Deutéronome

Chapitre 9

«Écoute, Israël: Tu passes aujourd’hui le Jourdain, pour entrer, pour posséder des nations plus grandes et plus fortes que toi, des villes grandes et murées jusqu’aux cieux, un peuple grand et de haute stature, les fils des Anakim, que tu connais et dont tu as entendu dire: Qui peut tenir devant les fils d’Anak?»

Ces paroles: «Écoute, Israël», sont comme la clef du livre que nous étudions, et en particulier de ces premiers discours qui nous ont occupés jusqu’ici, et le chapitre qu’elles ouvrent, présente, en effet, des sujets d’une fort grande importance.

Tout d’abord, le législateur met sous les yeux des enfants d’Israël, en termes solennels, ce qui les attend à leur entrée dans le pays. Il ne leur cache pas qu’ils auront à rencontrer de sérieuses difficultés et des ennemis redoutables. Ce n’était point qu’il voulût les décourager; son but était de les avertir et de les préparer. Nous verrons bientôt quelle devait être cette préparation, mais le fidèle serviteur de Dieu sentait qu’avant tout, il était absolument nécessaire de placer devant ses frères le véritable état des choses.

On peut envisager les difficultés de deux manières — au point de vue humain, ou au point de vue divin; avec un esprit d’incrédulité, ou bien avec le calme et la paix d’une entière confiance en Dieu. Nous avons un exemple de la première disposition d’esprit, dans le récit des espions incrédules, en Nomb. 13, et un exemple de la seconde au commencement du chapitre qui nous occupe maintenant.

Nier que le peuple de Dieu ait à rencontrer de nombreuses difficultés, ne serait pas de la foi, mais de la présomption, du fanatisme, ou le fruit d’un enthousiasme charnel. Il est toujours bon de savoir ce que l’on fait, et l’on ne doit pas se lancer aveuglément dans un chemin où l’on n’est pas préparé à entrer. Un paresseux incrédule dira: «Le grand lion est dans le chemin»; un aveugle enthousiaste s’écriera: «Non, il n’y a rien de semblable». L’homme de foi dira: «Quand même il y aurait des centaines de lions sur la route, Dieu est puissant pour les disperser».

Mais comme grand principe pratique et d’une application générale, il est de toute importance pour les enfants de Dieu, de considérer sérieusement et calmement toute ligne de conduite ou toute sphère d’action, avant de s’y engager. Si cela se faisait davantage, nous ne verrions pas autant de naufrages spirituels autour de nous. Que signifient ces paroles si solennelles adressées par le Seigneur aux multitudes qui l’entouraient? «Et se tournant, il leur dit: Si quelqu’un vient à moi, et ne hait pas son père, et sa mère, et sa femme, et ses enfants, et ses frères, et ses sœurs, et même aussi sa propre vie, il ne peut être mon disciple. Et quiconque ne porte pas sa croix, et ne vient pas après moi, ne peut être mon disciple. Car quel est celui d’entre vous qui, voulant bâtir une tour, ne s’asseye premièrement et ne calcule la dépense, pour voir s’il a de quoi l’achever? de peur que, en ayant jeté le fondement et n’ayant pu l’achever, tous ceux qui le voient ne se mettent à se moquer de lui, disant: Cet homme a commencé à bâtir, et il n’a pu achever» (Luc 14:26-30). Paroles bien propres à faire réfléchir! Combien de tours inachevées s’offrent à nos regards, quand nous contemplons le vaste champ de la profession chrétienne, — que d’occasions de moquerie pour le spectateur! Que de gens qui se font disciples, par une sorte d’impulsion subite, ou sous l’action d’une influence humaine, sans bien comprendre ni bien peser tout ce qu’implique leur détermination! Il s’en suit que quand les difficultés viennent à surgir, que les épreuves se présentent et que le sentier devient étroit, rude, solitaire, ils se détournent, prouvant par là qu’ils n’avaient jamais réellement calculé la dépense, jamais pris ce chemin selon la pensée de Dieu, jamais bien compris ce qu’ils faisaient.

De tels cas sont fort tristes. Ils font un grand tort à la cause de Christ, donnent à l’ennemi l’occasion de blasphémer, et tendent à décourager ceux qui ont à cœur la gloire de Dieu et le bien des âmes. Mieux vaudrait ne jamais entrer sur ce terrain que d’y entrer pour l’abandonner ensuite par incrédulité ou par un esprit de mondanité.

Nous pouvons ainsi comprendre la sagesse et l’utilité des paroles qui ouvrent notre chapitre. Moïse annonce fidèlement aux enfants d’Israël ce qui les attendait, non pas pour les décourager, mais afin de les préserver de la confiance en soi-même, qui laisse sans force au moment de l’épreuve, et de les engager à s’appuyer sur le Dieu vivant, qui ne manque jamais au cœur qui se confie en Lui.

«Et sache aujourd’hui que l’Éternel, ton Dieu, c’est lui qui passe devant toi, un feu consumant: c’est lui qui les détruira, et lui qui les abattra devant toi; et tu les déposséderas et tu les feras périr subitement, comme l’Éternel te l’a dit».

Voilà la solution divine de toutes les difficultés, quelque grandes qu’elles soient. Qu’étaient, devant l’Éternel, les nations puissantes, les villes murées, les grandes cités? Comme de la poussière balayée par le vent. «Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous?» Les choses mêmes qui effrayent et tourmentent le cœur timide, sont des occasions pour Dieu de déployer sa puissance, et de triomphe pour la foi. La foi dit: «Si Dieu est devant moi et avec moi, je puis aller partout». De sorte que la seule chose qui glorifie réellement Dieu, c’est la foi qui peut se confier en Lui, s’appuyer sur Lui et le louer; en même temps elle est la seule chose qui donne à l’homme la place qui lui convient, celle de complète dépendance de Dieu, place qui assure la victoire et produit la louange.

Mais n’oublions pas que, dans la victoire même, il y a un danger moral, — c’est celui de tomber dans l’orgueil, — piège terrible pour nous pauvres mortels. Dans la lutte, nous sentons notre complète impuissance, et il est bon pour nous que le moi et tout ce qui lui appartient soit entièrement abaissé, car nous trouvons alors Dieu dans toute la plénitude de ce qu’il est, pour nous donner une victoire sûre et certaine, et la louange en est le résultat.

Mais nos cœurs rusés et mauvais sont enclins à oublier d’où nous sont venues la force et la victoire. De là la valeur et l’à propos des paroles d’exhortation suivantes, adressées par le fidèle serviteur de Dieu aux cœurs et aux consciences de ses frères: «Ne parle pas en ton cœur (c’est toujours là que commence le mal), quand l’Éternel ton Dieu, les aura chassés de devant toi; disant: C’est à cause de ma justice que l’Éternel m’a fait entrer pour posséder ce pays. Mais c’est à cause de la méchanceté de ces nations que l’Éternel les dépossède devant toi».

Hélas! qu’il est terrible de penser que nous sommes capables de dire en nos cœurs des paroles comme celles-ci: «À cause de ma justice!» Oui, lecteur, nous en sommes tout aussi capables que les Israélites, vu que nous ne sommes pas meilleurs qu’eux, et les dangers ou les tentations contre lesquels l’Esprit de Dieu nous met en garde, ne sont pas imaginaires. Nous sommes vraiment capables de faire des dispensations de Dieu à notre égard, une occasion de propre justice. Au lieu de voir dans les délivrances qu’il nous accorde, un sujet d’actions de grâces, nous nous en servons pour nous glorifier nous-mêmes.

Pesons donc sérieusement les paroles d’exhortation que Moïse adresse au peuple; elles sont un souverain remède contre la propre justice, aussi naturelle à notre cœur qu’à celui d’Israël: «Ce n’est point à cause de ta justice, ni à cause de la droiture de ton cœur que tu entres pour posséder leur pays; car c’est à cause de la méchanceté de ces nations que l’Éternel, ton Dieu, les dépossède devant toi, et afin de ratifier la parole que l’Éternel a jurée à tes pères, à Abraham, à Isaac, et à Jacob. Et sache que ce n’est pas à cause de ta justice que l’Éternel, ton Dieu, te donne ce bon pays pour le posséder; car tu es un peuple de cou roide. Souviens-toi et n’oublie pas comment tu as excité à colère l’Éternel, ton Dieu, dans le désert: depuis le jour où tu es sorti du pays d’Égypte, jusqu’à votre arrivée en ce lieu, vous avez été rebelles contre l’Éternel» (vers. 5-7).

Nous trouvons dans ce paragraphe deux grands principes que nous avons besoin de bien saisir. Premièrement, Moïse rappelle au peuple que leur entrée en possession du pays de Canaan avait lieu en vertu de la promesse faite à leurs pères. C’était placer la chose sur un fondement que rien ne pouvait ébranler.

Quant aux sept nations, c’était à cause de leur méchanceté que Dieu, dans l’exercice de son juste gouvernement, allait les chasser. Tout propriétaire a le droit de mettre dehors de mauvais locataires; or les nations cananéennes non seulement n’avaient pas rendu à Dieu ce qu’elles lui devaient (voyez Rom. 1), mais elles avaient souillé le pays à tel point que Dieu ne pouvait plus les supporter, et c’est pourquoi il allait les chasser, sans que cela eût rapport à ceux qui viendraient après. L’iniquité des Amoréens était venue à son comble, et le jugement devait suivre son cours. Les hommes raisonnent sur le fait qu’un Être tout bon pût ordonner l’extermination de villes entières, avec leurs habitants; mais dans le gouvernement de Dieu, nous avons une réponse à tous ces arguments. Dieu sait ce qu’il doit faire, sans avoir à demander conseil à l’homme. Il avait supporté la méchanceté des sept nations jusqu’à ce qu’elle fût devenue intolérable; la terre elle-même ne pouvait plus l’endurer. Patienter plus longtemps aurait été sanctionner les plus honteuses abominations, et cela était moralement impossible. La gloire de Dieu exigeait l’expulsion des Cananéens.

Mais la gloire de Dieu demandait aussi que les descendants d’Abraham fussent mis en possession du pays, pour l’occuper à toujours comme le tenant du Dieu Tout-Puissant et Souverain, possesseur des cieux et de la terre. La possession du pays de la promesse par Israël et le maintien de la gloire divine étaient intimement liés ensemble. Dieu avait promis de donner la terre de Canaan à la postérité d’Abraham en possession éternelle. N’en avait-il pas le droit? Les incrédules mettront-ils en doute le droit de Dieu de faire ce que bon lui semble de ce qui est à Lui? Refuseront-ils au Créateur et gouverneur de l’univers un droit qu’ils réclament pour eux-mêmes? Le pays appartenait à l’Éternel; il l’avait donné à toujours à Abraham, son ami, et à sa postérité. Il ne pouvait manquer à sa promesse. Toutefois les Cananéens ne furent point troublés dans leur possession de la terre en question jusqu’à ce que leur méchanceté fût devenue absolument intolérable.

En second lieu, les Israélites n’avaient aucun motif de se vanter, comme Moïse le leur montre bien nettement, en leur rappelant les principaux traits de leur histoire d’Horeb à Kadès-Barnéa; — le veau d’or, les tables de l’alliance brisées, Tabhéra, Massa et Kibroth-Hattaava, et il termine par ces paroles bien propres à les humilier: «Vous avez été rebelles à l’Éternel depuis le jour que je vous ai connus».

C’était parler franchement au cœur et à la conscience. Moïse leur dévoile clairement et par des faits, ce qu’ils étaient, révélation humiliante! Il leur rappelle ainsi combien de fois ils avaient été près d’une ruine complète. Avec quelle force accablante les paroles suivantes devaient-elles frapper leurs oreilles: «Et l’Éternel me dit: Lève-toi, descends promptement d’ici, car ton peuple, que tu as fait sortir d’Égypte, s’est corrompu; ils se sont vite détournés du chemin que je leur avais commandé, ils se sont fait une image de fonte. Et l’Éternel me parla, disant: J’ai vu ce peuple, et voici, c’est un peuple de cou roide. Laisse-moi, et je les détruirai, et j’effacerai leur nom de dessous les cieux; et je ferai de toi une nation plus forte et plus nombreuse qu’eux» (vers. 12-14).

Paroles bien propres à abaisser leur vanité naturelle et leur propre justice; et combien leurs cœurs auraient dû être touchés quand Moïse leur rappelle ces mots sortis de la bouche de l’Éternel: «Laisse-moi, et je les détruirai!» Ils pouvaient voir par là combien ils avaient été près d’une entière destruction! Ils s’étaient peu doutés de tout ce qui s’était passé entre l’Éternel et Moïse, sur le sommet du mont Horeb! Ils avaient été au bord d’un affreux précipice; un instant encore et ils y tombaient. Ils avaient été sauvés par l’intercession de Moïse, de celui-là même qu’ils avaient accusé de s’arroger trop de droits sur eux. Oh comme ils s’étaient trompés et l’avaient mal jugé! L’homme même qu’ils avaient accusé de chercher à être prince sur eux, était celui qui avait refusé l’occasion que Dieu lui offrait de devenir le chef d’une nation plus puissante et plus grande qu’eux! Et, en outre, ce même homme avait ardemment supplié que s’ils n’étaient pas pardonnés et amenés dans le pays, son nom fut effacé du livre.

Qu’il est merveilleux de voir ce que Dieu produit dans le cœur de ses serviteurs! En repassant toutes les choses que Moïse leur rappelle, les Israélites pouvaient comprendre quelle insigne folie il y aurait eu à dire: «C’est à cause de ma justice que l’Éternel m’a fait entrer pour posséder ce pays». Comment ceux qui avaient fait une image de fonte auraient-ils pu parler ainsi? Ne devaient-ils pas plutôt reconnaître qu’ils ne valaient pas mieux que les nations qui allaient être chassées de devant eux? Car qui les avait fait être différents? Et à quoi devaient-ils d’avoir été délivrés d’Égypte, nourris dans le désert, et d’être bientôt introduits dans le pays de Canaan? Uniquement à la grâce souveraine de Dieu et à la stabilité éternelle de l’alliance faite avec leurs pères, «alliance bien ordonnée et assurée» (2 Sam. 23:5), alliance ratifiée et scellée par le sang de l’Agneau, en vertu duquel tout Israël sera encore sauvé et béni dans son propre pays.

Lisons maintenant les touchantes paroles par lesquelles se termine notre chapitre: «Et je me prosternai devant l’Éternel, les quarante jours et les quarante nuits pendant lesquels je me prosternai devant lui; car l’Éternel avait dit qu’il vous détruirait. Et je suppliai l’Éternel, et je dis Seigneur Éternel! ne détruis pas ton peuple, et ton héritage, que tu as racheté par ta grandeur, que tu as fait sortir d’Égypte à main forte! Souviens-toi de tes serviteurs, d’Abraham, d’Isaac, et de Jacob; ne regarde pas à la dureté de ce peuple, et à sa méchanceté, et à son péché; de peur qu’on ne dise dans le pays d’où tu nous as fait sortir: Parce que l’Éternel ne pouvait pas les faire entrer dans le pays qu’il leur avait promis, et parce qu’il les haïssait, il les a fait sortir pour les faire mourir dans le désert. Or ils sont ton peuple et ton héritage, que tu as fait sortir par ta grande puissance et par ton bras étendu».

Quelle puissante intercession pour Israël! Quelle abnégation à l’égard de lui-même! Moïse refuse l’honneur qui lui est offert de devenir le fondateur d’une nation plus grande et plus puissante qu’Israël. Son seul désir est que l’Éternel soit glorifié et Israël pardonné, béni et introduit dans la terre promise. Il ne pouvait supporter la pensée d’un blâme jeté sur ce nom glorieux, si cher à son cœur, et il ne pouvait non plus consentir à voir la destruction d’Israël. C’étaient là les deux choses qu’il redoutait, mais quant à sa propre gloire, il ne s’en souciait aucunement. Ce bien-aimé serviteur ne s’inquiétait que de la gloire de Dieu et du salut de son peuple, et quant à ce qui le concernait lui-même, il était dans une tranquillité parfaite, assuré que sa bénédiction personnelle était liée d’une manière indissoluble à la gloire divine.

Combien cette intercession si vive et si pleine d’amour de son serviteur, était plus en harmonie avec les pensées de Dieu, que l’accusation d’Élie contre Israël, quelques centaines d’années plus tard! Elle nous rappelle l’office béni de notre grand souverain sacrificateur, qui est toujours vivant pour intercéder pour nous.

Il est beau et vraiment touchant d’observer de quelle manière Moïse insiste sur le fait que le peuple était l’héritage de l’Éternel, et qu’il l’avait tiré du pays d’Égypte. L’Éternel avait dit: «Ton peuple, que tu as fait sortir d’Égypte». Mais Moïse dit: «Ils sont ton peuple et ton héritage, que tu as fait sortir d’Égypte». Cette scène n’est-elle pas de toute beauté, et n’offre-t-elle pas le plus profond intérêt?