Daniel

William Kelly

Chapitre 1er

Remarque de l'éditeur: Le lecteur doit savoir que ce commentaire a été écrit vers 1860. Cela permettra de comprendre les allusions à la situation géopolitique dans laquelle se trouvait alors le monde. Mais il garde toute sa valeur explicative de la Parole de Dieu qui ne change pas.

Tout lecteur attentif s’aperçoit aisément que le premier chapitre n’est qu’une préface du livre. Il nous introduit sur la scène des prophéties que Daniel reçut ou interpréta; celles-ci constituent le fond, le grand sujet où l’Esprit de Dieu va nous amener. Ce chapitre est donc utile pour entrer dans la nature particulière du livre que nous abordons.

La partie proprement prophétique de Daniel commence au chapitre 2. Viennent ensuite certains événements historiques intimement liés à la prophétie, à mon avis, sinon d’une manière directe, du moins d’une manière typique; ces détails historiques font ressortir de manière vivante les principes moraux caractérisant les puissances du monde, ainsi que la fin à laquelle elles aboutissent, et c’est ce dont ce livre s’occupe.

Pour bien comprendre Daniel, il faut garder à l’esprit que la prophétie de l’Ancien Testament se divise en deux grandes parties: les unes concernent le peuple de Dieu, Israël, pendant qu’il était encore sous le gouvernement de Dieu, souvent infidèle il est vrai, mais néanmoins objet de Sa discipline et reconnu de Lui, jusqu’à un certain point. Les prophéties d’Ésaïe, de Jérémie, d’Ézéchiel et même de plusieurs petits prophètes, tels que Osée, Amos et Michée, ont ce premier caractère. Israël était encore reconnu comme peuple de Dieu, sinon dans son ensemble, du moins cette portion du peuple dont Dieu s’occupait encore dans le pays: on comprend que je fais allusion aux tribus de Juda et de Benjamin qui s’étaient attachées à la maison de David. Au bout d’un certain temps, ces tribus chutèrent aussi, et l’héritier de David prit la tête de la rébellion idolâtre contre l’Éternel. Un changement capital en résulta. Le trône de l’Éternel qui était établi dans Jérusalem, cessa entièrement d’être sur la terre; Dieu ne reconnut plus Israël, ni Juda comme Son peuple. J’attire votre attention tout particulièrement sur ce fait, parce qu’il y a souvent des idées bien vagues sur ce qu’il faut entendre par l’expression «le peuple de Dieu» dans l’Écriture. En tant que chrétiens, nous considérons comme formant le peuple de Dieu tous ceux qui Lui appartiennent réellement — ceux qui sont ses enfants par la foi en Christ. Or, il y a un danger à rattacher les mêmes pensées au langage de l’Ancien Testament. Si l’on examine l’Écriture avec soin, on trouvera que dans l’Ancien Testament, l’expression «peuple de Dieu» désigne seulement les Juifs, ou Israël, et qu’elle ne s’y applique pas simplement à un certain ensemble des élus qui s’y trouvait, mais à la nation entière, ou à cette partie de la nation unie encore (en quelque mesure quoique avec beaucoup d’infidélité) au roi de Dieu, et reconnue ainsi comme le peuple de Dieu. Plus tard arriva un temps où Dieu désavoua Son peuple. Osée l’avait prédit, et ce fut accompli lorsque Dieu livra le dernier roi de Juda au conquérant Chaldéen. Dieu aurait sacrifié sa sainteté, sa vérité et sa majesté, s’il avait supporté plus longtemps les Juifs ou leur roi idolâtre.

Or c’est un fait remarquable dans l’histoire du monde que, quoiqu’il se fût élevé en Orient des puissances d’importance et d’ambition toujours plus grandes, aucune d’entre elles n’était arrivée, jusque là, à dominer toutes ses rivales. Il n’y avait en Occident que des hordes errantes, ou si certaines se stabilisaient quelque part, elles restaient des barbares, étrangers à la civilisation. Dans l’Orient et au midi, des puissances avaient rapidement surgi. L’une d’elles, l’Égypte, est particulièrement bien connue en rapport avec Israël. Une autre aussi, l’Assyrie, est d’origine non moins ancienne; il est même fait mention de son nom, et de ses aspirations et de ses efforts ambitieux, avant même qu’il soit question de l’Égypte en aucune manière. Ce furent là les deux grandes puissances rivales du monde primitif, et elles possédaient toutes deux leur propre civilisation. Cette civilisation pouvait être d’un caractère grossier; mais si l’on croit à l’Écriture, ou si l’on a contemplé les ruines de l’Égypte et de l’Assyrie, on reconnaît une grandeur barbare frappante. Eh bien! ces puissances étaient constamment en lutte pour la domination. Mais, quoique Dieu se servît des Égyptiens et des Assyriens, ou d’autres puissances moins considérables, comme d’une verge de discipline pour le bien d’Israël, néanmoins la suprématie ne fut accordée à aucune nation sur la terre, jusqu’à ce qu’il eût été rendu évident à tous que le peuple de Dieu s’était montré indigne d’être plus longtemps Ses témoins et le lieu de la manifestation de son gouvernement sur la terre. Éphraïm (les dix tribus), ayant sombré dans une idolâtrie sans espoir, fut le premier à être balayé. Pendant longtemps, on avait vu se succéder monarque après monarque, ne faisant que s’imiter ou se dépasser l’un l’autre dans le mal; et ce n’avait été qu’une scène continuelle de rébellion et d’idolâtrie. Aussi, ce peuple n’ayant fait que le déshonorer, Dieu avait été forcé de le déraciner du pays où il avait été planté. Les deux tribus rattachées à la maison de David étaient certes encore reconnues. Mais les nuages s’accumulaient au-dessus d’elles, et l’ennemi leur tendait des pièges de la pire espèce. C’est à ce moment de crise que la prophétie brille dans tout son éclat. Car, à mon avis, la prophétie suppose toujours un état de chute. Elle n’intervient jamais durant un état normal; mais quand la ruine menace, ou qu’elle a commencé, alors la lampe de la prophétie brille dans le coin sombre.

Il en fut ainsi dès le commencement. Voyez par exemple la révélation de Genèse 3 selon laquelle la postérité de la femme écraserait la tête du serpent. Quand fut-elle donnée? non pas quand Adam marchait dans l’innocence, mais après que lui et sa femme chutèrent. Alors Dieu apparut, et sa parole ne se borna pas à juger le serpent; elle revêtit la forme d’une promesse qui devait se réaliser dans la véritable Semence — révélation de l’avenir assurément bénie, et sur laquelle se reposa l’espérance de ceux qui ont cru. Elle était la condamnation de leur état; mais elle empêcha les fidèles des générations suivantes de se laisser aller au désespoir; elle présentait, de la part de Dieu, et au-dessus de la ruine, un objet auquel les cœurs des croyants s’attachèrent. De même Énoch, dans le monde antédiluvien, est celui que l’Écriture signale, au-dessus de tous les autres, comme ayant prophétisé, quoique le souvenir de sa prophétie ne se trouve consigné que dans l’un des derniers livres du Nouveau Testament. «Voici le Seigneur est venu au milieu de ses saintes myriades, pour exécuter le jugement contre tous, et pour convaincre tous les impies d’entre eux de toutes leurs œuvres d’impiété qu’ils ont impiement commises, et toutes les paroles dures que les pécheurs impies ont proférées contre lui» (Jude 14-15). Le mal, trouvé en germe dans Adam, ayant éclaté et produit de toute part la corruption et la violence, nous trouvons là une prophétie annonçant bien positivement le jugement qui vient sur le monde. C’était là l’intervention de Dieu en témoignage, avant d’agir en puissance. Puis on trouve Noé qui, plus qu’Énoch, a été en contact public avec cet état de choses mauvais. Je crois que la prophétie d’Énoch s’appliquait de façon remarquable au déluge, mais elle regardait plus loin, naturellement, vers la grande catastrophe des derniers jours. Lorsqu’une prophétie est communiquée, elle a souvent un accomplissement partiel à ce moment-là ou peu après. Mais il ne faut jamais s’arrêter à ces signes précurseurs du passé, comme si c’était là toute sa signification: ce serait donner à la prophétie une interprétation particulière. C’est là le véritable sens de 2 Pierre 1:20: «Aucune prophétie de l’Écriture ne s’interprète elle-même» (ou «n’est d’une interprétation particulière»). Il faut la replacer dans le grand cadre des plans de Dieu et de la manifestation de ses desseins qui ne trouvent leur accomplissement qu’en Christ, à la fin. C’est vers ce centre que converge toute la prophétie. Ce n’est qu’alors que nous en aurons l’accomplissement parfait.

Maintenant, arrêtons-nous aux patriarches qui sont expressément appelés prophètes. «Il ne permit à personne de les opprimer, et il reprit des rois à cause d’eux, disant: Ne touchez pas à mes oints, et ne faites pas de mal à mes prophètes» (Psaume 105:14-15). Dans ce passage, le droit au titre de prophète peut s’expliquer sur le principe même que nous venons de voir. Les patriarches étaient alors les interprètes de la pensée de Dieu: «appelés à sortir», parce qu’il s’était introduit dans le monde un mal nouveau et terrible, jamais encore mentionné avant les jours d’Abraham, — l’idolâtrie. L’adoration des idoles n’est citée qu’après le déluge, pour autant que l’Écriture nous le révèle. Elle se répandit de tous côtés et devint prédominante même parmi les descendants de Sem; et c’est la raison pour laquelle Dieu fit sortir un témoin séparé en paroles et en actes d’une iniquité si flagrante. La prophétie, ou l’existence même d’un prophète, suppose toujours la présence d’un mal nouveau et croissant, à cause duquel Dieu trouve bon de déployer Ses pensées quant à l’avenir, et de lui donner une valeur pratique actuelle pour ceux qui sont alors sur la terre.

Cela fut manifeste dans le cas de Moïse. Car, quoiqu’il fût le grand médiateur de la loi, le veau d’or fut établi presqu’immédiatement; et la ruine d’Israël comme peuple sous la loi, fut complète. C’est à lui, en sa qualité de grand prophète d’Israël (Deut. 34:10), que revint la tâche de révéler la corruption certaine et croissante du peuple, quelles que soient les ressources de la grâce de Dieu jusqu’à la fin — de même qu’il avait antérieurement prédit le jugement inéluctable de Dieu sur l’Égypte. Plus tard dans l’histoire d’Israël, nous rencontrons celui qui commence la série des prophètes proprement dits; car voici la mention qu’en fait l’Écriture: «Et même tous les prophètes depuis Samuel et ceux qui l’ont suivi» (Actes 3:24). Il fut appelé à une période très critique de l’histoire d’Israël, à un moment où les enfants d’Israël étaient tombés si effroyablement bas, qu’ils voulaient se servir de l’arche même de Dieu, comme d’un talisman, pour les garantir contre la puissance de leurs ennemis. Ce fut alors que Dieu exposa son peuple à l’opprobre. Son arche fut prise, et Ichabod fut le seul nom que pouvait déclarer une âme pieuse. La gloire s’en était allée. C’est à peu près le temps où il est parlé de Samuel le prophète. Si son apparition était le signe d’une nouvelle crise, elle servit aussi à montrer que Dieu, revendiquant Son nom, introduit la lumière de la prophétie comme une consolation pour le cœur de ceux qui tiennent fermes pour lui.

Continuant encore l’histoire du peuple, nous voyons le plein éclat de la lumière prophétique resplendir au temps du prophète Ésaïe. La raison en est manifeste: non seulement Israël s’était livré à l’idolâtrie, mais le roi, fils de David, avait pris modèle sur l’autel païen de Damas pour s’en faire un semblable dans la cité sainte! C’était là un péché odieux et des plus insultants pour Dieu. Ésaïe est mis à part pour l’office prophétique avec une solennité extraordinaire. Il réalise le mauvais état des Juifs. Il voit la gloire de l’Éternel, et cette vue tire immédiatement de lui la confession de sa propre impureté et de celle du peuple. «Et je dis: Malheur à moi! car je suis perdu; car moi, je suis un homme aux lèvres impures, et je demeure au milieu d’un peuple aux lèvres impures; car mes yeux ont vu le roi, l’Éternel des armées» (És. 6:5). Mais un des séraphins touche ses lèvres avec un charbon ardent, l’assurant que son iniquité était ôtée, et son péché purifié. Et il est envoyé avec un message d’aveuglement judiciaire sur le peuple, qui doit durer jusqu’à ce que les villes soient dévastées et le pays réduit en une entière désolation. Ainsi la prophétie est d’autant plus brillante que le mal est plus manifeste et plus profond. Là où l’avertissement prophétique était reçu, il avait pour conséquence un vrai esprit de repentance et d’intercession. Dieu suscita ensuite un témoin royal pour Lui-même, en sorte que la marche du mal fut suspendue pour un temps.

En attendant, la prophétie devient de plus en plus nette, dirigeant les cœurs des saints vers celui que la vierge doit concevoir et enfanter — le fils de David, Emmanuel, qui doit être, pour le peuple, le seul et sûr fondement établi en Sion. Il est superflu de même essayer d’esquisser les grands traits des prophètes suivants. Je pense avoir bien fait ressortir ce grand principe que, d’une manière générale, la prophétie intervient quand les choses sont en ruine parmi le peuple de Dieu. À mesure que la ruine s’accentue, la prophétie, par la bonté de Dieu, devient aussi plus lumineuse.

Tel est ce caractère universel, le premier, que nous avons vu apparaître tandis que Dieu s’occupe encore de son peuple en discipline, et qu’il le reconnaît comme sien. Mais la prophétie revêt une autre forme dont Daniel est le grand exemple dans l’Ancien Testament. Voici en quoi elle consiste: lorsque Dieu ne peut plus s’adresser à son peuple en tant que tel, il choisit un individu pour lui faire ses communications.

C’est là le trait distinctif de Daniel. Il ne s’agit pas comme en Ésaïe et d’autres, de s’adresser directement au peuple, de raisonner, de plaider, d’avertir, et d’ouvrir la perspective de brillantes espérances. Ce n’est pas non plus, comme en Jérémie, un prophète «établi pour la nation», adressant les appels les plus touchants à Israël et à Juda, ou du moins au résidu qui s’y trouve. En Daniel tout est changé. Il n’y a plus du tout de message à Israël; et la première prophétie, de très grande portée, ne fut pas accordée au prophète lui-même, mais, sous forme d’un songe, au roi païen Nebucadnetsar, quoique Daniel fut le seul à en retrouver le souvenir et à en fournir l’explication. Les autres visions ne furent vues que par Daniel, et c’est à lui que toutes les interprétations furent données.

Quel est la grande leçon à tirer de tout ceci?

L’action de Dieu prenait son point de départ dans le fait important que Son peuple était déchu de sa position — du moins pour le moment; Israël avait perdu son caractère de nation autonome — Dieu ne voulait plus le reconnaître. La présence parmi eux de certains élus n’arrêtait pas le moins du monde la sentence divine. Il ne s’agissait pas de savoir s’il s’y trouverait dix justes (Gen. 18:32). Cet argument avait pu être soutenu comme une raison d’épargner une ville cananéenne et corrompue, Sodome. Mais Dieu parle-t-il jamais ainsi à propos de Son peuple? Il peut bien comparer son iniquité à celle de Sodome; mais s’il s’agit de son jugement, jamais rien comme la présence de dix justes ne peut y faire obstacle. Au contraire, il est déclaré expressément, en Ézéchiel 14, que «lors même que ces trois hommes, Noé, Daniel et Job seraient au milieu d’un pays, eux seulement délivreraient leurs âmes par leur justice;» et il est ajouté: «Ils ne délivreraient ni fils, ni fille». C’est-à-dire que dans Son propre pays, et au milieu de Son peuple coupable, peu importe qui s’y trouve et quelle est leur justice, les justes seuls seront délivrés, et les quatre jugements désastreux de Dieu doivent être envoyés. Et les choses se passèrent effectivement ainsi dans cette crise même de la captivité, où il se trouvait des justes, tels que les prophètes eux-mêmes et d’autres personnes animées d’un esprit semblable, selon leur mesure. Quelle que soit donc Sa volonté d’épargner le monde, le fait qu’il se trouve une poignée de justes parmi Son peuple, ne retient pas Dieu de juger l’iniquité de Son peuple. «Enfants d’Israël, écoutez la parole que Dieu a prononcée contre vous, contre toute la famille que j’ai tirée du pays d’Égypte, en disant: Je vous ai connus vous seuls d’entre toutes les familles de la terre; c’est pourquoi je visiterai sur vous toutes vos iniquités» (Amos 3:2). S’il en était autrement, il n’aurait jamais pu y avoir de jugement national contre Israël, car il y a toujours eu une lignée de fidèles au milieu d’eux. C’est un principe entièrement faux.

Dans un ouvrage qui m’est tombé sous la main, on l’alléguait à l’appui de l’idée que l’Angleterre échapperait en bonne partie au jugement terrible qui va fondre sur les nations de la terre. Voyez, disait-on, que d’hommes de bien on y rencontre! quels progrès en haut comme en bas! que d’institutions chrétiennes! que d’œuvres de charité! les Écritures non seulement imprimées en abondance, mais diffusées partout, lues et prêchées! — Eh bien, ce sont ces faits eux-mêmes qui, à mon avis, rendent le jugement inévitable. Car il ressort avec clarté des enseignements de l’Écriture que, s’il doit y avoir quelque différence dans la mesure du jugement, ceux qui connaissent la volonté de Dieu et ne la font pas, «seront battus de plus de coups». On a de la peine à imaginer une illusion plus fatale que celle par laquelle on se persuade que la possession d’une plus grande mesure de privilèges et de connaissance spirituelle serait un bouclier efficace quand sonnera l’heure du jugement de la terre.

Le Seigneur rappelait le souvenir de Tyr et de Sidon (Matthieu 11), mais c’était pour montrer la culpabilité aggravée des villes dans lesquelles il avait opéré la plupart de Ses œuvres puissantes. «Malheur à toi, Chorazin! malheur à toi Betsaïda! car si les miracles qui ont été faits au milieu de vous eussent été faits dans Tyr et dans Sidon, il y a longtemps qu’elles se seraient repenties sous le sac et la cendre. Mais je vous dis que le sort de Tyr et de Sidon sera plus supportable au jour de jugement que le vôtre». Une autre ville, nommée ailleurs sa ville (Matthieu 9:1), avait été plus favorisée encore que celles-là, parce que Jésus y demeurait habituellement, et c’est pourquoi sa culpabilité était encore plus grande. «Et toi, Capernaüm, qui as été élevée jusqu’au ciel, tu seras abaissée jusque dans le hadès; car si les miracles qui ont été faits au milieu de toi eussent été faits dans Sodome, elle serait demeurée jusqu’à aujourd’hui. Mais je vous dis que le sort du pays de Sodome sera plus supportable au jour de jugement que le tien». Ce qui revient à dire, en d’autres termes, que la mesure du privilège est toujours la mesure de la responsabilité.

Nous avons vu ensuite le fait, bien surprenant, que le gouvernement établi par Dieu en Israël, (accompagné du signe visible de Sa présence, la Shékinah de gloire), ne devait désormais plus subsister. Dieu lui-même avait dépouillé les Israélites de leur nom en tant que Son peuple. Désormais ils étaient «Lo-Ammi» (pas mon peuple). C’était là leur sentence en ce qui Le concernait, quels que pussent être les desseins finaux de Sa grâce, car ses «dons et son appel sont sans repentir» (Rom. 11:29).

La prophétie de Daniel commence avec ce triste changement, et elle en dépend. À cet égard, ce livre présente une analogie frappante avec la grande prophétie du Nouveau Testament [l’Apocalypse]. Il est bien vrai que dans cette dernière, des messages spéciaux furent envoyés aux sept Églises par le moyen de Jean. Mais c’est à lui, Jean, que le livre, dans son ensemble, fut adressé et confié, quoiqu’avec la mission d’en rendre témoignage dans les assemblées. Christ envoya signifier la révélation par son Ange, à son esclave Jean, dont la relation avec la chrétienté est de même nature que celle de Daniel avec Israël. Dans l’un et l’autre cas, la faillite était si complète, que Dieu ne pouvait plus adresser la prophétie directement à Son peuple. Il y a ainsi une sentence morale de Dieu très grave sur la condition de la chrétienté. C’était une ruine complète quant au témoignage pratique pour Dieu — Éphèse placée sous la menace de se voir ôter la lampe, à moins qu’elle ne se repente, et Laodicée assurée d’être vomie de la bouche du Seigneur. Ce n’est point que Dieu ne continuât de sauver des âmes. Cela, il l’a toujours fait, et il le fait toujours. Mais cela n’a rien à voir avec le témoignage que Son peuple a la responsabilité de rendre. Plus de deux cents ans après que Juda fût devenu Lo-Ammi, Malachie pouvait dire de ceux qui craignaient l’Éternel et parlaient l’un à l’autre: «Et ils seront à moi, mon trésor particulier, dit l’Éternel des armées, au jour que je ferai; et je les épargnerai comme un homme épargne son fils qui le sert». Tout cela était vrai, et pourtant la sentence divine et solennelle — «pas mon peuple», — continuait de peser sur eux. Les circonstances n’affectaient en rien ni Son jugement contre la nation, ni Sa grâce envers les âmes fidèles qui s’y trouvaient. Or, ce qui était vrai alors, l’est encore également aujourd’hui. Le salut et la bénédiction des âmes continuent. Mais devant Dieu, ce qui porte le nom de Christ dans le monde, est aussi loin de réaliser ce que nous devrions être selon les pensées de Dieu, que le peuple d’Israël l’était d’accomplir le dessein de Dieu à son égard.

Aussi, le caractère de son livre est-il en parfaite harmonie avec le caractère du temps où Daniel fut appelé à être prophète. C’était au moment où les derniers vestiges du peuple de Dieu allaient disparaître. Jérémie 25:1 donne pour date du commencement du règne de Nebucadnetsar la première attaque qu’il fit contre Juda. Or, je voudrais faire remarquer précisément qu’il y a une légère différence entre cette donnée et celle que nous trouvons en Daniel 2. À Babylone, où Daniel écrivait, on comptait naturellement les années du règne de Nebucadnetsar à partir du moment où il avait pris la succession sur le trône à la mort de son père; tandis qu’à Jérusalem où prophétisait Jérémie, ce compte se faisait, non moins naturellement, à partir du moment où Nebucadnetsar, son père étant encore en vie, avait manié le pouvoir pour la ruine de Jérusalem et des Juifs. Un tel cas n’est pas rare, on le sait, tant dans l’histoire sainte que dans l’histoire profane.

Toutes les difficultés que présente la parole de Dieu proviennent réellement du manque de lumière. En général, on ne comprend pas la portée de telle portion particulière où on voit des difficultés. À propos de dates, je ferai une autre petite remarque qu’il est bon de garder à l’esprit, et à laquelle donne lieu le rapprochement du premier verset de notre chapitre avec Jérémie 25:1. Le décompte des années se fait parfois à partir de leur commencement et parfois à partir de leur fin; c’est-à-dire qu’on compte les durées en incluant ou en retranchant l’année indiquée. Il en est ainsi avec les exemples, bien connus, des jours écoulés entre la mort et la résurrection de notre Seigneur, ainsi que des six ou huit jours précédant la transfiguration. C’est de cette manière que Daniel dit: «La troisième année de Jéhoïakim», et Jérémie dit: «la quatrième année». L’un indique l’année complète, échue, du règne, et l’autre l’année en cours.

Si nous en venons au caractère moral de la prophétie de Daniel, nous trouvons la clé des voies de Dieu pour le temps où elle fut émise, dans le fait que Dieu n’exerçait plus de gouvernement direct ou immédiat sur la terre. Il avait reconnu David et ses descendants comme les rois qu’Il avait établis sur le trône de l’Éternel à Jérusalem (1 Chron. 29:23). Il n’y avait pas d’autres rois reconnus de Dieu d’une pareille manière. Ils étaient, dans le sens fort, Ses oints devant lesquels même le grand sacrificateur devait marcher.

Et voici ce que Dieu avait l’intention de nous montrer à travers eux: leur royauté, était une préfiguration de ce que Dieu va faire bientôt en Christ, le vrai Fils de David. Le même principe court tout au long de l’Écriture. D’abord une certaine position est confiée à la responsabilité de l’homme, et immédiatement survient la chute; alors la position est reprise par Christ qui l’établit sur un fondement inébranlable. Ainsi Dieu crée l’homme et le place innocent dans le paradis, avec autorité sur la création inférieure. L’homme tombe aussitôt. Mais Dieu n’abandonne pas son dessein d’avoir un homme dans le paradis. Où le trouverons-nous maintenant? Dans le premier Adam, l’échec a été complet. Adam fut banni d’Éden! sa race est demeurée proscrite jusqu’à ce jour; et tous les efforts de l’homme en ce monde, tous ses progrès matériels, ne sont qu’autant de palliatifs par lesquels il cherche à cacher que Dieu l’a chassé du paradis. Mais le dernier Adam est la réponse glorieuse de Dieu à la perte faite par l’homme du premier dépôt confié à sa garde: — Le Second homme exalté dans le paradis de Dieu. Autre exemple: Noé recommence le monde après le déluge, et la discipline avec droit de vie et de mort est, pour la première fois, mise entre ses mains. L’épée du magistrat est introduite. «Qui aura versé le sang de l’homme, par l’homme son sang sera versé; car à l’image de Dieu, il a fait l’homme» (Gen. 9:6). Cette parole posait la base du gouvernement civil, et mettait l’homme dans l’obligation de punir ou de mettre un frein aux actes de violence. Cette disposition n’a jamais été révoquée. Partout où il est reçu, le Christianisme introduit d’autres principes, des principes célestes. Mais le monde reste lié, pour sa conduite, par ce décret irrévocable de Dieu. Noé faillit pourtant quant au dépôt qui lui a été confié, d’une manière aussi complète qu’Adam en Éden. Il ne se gouverna pas lui-même, ni sa famille à la gloire de Dieu. Il s’enivre, et son plus jeune fils l’outrage. Le résultat en est qu’au lieu de la bénédiction universelle d’un gouvernement juste, une malédiction tombe sur une partie de ses descendants. De même, au temps convenable, le principe d’un roi placé sous la responsabilité de dominer avec justice sur le peuple de Dieu, a été essayé dans la maison de David. Et que trouva-t-on? Avant même la mort de David, il y eut un péché si horrible que l’épée ne sortit jamais de cette famille-même qui aurait dû assurer la bénédiction à Israël. Dieu abandonna-t-il son dessein pour cela? en aucune manière. Le Seigneur Jésus reprend la primauté, le gouvernement et le trône du Fils de David. Il en est ainsi de tous les principes qui ont échoué entre les mains de l’homme: ils seront tous magnifiés et établis à toujours dans la personne et à la gloire du Seigneur Jésus.

Nous avons vu que Jérusalem cesse d’être le trône de l’Éternel. Et Jérémie nous montre la cité sainte comptée simplement comme une nation parmi les autres; mais en tant qu’elle avait été la plus privilégiée, ce fut à elle la première de boire la coupe de la colère de Dieu. Babylone doit la boire aussi, mais Israël en premier. C’est dans le même chapitre 25, qu’on trouve la prédiction précise de la captivité de 70 ans, durant lesquels Juda devait être déporté à Babylone; ensuite, à la fin, viendrait le jugement de la puissance qui l’avait amené captif. Mais s’il est vrai que Jérémie prédit la suprématie croissante de Babylone et son jugement final, (et ceci, non pas comme une simple affaire d’histoire, mais comme type du renversement du monde lors du jour de l’Éternel), pourtant il ne nous fait pas connaître les détails intermédiaires. C’est ainsi qu’au milieu des captifs de Kebar, Ézéchiel, dans la première moitié de sa prophétie, nous amène jusqu’au moment du grand conflit des puissances du monde luttant en vue de la domination suprême. Pharaon-Neco, roi d’Égypte, désirait l’avoir; mais il est détruit, comme l’Assyrien l’avait été avant lui; et Babylone reste seul prétendant ambitieux à la domination universelle. Il y avait ces trois puissances, l’Assyrie, l’Égypte, et Babylone; cette dernière était relativement jeune comme grand royaume, bien que fondée sur l’association probablement la plus ancienne, savoir celle de Babel, — «le commencement du royaume de Nimrod» (Gen. 10:10). Ces trois puissances étaient comme des animaux féroces tenus en laisse par une main invisible, jusqu’à ce que soit finie la période d’essai tendant à déterminer si la fille de Sion voudrait marcher avec le Seigneur, dans l’humilité et l’obéissance, et, à Son appel, se détourner de son égarement et se repentir. Mais elle ne fit ni l’un, ni l’autre. C’est ce qui donna lieu à ce qu’on n’avait jamais vu auparavant: la naissance d’un empire universel.

Le déluge, et le jugement de l’Éternel à Babel, furent suivis de la grande dispersion des nations, et de la division du genre humain en familles, tribus, langues et pays, tous séparés les uns des autres. Israël était le centre de ce système de nations indépendantes. C’est ainsi qu’on lit en Deutéronome 32:8: «Quand le Très-haut partageait l’héritage aux nations, quand il séparait les fils d’Adam, il établit les limites des peuples selon le nombre des fils d’Israël». Tout fut arrangé en rapport avec Israël, «car la portion de l’Éternel, c’est son peuple; Jacob est le lot de son héritage». Israël était, selon Dieu, le centre pour la terre; et Dieu veut encore réaliser Son dessein. Bien que ce plan ait complètement échoué jusqu’ici à cause de la méchanceté du peuple, Israël doit encore être pour Dieu le centre des nations dans ce monde, car la bouche de l’Éternel a parlé. Ce point aussi des desseins de Dieu a été mis à l’épreuve entre les mains de l’homme, et a abouti à la faillite; il a été alors remis entre les mains de Christ qui l’accomplira en son temps. L’orgueil d’Israël le porta à faire dépendre son sort de son obéissance à Dieu. À Sinaï, ils se chargèrent de la responsabilité d’observer la loi. Chaque fois qu’un pécheur cherche à se tenir sur cette base avec Dieu, il est perdu. Le seul fondement sûr et humble se trouve non en ce qu’Israël serait pour Dieu, mais en ce que Dieu serait en fidélité, en amour et en compassion envers Israël. Et il en est ainsi pour toute âme dans tous les temps. Dès l’instant où Israël acceptait cette condition, la loi devenait pour lui un fléau, et Dieu était contraint de les juger. La mort en était le résultat certain, malgré la patience admirable de Dieu. Le peuple tomba, les sacrificateurs tombèrent, et finalement les rois prirent la tête de toutes les formes de mal. Dieu fut forcé d’abandonner son peuple.

À partir de ce moment, tout ce qui retenait les nations de la terre fut ôté, et les puissantes dynasties rivales combattirent pour remporter la domination. Il n’y avait plus de peuple que Dieu reconnût comme la scène de Son gouvernement. Si seulement le cœur d’Israël s’était tourné vers Lui, comme l’aiguille aimantée vers le pôle en dépit de ses oscillations, ils y auraient trouvé une grande patience (comme il y en eut effectivement au plus haut degré), et les interventions de la puissance divine les auraient établis dans la bénédiction à toujours. Mais quand en plus du peuple, le roi lui-même, oint de l’Éternel, effaça Son nom du pays; quand Sa gloire fut donnée à un autre dans Son propre temple, il en fut fini de tout pour un temps, et «Lo-Ammi» fut la sentence de Dieu. L’idolâtrie d’Israël était alors à son comble; le peuple était apostat par rapport au Dieu vivant. Si ce peuple avait été conservé dans cet état, il aurait été le champion énergique des abominations païennes. Aussi, sous le jugement de Dieu, le peuple et le roi terminèrent en captivité.

C’est dans une telle crise que Daniel apparaît à la cour du monarque babylonien selon la parole certaine d’Ésaïe au roi Ézéchias (És. 39). «Les temps des nations» (car c’est ainsi qu’il faut lire la phrase remarquable de Luc 21:24) avaient commencé, et Daniel était le prophète de ces temps-là. Ils ne doivent pas durer toujours; ils ont une limite assignée de Dieu, quand cessera la présente interruption de Son gouvernement direct de la terre, et qu’Israël sera de nouveau reconnu comme le peuple de Dieu. Dans l’intervalle, ainsi que nous l’avons vu, la vocation spécifique de ce peuple étant perdue, Dieu permet, dans les voies de Sa providence, qu’un nouveau système de gouvernement se développe dans les grandes puissances Gentiles successives, — le système de l’unité impériale. Il ne s’agit plus ici de nations indépendantes, ayant chacune son propre dirigeant; mais Dieu lui-même approuve dans Sa providence, l’assujettissement de toutes les nations de la terre à l’autorité centralisatrice d’un seul individu. C’est là ce qui caractérise «les temps des nations». Auparavant on n’avait jamais vu ça, même s’il y avait eu des royaumes puissants empiétant sur les royaumes plus faibles. Même l’historien incrédule est forcé de reconnaître, comme toute l’histoire le fait, les quatre grands empires de l’ancien monde. Israël se trouvait dès lors confondu dans la masse des nations. De là vient cette nouvelle expression «le Dieu des cieux», comme si, à partir de ce moment, Dieu avait cessé de contrôler directement la terre selon le caractère avec lequel Il avait gouverné Israël, — au moins en type. Ce contrôle avait alors entièrement disparu, et dans Sa souveraineté, Dieu agissait pour ainsi dire à distance de la scène, comme le «Dieu des cieux», et il donnait à certaines puissances Gentiles particulières de se succéder les unes aux autres dans un empire aussi étendu que le monde.

Avant de clore ces remarques préliminaires, j’ajouterai quelques mots sur les grands traits moraux de ce chapitre; car s’ils sont manifestés brillamment en Daniel, ils n’ont pas été écrits pour lui seulement, mais aussi pour nous, si nous désirons la même bénédiction.

Le chapitre débute par le tableau de l’écrasement des Juifs devant celui qui les avait conquis. Les voilà maintenant assiégés et accablés dans leur dernière forteresse. «La troisième année du règne de Jehoïakim, roi de Juda, Nebucadnetsar, roi de Babylone, vint à Jérusalem et l’assiégea; et le Seigneur livra en sa main Jehoïakim, roi de Juda, et une partie des ustensiles de la maison de Dieu, et il les fit apporter dans le pays de Shinhar, dans la maison de son dieu: il fit porter les ustensiles dans la maison du trésor de son dieu». Les versets suivants montrent l’accomplissement de la prophétie remarquable d’Ésaïe à laquelle nous avons fait déjà allusion. Ézéchias avait été malade, proche de la mort. Suite à son désir ardent de survivre, Dieu avait ajouté quinze ans à ses jours, et cette promesse avait été scellée par un signe frappant — le soleil était retourné de dix degrés en arrière. Mais il aurait mieux valu qu’il ait bien appris la leçon de la mort et de la résurrection que d’obtenir une prolongation de vie et de tomber dans un piège, et d’entendre prononcer les malheurs qui allaient atteindre sa maison, entraînant une éclipse des espérances d’Israël. Je ne dis pas que ce ne soit pas ce signe si remarquable, qui ait surtout attiré l’attention du peuple le plus renommé dans l’ancien monde pour son savoir en astronomie. Toujours est-il que le roi de Babylone envoya alors des lettres et un présent à Ézéchias, non pas seulement parce qu’il était guéri de sa maladie, mais pour s’informer du miracle qui avait eu lieu dans le pays (2 Chron. 32:31). Au lieu de «s’en aller doucement toutes ses années», Ézéchias déploie tous ses trésors devant les ambassadeurs de Mérodac-Baladan. «Il n’y eut rien qu’Ézéchias ne leur montrât dans sa maison et dans tous ses domaines». «Et Ésaïe dit à Ézéchias: Écoute la parole de l’Éternel des armées: Voici, des jours viennent où tout ce qui est dans ta maison, et ce que tes pères ont amassé jusqu’à ce jour, sera porté à Babylone; il n’en restera rien, dit l’Éternel. Et on prendra de tes fils, qui sortiront de toi, que tu auras engendrés, et ils seront eunuques dans le palais du roi de Babylone» (És. 39:2, 5-7).

C’est ce que nous voyons accompli ici. «Et le roi dit à Ashpenaz, chef de ses eunuques, d’amener d’entre les fils d’Israël, et de la semence royale et d’entre les nobles, des jeunes gens en qui il n’y eût aucun défaut, et beaux de visage, et instruits en toute sagesse, et possédant des connaissances, et entendus en science, et qui fussent capables de se tenir dans le palais du roi, — et de leur enseigner les lettres et la langue des Chaldéens. Et le roi leur assigna, pour chaque jour, une portion fixe des mets délicats du roi et du vin qu’il buvait, pour les élever pendant trois ans, à la fin desquels ils se tiendraient devant le roi». En même temps, on changea les noms de Daniel et de ses trois compagnons, probablement dans le but de faire oublier le vrai Dieu, en les remplaçant par des noms dérivés des idoles de Babylone. Et le chef des eunuques «donna à Daniel le nom de Belteshatsar, et à Hanania celui de Shadrac, et à Mishaël celui de Méshac, et à Azaria celui d’Abed-Nego, noms tirés très probablement de Bel et des autres faux dieux adorés alors en Chaldée.

Considérons maintenant ce que le Saint Esprit enregistre comme manifestant particulièrement l’état du cœur de Daniel pour Dieu, désirant être un vase à honneur dans ses voies morales, un vase utile au Maître. Combien la puissance du Seigneur est supérieure à toutes les circonstances! Daniel et ses compagnons n’ont rien dit quand on changea leurs noms, aussi pénible que cela était pour eux. Ils étaient esclaves, la propriété d’un autre, et celui-ci avait le droit de les nommer comme il lui plaisait. Mais «Daniel arrêta dans son cœur qu’il ne se souillerait point par les mets délicats du roi et par le vin qu’il buvait». À écouter la nature, de tels repas auraient dû être reçus avec gratitude: la foi opère, et ils la refusent. Faisant partie de la provision journalière d’un roi idolâtre, elle se rattachait aux faux dieux du pays. Même dans leur propre pays, et toute idolâtrie à part, Dieu voulait qu’on séparât les choses pures des choses impures; et un grand nombre de celles qui étaient en estime parmi les Gentils étaient une abomination pour un Juif. La loi était absolue sur ces souillures; et en qualité de Juif, Daniel était tenu de l’observer. Le christianisme arrive, et délivre la conscience de toute anxiété quant à de telles choses: «Mangez, dit l’apôtre Paul, de tout ce qui se vend à la boucherie, sans vous enquérir de rien à cause de la conscience» (1 Cor. 10:25). Il en est de même d’un festin. Si cependant le chrétien apprenait que telle viande avait été sacrifiée aux idoles, il ne devait pas en manger, tant à cause de ceux qui l’en avertissaient qu’à cause de la conscience. Mais, quant au Juif, c’était une séparation absolue, sans distinction, qui était requise. Daniel se montra, sur le champ, décidé pour le vrai Dieu. Il ne s’agissait point pour lui de faire à Babylone ce qui s’y faisait, mais bien de la volonté de Dieu en tant que prescrite à Israël. C’est pourquoi il supplia le chef des eunuques de lui permettre de ne point se souiller. En attendant, Dieu avait agi dans Sa providence pour que Daniel obtint une faveur spéciale. Mais ceci ne diminuait pas l’épreuve de sa foi. Et quand on lui allègue des difficultés et des dangers, il continue à se confier en Dieu. Hélas, nous sommes tous doués pour trouver de bonnes raisons pour de mauvaises choses. Mais l’œil de Daniel était simple et son corps rempli de lumière, — seuls moyens de comprendre la pensée de Dieu. Il ne considéra pas ce qui lui était agréable; il ne craignit pas de s’exposer au péril; il envisagea la question en rapport avec Dieu. Il demande seulement qu’on les teste «pendant dix jours, et qu’on leur donne des légumes à manger et de l’eau à boire; et on regardera, en ta présence, nos visages». La nourriture qu’un cœur sincère sentait convenir, ce n’était point le pain agréable (10:3), mais ce qui parlait d’humiliation devant Dieu; une telle nourriture aurait été dédaignée même par les personnes de basse condition dans cette cité orgueilleuse vivant dans le luxe. Quel fut le résultat de cette épreuve? Daniel et ses trois compagnons en reviennent, ayant «leurs visages de meilleure apparence, et étant plus gras que tous ceux de tous les jeunes gens qui mangeaient les mets délicats du roi». Ils furent ainsi préservés de toute autre inquiétude à cet égard.

Mais ce n’est pas tout. Il y eut encore pour eux la bénédiction positive de Dieu leur donnant de la science, et de l’intelligence dans toutes les lettres et dans toute la sagesse; et il est ajouté pour Daniel, qu’il avait de l’intelligence en toute vision et dans les songes. Ils furent préparés de Dieu chacun pour l’activité qu’il eut à exercer plus tard. Dieu était lui-même leur professeur, et l’épreuve de leur foi était une partie nécessaire et essentielle de leur éducation à Son école. Alors, quand ils se tinrent devant le roi, aucun ne fut trouvé comme eux. Et quand le roi s’enquit d’eux à propos des choses qui réclamaient de la sagesse et de l’intelligence, «il les trouva dix fois supérieurs à tous les devins et enchanteurs qui étaient dans tout son royaume» (1:17-20).

Nous aussi, si nous voulons comprendre les Écritures, il faut que nous marchions dans le chemin de la séparation d’avec le monde. Rien n’est plus destructif de l’intelligence spirituelle que de se laisser flotter en suivant le courant des opinions et des voies des hommes. La parole prophétique est ce qui montre la fin de tous les projets et de l’ambition de l’homme. «Et le monde s’en va, et sa convoitise, mais celui qui fait la volonté de Dieu demeure éternellement» (1 Jean 2:17). Sans aucun doute «la terre sera pleine de la connaissance de l’Éternel, comme les eaux couvrent le fond de la mer» (És. 11:9). Mais tous les plans des hommes seront d’abord réduits à néant, «les peuples auront travaillé pour le néant, et les peuplades pour le feu, et elles seront lasses» (Jér. 51:58). L’Éternel lui-même le fera. S’il se trouve dans l’Écriture une vérité qui ressorte avec plus d’évidence qu’une autre, ou plutôt qui sous-tend toute la vérité, c’est bien celle de la faillite totale de l’homme, dans tout ce qui regarde Dieu, avant que Sa grâce intervienne et triomphe. Et cela est vrai non seulement des hommes inconvertis, mais aussi de Son peuple d’autrefois, et de Son Église à présent.

Le succès le plus important que l’ennemi puisse remporter — hormis la ruine des fondements — est le mélange des saints avec le monde, et ce qui en résulte: l’obscurcissement de l’intelligence spirituelle chez ceux qui devraient être la lumière du monde. La volonté de Dieu est de nous avoir en communion pratique, réelle, avec Lui-même: Dans Sa lumière, nous voyons la lumière (Ps. 36:10). Quand nous voyons la fin de toutes les machinations de Satan pour contrecarrer l’œuvre de Dieu, cela nous sépare de tout ce qui y conduit, et nous lie à tout ce qui est cher à Dieu. Alors «le sentier du juste est comme une lumière resplendissante qui va croissant jusqu’à ce que le plein jour soit établi» (Prov. 4:18). En marchant de cette manière, nous comprendrons la Parole de Dieu.

Il ne s’agit point de capacité intellectuelle, ni d’étude. L’érudition humaine dans les choses de Dieu n’est que pauvres haillons, partout où on en fait quelque chose de plus qu’une servante. Pour profiter pleinement de la Parole de Dieu, il faut que les chrétiens tiennent toutes leurs connaissances sous leurs pieds. Autrement, qu’il sache peu ou beaucoup, l’homme est esclave de son savoir qui usurpe la place de l’Esprit de Dieu.

La foi constitue le seul moyen d’acquérir l’intelligence spirituelle et d’en réaliser la puissance par l’Esprit. Or, la foi nous soumet et nous tient soumis au Seigneur et séparés de ce siècle mauvais. Daniel se tint séparé de ce qui, aux yeux d’un Juif, déshonorait Dieu, et Dieu le bénit d’une grande mesure de sagesse et d’intelligence.