dont l’épître aux Galates nous entretient tout du long. Le piège dans lequel les Galates étaient en train de tomber et qui les avait déjà partiellement atteints, était le commencement de cette nouvelle forme de la religion de la chair qui depuis s’est développée sous le nom de chrétienté. Lors de leur conversion, les Galates, comme tous les croyants sous la grâce, avaient reçu l’Esprit en vertu de la foi: «Auquel ayant cru», est-il dit, «vous avez été scellés du Saint Esprit de la promesse» (Éph. 1:13). Leur religion n’était donc pas la religion de la chair, mais celle de l’Esprit. Ils avaient été délivrés de l’esclavage du péché pour être introduits dans la pleine liberté des enfants de Dieu. Ils avaient reçu, par la foi, Christ comme leur Sauveur. Ils étaient sauvés par la grâce. La foi en Christ avait été leur point de départ pour entrer dans tous leurs privilèges. Ils étaient enfants de Dieu jouissant de la liberté de la grâce et la gloire de leur Sauveur leur était assurée pour l’avenir. Mais cette scène si belle et si simple avait bientôt changé. Des docteurs judaïsants, adversaires acharnés d’une grâce sans mélange, étaient venus leur enseigner qu’ils devaient ajouter quelque chose à ce qu’ils avaient reçu par le ministère de l’apôtre Paul. Ces assemblées, sorties des nations, se doutaient bien peu que c’était la religion de la chair qu’on venait leur proposer d’ajouter à la religion de l’Esprit. «Vous qui avez commencé par l’Esprit», dit l’apôtre, «finirez-vous par la chair?» Ces docteurs judaïsants ne contestaient pas la grâce, mais parlaient de perfectionner le chrétien par la loi. C’était en même temps un moyen de rester attachés au vieil ordre de choses, de ne pas rompre avec la chair, de retenir la loi comme règle de vie et de ne pas tourner le dos au monde. La loi, donnée de Dieu, devenait l’instrument de Satan pour détourner le chrétien de Dieu et de Christ. Un peu d’observances cérémonielles c’était si peu! Les chrétiens d’entre les Juifs n’avaient-ils pas fait, ne faisaient-ils pas encore ces choses? Quelques fêtes? Où était le mal? La circoncision? N’était-ce pas une affaire de fraternité plus étroite, pour se rattacher plus intimement aux frères juifs? Ce n’était sans doute pas le: «rien à ajouter, rien à retrancher» qui caractérisait le christianisme des Colossiens et leur montrait que tout était en Christ et que Christ était tout, mais la différence était si insignifiante! Pourquoi perdre son temps à discuter ces choses?

De fait, ce mélange détruisait la base même du christianisme. Il devenait la base d’un système nouveau qui, après avoir rétabli le vieil homme, n’acceptait plus sa condamnation complète, ni la mort, ni la crucifixion de la chair, ni l’anéantissement de la justice humaine, ni la condamnation définitive du monde.

Ce système si modeste dans ses premières manifestations a fleuri depuis; il est la religion d’aujourd’hui; il l’abandonnera même bientôt pour verser dans l’incrédulité complète, car nous sommes à la veille de l’apostasie. Mais actuellement jamais on ne trouve dans les systèmes de religion humaine la fin des trois choses mentionnées au commencement de ces pages comme caractérisant la religion de la chair: la fin de l’homme et de sa justice, la fin de la chair et la fin du monde, car, quand il en a compris la portée, un chrétien fidèle ne peut faire autre chose qu’en sortir.

La religion de l’Esprit connaît ces choses et s’en sépare, car elle est basée sur une tout autre connaissance: «Si quelqu’un est en Christ, c’est une nouvelle création: les choses vieilles sont passées; toutes choses sont faites nouvelles». (2 Cor. 5:17). Voilà pourquoi toute notre épître, en plein accord avec l’épître aux Romains, est remplie de ces sujets: La justice divine; l’homme entièrement mis de côté; la loi sans force; le monde jugé; un nouvel, un second homme introduit, Christ, avec lequel le premier homme n’a aucun point de contact quelconque, sinon par ses besoins!

Si nous essayons de résumer ce que nous venons de dire, nous trouvons ces quatre vérités que l’Évangile nous présente:

1° La fin du vieil homme pour introduire le nouvel homme. C’est absolument définitif et complet. Devant Dieu il ne reste que le dernier.

2° La fin de la chair. Je suis crucifié. Il ne reste que l’Esprit comme ayant une valeur devant Dieu. «Ceux qui sont du Christ ont crucifié la chair avec les passions et les convoitises» (Gal. 5:24).

3° La fin de la loi, dans ce sens que ne s’adressant qu’à la chair pour la réprimer, elle n’a plus de raison d’être pour acquérir une justice: «Christ est fin de loi, en justice à tout croyant».

4° La fin du monde. Nous sommes retirés du présent siècle mauvais; mais le ciel et la gloire nous appartiennent avec Jésus (Gal. 6:14).

Or ne pas reconnaître ces vérités était l’abandon même du christianisme, et voilà pourquoi l’épître aux Galates est la seule qui ne débute par aucun témoignage d’affection, quoiqu’elle exprime les douleurs profondes d’un amour rempli d’angoisse et qui va jusqu’à mettre en doute la présence de la vie divine chez les Galates (4:19).