Esther

Chapitre 4

La grande tribulation

La sentence de mort est prononcée. Le résidu de Juda et de Benjamin tout entier se trouve sous cette menace, à laquelle aucune loi humaine ne peut rien changer, car le décret est irrévocable1.

1 Comme nous l’avons dit plus haut, bien que, selon tout le plan de ce livre, qui forme un épisode typique de l’histoire du peuple captif, il ne soit pas parlé du peuple remonté en Judée, il n’est pas douteux qu’il ne doive être compris dans le massacre; car on le voit, en Esdras et Néhémie, en butte à la haine acharnée de ses ennemis.

Mardochée, les vêtements déchirés, couvert d’un sac et de cendre, parcourt la ville, donnant essor à sa désolation par un «cri grand et amer». Il n’a plus même entrée dans la porte du roi, car le deuil et les gémissements ne sont pas tolérés en sa présence. Partout, dans les provinces, deuil, jeûnes, pleurs, lamentations parmi les Juifs. Esther elle-même est dans une grande angoisse. Ne voyons-nous pas ici une faible image anticipée de la «grande tribulation» future, «telle qu’il n’y en a point eu depuis le commencement du monde jusqu’à maintenant, et qu’il n’y en aura jamais», en sorte que «nulle chair n’eût été sauvée, si ces jours n’avaient été abrégés»? (Matt. 24:21-22). Mais où trouver des ressources, quand il n’y en a aucune, et que tout accès auprès d’un Dieu justement irrité est intercepté? C’est ce qui constituera, en effet, cette tribulation sans exemple. Quand le chef des nations, indifférent au mal, livre le peuple aux mains de son ennemi acharné, sans cœur et sans scrupules, à qui recourir? Pas un rayon d’espoir!

Il en reste un cependant, mais des plus faibles; c’est qu’Esther «entre vers le roi, le supplie et fasse requête devant lui, en faveur de son peuple». Mardochée le lui commande; mais à quoi sert ce commandement quand l’accès, même auprès du roi est fermé? Esther charge son messager de faire connaître ce fait à Mardochée: «Tous les serviteurs du roi et le peuple des provinces du roi savent que pour quiconque, homme ou femme, entre auprès du roi, dans la cour intérieure, sans avoir été appelé, il existe une même loi prescrivant de le mettre à mort, à moins que le roi ne lui tende le sceptre d’or, pour qu’il vive; et moi, je n’ai pas été appelée à entrer vers le roi, ces trente jours» (v. 11). Si Esther paraît devant Assuérus sans y être invitée, et voici trente jours qu’il la néglige, elle sera mise à mort, à moins… faible ressource… à moins qu’il ne plaise au roi de lui tendre le sceptre d’or. Le seul moyen d’échapper est donc la grâce de celui qui est revêtu de l’autorité souveraine. Mais Esther peut-elle compter sur cette grâce? Nullement; tout dépend du bon plaisir du roi. Peut-on compter sur le bon plaisir de celui qui vient, avec un mot, de rayer tout un peuple de la terre des vivants? S’adresser à Dieu? Dieu se cache. S’humilier? Oui, certes, mener deuil, gémir, se lamenter, reconnaître le péché qui a amené le peuple, appelé jadis le peuple de Dieu, dans une telle extrémité. Mais encore, le cri grand et amer trouvera-t-il un écho? Ce temps de tribulation ne peut donc être terminé que par la parole de grâce, sortie de la bouche du souverain Juge. Mardochée le comprend: «Ne pense pas», dit-il, «en ton âme d’échapper, dans la maison du roi, plutôt que tous les Juifs»; si tu ne recherches pas le seul et unique moyen d’échapper, «si tu gardes le silence en ce temps-ci, le soulagement et la délivrance surgiront pour les Juifs d’autre part, mais toi et la maison de ton père vous périrez». Ici, on peut constater la foi de Mardochée: elle s’attache résolument à la délivrance, de quelque manière, de quelque côté qu’elle vienne. «Et qui sait si ce n’est pas pour un temps comme celui-ci que tu es parvenue à la royauté?» N’est-il pas possible que les voies secrètes et providentielles qui t’ont placée sur le trône eussent en vue ce temps de détresse? La réponse d’Esther à Mardochée montre sa sagesse, sa foi, son dévouement, son abnégation, son amour pour son peuple: «Va, rassemble tous les Juifs qui se trouvent à Suse, et jeûnez pour moi, et ne mangez ni ne buvez pendant trois jours, ni la nuit, ni le jour; moi aussi, et mes jeunes filles, nous jeûnerons de même; et ainsi, j’entrerai vers le roi, ce qui n’est pas selon, la loi; et si je péris, je périrai». La faible ressource d’une grâce possible, mais hérissée d’insurmontables difficultés, lui fait considérer «la loi» comme non avenue, et si elle ne rencontre pas la grâce, elle subira, s’il le faut, la mort sous le coup de la loi. Et comme Esther obéit au commandement de Mardochée, ce dernier agit maintenant selon tout le commandement d’Esther.

Merveilleuse scène, assurément! La tribulation fait naître dans les cœurs de ces croyants une communion parfaite et tous les sentiments de dévouement, d’abnégation, que Dieu peut approuver et reconnaître. Les voies de Dieu envers eux produisent chez ces affligés la foi, n’ayant de ressource que dans une grâce, incertaine encore, dont ils ne se sentent pas dignes. Mais, quoiqu’il en soit, «la foi est l’assurance des choses qu’on espère», et cette parole de Mardochée en est la preuve: «Le soulagement et la délivrance surgiront d’autre part». N’est-elle pas le pendant des mots: «Jusques à quand», répétés si souvent dans les Psaumes en pareille circonstance?

Mais tout cela amène à la conclusion qu’il faut maintenant qu’Esther se fasse connaître: la grande tribulation mettra en lumière le caractère du résidu juif. Jusqu’alors Esther était restée cachée; maintenant, dans l’épreuve, son origine va paraître au grand jour. Au moment où Dieu interviendra, la nation sera publiquement reconnue. Le témoignage de l’Épouse naît de la persécution, va briller dans tout son éclat, se produit dans la tribulation; mais il est basé sur la grâce.

L’heure va sonner enfin, où les nations ne diront plus: «Où est ton Dieu?»