Esther

Chapitre 6

Voies secrètes de la Providence

C’est dans ce chapitre que paraît, d’une manière tout à fait remarquable, la providence secrète de Dieu en faveur de son peuple. Le monde appelle cela hasard, le croyant y voit Dieu et l’adore. S’il repasse avec reconnaissance les mille occasions de sa vie où, par des circonstances, en apparence fortuites, Dieu l’a préservé ou conduit à son insu, que sont ces secours individuels comparés à ce que nous voyons ici? Dieu étend sa protection sur un homme pour sauver tout un peuple, et délivre Mardochée pour qu’Israël puisse être délivré. Or, comme nous l’avons déjà vu, dans ce livre, si simple en apparence, et en réalité si plein de mystères, Mardochée est un type de Christ; mais n’oublions pas que Christ seul traversa la mort elle-même pour nous délivrer, car, tous étant morts, il devait mourir pour tous. Un Isaac ne va pas au-delà de la sentence de mort; un David est voué à la mort tous les jours, sous la pression de son ennemi; un Jonas est englouti vivant dans le ventre du poisson, et en ressort vivant, après avoir traversé la mort en figure; un Mardochée voit le gibet de 50 coudées sans y être jamais suspendu; et c’est ainsi seulement, qu’avec tant d’autres personnages typiques, Mardochée peut nous présenter une image de Christ. Christ seul a été pendu au bois, afin de porter nos péchés, d’être fait malédiction pour nous, de réunir en un les enfants de Dieu dispersés, de devenir le centre d’attraction pour tous les hommes. Cependant ces types illustrent d’une manière merveilleuse les pensées de Dieu et en éclairent les profondeurs. Bien autrement que Mardochée, Christ a traversé dans son âme à Gethsémané la tribulation d’Israël, sous la colère gouvernementale de Dieu; bien plus que lui, il a poussé le «cri grand et amer» vers Celui qui pouvait le tirer, lui et son peuple, des ténèbres de la mort; bien plus que lui, il a été exaucé à cause de sa piété. Mais, tout autre que Mardochée, ses relations bénies avec Dieu son Père n’ont jamais été interrompues. Sauf pendant les trois heures de ténèbres, elles sont toujours restées en leur entier. En Gethsémané même, Jésus, disait: Abba, Père, alors que dans l’angoisse du combat, il traversait par anticipation la tribulation de son peuple. Sur la croix, avant les heures sombres de l’abandon, il dit: «Père, pardonne-leur», et après ces heures, il dit: «Père, entre tes mains je remets mon esprit». C’est que, s’il traverse en Gethsémané la tribulation dans toute son intensité (voyez le Ps. 102), il le fait comme un Être saint, innocent, sans souillure, se substituant volontairement à son peuple, tandis que le résidu d’Israël la traversera comme conséquence de ses péchés individuels et collectifs. La tribulation morale, en Gethsémané, est l’acte d’un homme seul, se substituant prophétiquement en grâce au résidu futur, afin que ce dernier soit encouragé en apprenant que son Substitut a été délivré et qu’il y aura, par conséquent, une délivrance pour les siens. Mais en outre, la tribulation d’Israël est destinée, dans les voies de Dieu, à produire chez ce peuple la repentance. La foi de Mardochée réalise cela par le jeûne, le sac et la cendre, obscurément sans doute, car il ne peut sortir un instant de la position dans laquelle l’indignation de l’Éternel l’a placé, lui et sa nation; il n’ose même (nous ne parlons ici que de ce que nous trouvons dans le livre d’Esther) élever sa voix vers Dieu, comme Jésus le fit en Gethsémané.

Mais revenons au sujet principal de ce chapitre, aux voies mystérieuses de la providence de Dieu envers son peuple. Ici, les questions se pressent sur nos lèvres, et le résultat de ces événements est seul capable de nous donner la réponse. Le gibet est dressé pour Mardochée; le plan d’Haman, ourdi avec tant d’habileté, semble arrivé à une réussite certaine. Pourquoi, cette nuit même, le sommeil fuit-il le roi? Pourquoi, afin de soulager son insomnie, l’idée lui vient-elle de se faire lire le livre de ses Annales? Pourquoi le lecteur tombe-t-il sur le passage relatif à Mardochée? Pourquoi le roi s’enquiert-il des distinctions conférées à son sauveur? D’où vient sa question: «Qui est dans la cour?» Pourquoi Haman s’y trouve-t-il, à cet instant précis, venant solliciter de son maître l’exécution de Mardochée? Pourquoi, s’adressant à lui, le roi donne-t-il à sa question une tournure qui fait tomber son favori dans le piège? Pourquoi ce dernier est-il obligé de devenir lui-même le héraut de l’homme qu’il hait de toutes les forces de son âme?

C’est que, pour sauver le peuple, il fallait d’abord que Mardochée fût sauvé. À quoi pouvait servir désormais le gibet dressé, puisque Mardochée avait été reconnu publiquement comme celui que le souverain se plaisait à honorer. Il fallait qu’un seul homme (et encore ici, nous retrouvons en Mardochée le type si intéressant de Christ) devînt le libérateur du peuple; et, dans ce but, il fallait qu’après avoir été au dernier degré de l’humiliation, sous le sac et la cendre, il fût élevé à la dignité suprême, que la Toute-puissance le fît (en image) Seigneur et Christ. Cependant, tous les honneurs qui lui sont conférés n’empêchent pas Mardochée de garder sa place de serviteur; il revient «à la porte du roi» (v. 12). Bien différent, certes, d’Haman qui s’élevait dans son orgueil sans mesure, et voulait être servi par tous, Mardochée accomplit ici le type de Christ. Il est venu prendre la forme d’un serviteur, non pas, il est vrai, par contrainte comme Mardochée, mais librement en amour, venant s’assujettir, servir et laisser sa vie. Comme Mardochée, il fut exalté par anticipation sur la sainte montagne, et en redescendit pour reprendre immédiatement son service. Mais bien plus encore, après avoir subi la croix, il fut élevé à la droite du Père et de là, continuant son service, il lave les pieds de ses disciples; puis enfin, quand il sera pleinement reconnu de tous, il continuera encore à servir son peuple céleste et son peuple terrestre, «agréable à la multitude de ses frères» (10:3).

Les amis d’Haman, ses sages, sa femme elle-même, commencent à ouvrir les yeux: «Si Mardochée, devant lequel tu as commencé de tomber, est de la race des Juifs, tu ne l’emporteras pas sur lui, mais tu tomberas certainement devant lui» (v. 13). Où est leur sympathie pour celui qui se présente devant eux «triste et la tête couverte»? Eux qui lui avaient dit, le soir précédent: «Va-t’en joyeux», n’ont plus un mot de réconfort pour le méchant abattu. «Tu as commencé de tomber… tu tomberas certainement devant lui.» Amertume ajoutée à toutes ses amertumes, au moment où la tribulation l’atteint lui-même. Peut-on attendre autre chose de l’égoïsme des cœurs naturels? Pourvu que le mal ne les atteigne pas, que leur importe? Celui qui leur dispensait les faveurs ne peut plus rien pour eux. Pas un d’entre eux ne cherche même à lui suggérer un moyen d’échapper à son sort. Tout croule autour de lui. Sans appui au dehors, il n’a plus même au dedans celui de son orgueil. Il faut bon gré, mal gré, qu’il subisse son sort; car, dans ce moment même, «les eunuques du roi s’approchèrent et se hâtèrent de conduire Haman au festin qu’Esther avait préparé». Ah! cette parole: «Demain aussi, je suis invité chez elle avec le roi», se tourne contre lui; le soleil de sa gloire est obscurci; ce festin est la nuée, grosse d’orages, d’où la foudre tombera sur sa tête coupable!