2 Samuel

Chapitre 15

Fuite de David

Si Joab, tout en coopérant avec David, n’a aucun des mobiles de cet homme de Dieu, le caractère d’Absalom est, dès le début, celui d’un réprouvé, fils, au moral, de Satan qui est «meurtrier dès le commencement». Plus tard, tous les mauvais instincts de sa nature se donnent carrière pour atteindre son but. Il use de flatteries, prend l’apparence de la justice, du désintéressement (v. 3, 4), de l’amour (v. 5), pour «dérober les cœurs des hommes d’Israël» (v. 6). Il trompe les simples (v. 11), feint de rendre culte à l’Éternel et de le servir (v. 7, 8), tout cela pour s’emparer de la royauté et se substituer à l’oint de l’Éternel, à son propre père sur son trône, — car il hait son père, il hait tout ce qui n’est pas lui-même. Il s’allie avec Akhitophel qui avait auprès du peuple la réputation qu’aurait eue un prophète, car «le conseil que donnait Akhitophel, en ces jours-là, était comme si on se fût enquis de la parole de Dieu». Il s’exalte enfin, se déifie presque de son vivant (18:18).

Tous ces traits caractériseront à la fin des temps le grand ennemi du roi d’Israël, «l’Antichrist», «l’homme de péché», et «l’inique» (2 Thess. 2:3, 8). Il séduira le peuple, supportera son culte national pour le renverser ensuite, s’élèvera et s’exaltera lui-même jusqu’à se faire adorer comme Dieu, se fera passer pour le vrai Messie, niera le Père et le Fils, réunira dans sa personne le faux roi avec le faux prophète. Nous le trouvons caractérisé au point de vue juif, dans le livre de Daniel (11:36-39), et le Seigneur avertit ses disciples, premier noyau du résidu juif de la fin, aussi longtemps que le Messie vivant au milieu d’eux n’avait pas encore été rejeté, de s’enfuir dès qu’ils verraient établie dans le temple de Jérusalem, l’abomination dont Daniel avait parlé.

C’est ce qui arrive ici. David fuyant devant Absalom est un type frappant des Juifs fidèles de la fin. Des deux côtés la coulpe du sang innocent d’Urie, du sang du Messie rejeté; des deux côtés l’âme restaurée à la suite de ce crime; des deux côtés l’intégrité du cœur, mêlée au sentiment profond de la faute; des deux côtés enfin, les conséquences de la faute, subies sous le gouvernement de Dieu qui ne peut laisser le crime impuni, mais qui soutient l’âme restaurée, au milieu de la colère apparente qu’elle doit porter aux yeux de tous, comme un fardeau dont elle sait que Dieu la délivrera à la fin pour la ramener dans la joie sans nuage de sa présence.

David, un si beau type de Christ au commencement de sa carrière, est devenu, par son péché, un type du résidu souffrant. Seulement, tout le long des Psaumes, le résidu est encouragé en trouvant, par la bouche de David prophète, que le Messie lui-même est entré d’avance, en sympathie et pour lui montrer le chemin, dans les tribulations et les détresses que lui, le résidu, devra subir. Les fidèles seront ainsi fortifiés chaque jour par les paroles prononcées par l’Esprit de Christ, et dans lesquelles ils trouveront, au milieu de leur détresse, l’expression prophétique de leur foi et de leur confiance en Dieu. Nous allons donc rencontrer, dans cette partie de l’histoire de David, les expériences de l’âme sous les conséquences de sa faute et les encouragements que lui donne l’Esprit de Christ, sous le gouvernement de Dieu1.

1 Il est très digne de remarque que la série des Ps. 3 à 7, servant de préface à tout le livre des Psaumes2, commence par le «Psaume de David, lorsqu’il s’enfuyait de devant Absalom, son fils». De fait, cette série tout entière appartient à cette période, comme le montre le Ps. 7, qui mentionne les outrages de Shimhi relatés en 2 Sam. 16. Tout cela prouve que la fuite de David devant Absalom est bien un type prophétique de la position et des sentiments du résidu dans les Psaumes. Ajoutons encore que le Ps. 71, ainsi qu’une portion du livre 2 dont il fait partie, se rapporte directement à cette période de l’histoire de David.

2 Les Ps. 1 et 2 en sont le sommaire. Ils présentent les deux grands sujets des Psaumes: le caractère des fils du royaume (Ps. 1), et les conseils de Dieu au sujet du Messie (Ps. 2). On y trouve l’indication de tous les personnages du drame: les justes, le peuple apostat, les nations, le Messie.

David s’enfuit en hâte, dès qu’il apprend que les cœurs des hommes d’Israël suivent Absalom. Ce n’est ni lâcheté, ni faiblesse de sa part, c’est de la foi. La foi ne suivra jamais le chemin que l’homme naturel aurait choisi. Qui n’eût opposé dans ce moment une armée bien aguerrie à une conjuration naissante? Qui n’eût tenté, une fois au moins, le sort des armes, quand tout Jérusalem était encore avec le roi légitime? David fuit, non parce qu’Absalom est le plus fort, mais parce qu’il est la verge de Dieu levée en châtiment sur son serviteur. Mais ce n’est pas à lui seul que David pense, c’est à Jérusalem, la ville de l’Éternel, à laquelle il veut épargner une épreuve ou une ruine que sa résistance lui attirerait.

Donc, le roi sort et s’arrête au bord du Cédron. Cette fuite hâtive est cependant si calme qu’elle a plutôt l’air d’un cortège royal que d’une défaite. C’est qu’elle est dominée par le sentiment profond qu’on est avec Dieu dans la tribulation. Le roi fugitif devient immédiatement le centre du peuple dans cet exode. Derrière lui sa maison et tout le peuple qui lui est resté fidèle; à ses côtés ses serviteurs; à l’avant-garde ses guerriers. N’est-il pas frappant que les hommes d’armes ne forment point l’arrière-garde, quand l’ennemi se trouve sur les talons de ce peuple sans défense? Non, ils marchent devant le roi, ses hérauts, ses témoins par le chemin du désert. Les compagnons d’Absalom pouvaient considérer cette marche comme une déroute; les Keréthiens, les Peléthiens et les Guitthiens y voyaient un suprême honneur. Or remarquez ceci: au moment où le vrai roi d’Israël devient un étranger et un fugitif par la rébellion de son peuple, des étrangers sont mis à la place d’honneur. Les Keréthiens et les Peléthiens, des tribus philistines, émigrées, dit-on, de la Crète, les Guitthiens, des gens de Gath, quittant la capitale de la Philistie et leur pays d’origine pour associer leur sort à celui de David. Leur roi d’autrefois avait perdu son autorité sur eux; le roi de l’Éternel était devenu la boussole qui les orientait désormais.

Tout cela nous parle de Christ. Rejeté d’Israël, il est devenu le centre d’attraction pour les nations étrangères aux promesses et qui n’avaient aucun droit aux bénédictions du peuple. Rejeté, il est devenu bien plus encore, le centre de tout, celui que les siens suivent avec délices, parce qu’ils ne trouvent de sécurité qu’auprès de Lui dont le monde n’a pas voulu, parce qu’ils savent que le temps de sa réjection prendra fin, et que ceux qui ont partagé ses tribulations partageront certainement sa gloire. Oui, le centre de tout, cet homme qui garde encore son aspect d’étranger, méprisé du monde — modèle à suivre — objet de service, car ses serviteurs l’entourent, attentifs à ses volontés — objet de témoignage — et de quel heureux témoignage! ...

C’est dans cette période de l’histoire de David que les cœurs se manifestent. Sous le régime du trône, il est plutôt question de soumission que d’amour, mais un Christ rejeté attire le dévouement, et c’est dans ces circonstances qu’on peut voir si les siens Lui sont attachés. Il y en eut à Jérusalem, en ces temps-là, qui s’accommodèrent fort bien de la domination impie d’Absalom, mais grâce à Dieu, il y eut des cœurs dévoués qui ne doutèrent pas de David et surent, malgré tout, que l’Éternel était avec lui, qui lièrent leur sort au sort du roi, et ne craignirent pas de se compromettre en déclarant ouvertement lui appartenir. Ah! la peur de se compromettre! Il n’est point étonnant de la trouver chez des chrétiens qui n’ont de chrétien que le nom et qui, au fond, appartiennent au monde et ne veulent pas s’en séparer. Mais, chez les enfants de Dieu, quelle honte! Quoi, vous n’osez pas confesser le nom de votre Sauveur devant les hommes? L’opinion du monde a donc sur vous une telle influence? Son opprobre n’est pas votre suprême honneur? Voulez-vous donc agir en ennemis de la croix de Christ? N’est-ce pas ce qui faisait pleurer l’apôtre, quand il voyait des hommes portant Son nom, préférer les choses de la terre à l’opprobre de la croix? (Phil. 3:18).

Itthaï, le Guitthien, était différent de ces gens-là. Tout se réunissait pour l’excuser de ne pas lier son sort à celui de David. Étranger, émigrant qui n’avait pas encore acquis un droit de bourgeoisie en Israël, venu d’hier, il était moralement comme le petit enfant qui s’essaie à ses premiers pas. David lui-même n’attendait pas de lui l’effort qu’il fallait pour le suivre. «Retourne- t’en», lui dit-il, «et emmène tes frères. Que la bonté et la vérité soient avec toi!» Il le bénit même, pour lui faire bien comprendre qu’en de telles circonstances un manque de décision ne lui serait nullement imputé à mal. Eh bien! cet étranger fait preuve d’une grande foi. Il ne faut, pour une grande foi, ni beaucoup d’intelligence, ni une longue vie chrétienne; il suffit d’avoir une haute idée du Seigneur, de savoir que rien ne peut l’égaler ni lui être comparé, que Lui seul est capable de satisfaire complètement tous les besoins. David a beau l’excuser, lui donner congé, l’exhorter à s’en retourner, rien ne le convainc; il reste, il ne connaît pas d’autre place, pas d’autre maître. Qui pourrait-il servir, si ce n’est David? Absalom n’est-il pas l’ennemi de son seigneur? Qui l’arrêterait? La mort? mais si David doit mourir, la mort est bienvenue à Itthaï. Il s’y attend et la met en première ligne: «Soit pour la mort, soit pour la vie». La vie vient pour lui après la mort. De quelque manière, en quelque lieu que ce soit, là où David sera, «là aussi sera son serviteur». Comme de tels sentiments rafraîchissent le cœur du roi fugitif, celui de notre bien-aimé Sauveur. Ce qu’Itthaï désire, Jésus nous le promet: «Si quelqu’un me sert, qu’il me suive; et où je suis, moi, là aussi sera mon serviteur: si quelqu’un me sert, le Père l’honorera» (Jean 12:26). Le Seigneur nous dit: Dans la mort, peut-être, mais dans la gloire, à coup sûr. En le servant, nous sommes assurés de la gloire, puisque c’est là qu’il se trouve à toujours. Remarquons encore que le cœur du Père est satisfait du dévouement à son Fils. L’avons-nous servi dans l’humiliation, alors nous pouvons être certains que le Père nous donnera une place d’honneur pour ne pas avoir craint de partager son opprobre devant le monde. Un pauvre Guitthien ignorant aura cette place; une pauvre Moabite l’occupera aussi, elle qui n’avait pas hésité à suivre Naomi, aïeule du roi fugitif: «Ne me prie pas de te laisser, pour que je m’en retourne d’avec toi; car où tu iras, j’irai, et où tu demeureras, je demeurerai: ton peuple sera mon peuple, et ton Dieu sera mon Dieu» (Ruth 1:16).

«Va, et passe!» dit le roi à Itthaï, et il passe le torrent du Cédron, tournant le dos à l’ennemi triomphant, ayant en face de lui le chemin du désert (v. 23). Qu’importe! David est son berger, il ne manquera de rien.

Quel contraste entre cet étranger et Pierre, le disciple juif, qui avait suivi le Seigneur dès le commencement. Ah! comme il était prompt à dire, sans que Jésus le lui demandât: «Seigneur, avec toi, je suis prêt à aller et en prison et à la mort» (Luc 22:33). Pierre pensait à ce qu’il était, Itthaï à ce que son seigneur était pour lui. Pauvre Pierre! Sa foi était, sans qu’il s’en doutât, la plus petite, la plus misérable qu’il fût possible de voir, car il avait une haute idée de lui-même.

Voici maintenant Tsadok et Abiathar apportant l’arche de l’Éternel. David la refuse; il ne peut accepter un tel honneur. L’arche est entrée dans son repos et ne peut recommencer avec David les pérégrinations du désert. David reprend ici le rôle du résidu repentant et souffrant. Les nations pourront, avec une apparence de raison, lui demander: «Où est ton Dieu?» et se moquer de sa confiance, comme dans le deuxième livre des Psaumes qui exprime les sentiments du résidu fuyant loin de Jérusalem devant l’Antichrist (Ps. 42:11, etc.). Avec ces sentiments David dit au sacrificateur: «Reporte l’arche de Dieu dans la ville; si je trouve grâce aux yeux de l’Éternel, alors il me ramènera, et me la fera voir, elle et sa demeure. Et s’il dit ainsi: Je ne prends point de plaisir en toi; — me voici, qu’il fasse de moi ce qui sera bon à ses yeux». Admirable résultat de l’action de l’Esprit de Dieu sur un cœur exercé par la discipline. Soumission parfaite à la volonté de Dieu, sachant que l’on a mérité le jugement — confiance parfaite en sa bonté qui demeure à toujours, en son intérêt pour les siens qui en sont indignes! Tout ce qui lui arrive est juste, mais David compte sur la grâce, acceptant l’humiliation et laissant à Dieu le soin de le justifier, car «c’est Dieu qui justifie».

Ces sentiments font contraste avec ceux d’Itthaï, mais les uns ne sont pas moins beaux à leur place que les autres. On trouve la puissance de Dieu dans la foi, mais elle est tout aussi merveilleuse quand elle produit «toute patience» chez un pauvre être faible, battu par la tempête, n’ayant aucune force en lui-même pour résister au flot grandissant du mal.

David monte en pleurant la montée des Oliviers, nu-pieds, la tête couverte. Le peuple qui le suit porte le deuil comme lui. Cette humiliation, Christ l’a subie et portée en sympathie pour son peuple bien-aimé, vers la fin de sa carrière. Celui qui pleurait sur Jérusalem s’est trouvé aux prises, en Gethsémané, avec l’assaut terrible de Satan. Il y était question, sans doute, de choses encore plus grandes et étendues que de sympathies pour le résidu souffrant d’Israël, d’une œuvre bien plus importante que la délivrance finale de son peuple, mais il s’agissait d’elle aussi, car «dans toutes leurs angoisses, le Christ a été en angoisse». C’est en ce lieu que l’homme qui mangeait avec lui, a levé, comme Absalom, le talon contre lui, qu’il l’a trahi par un baiser; c’est là aussi que, dans l’angoisse de son âme, il a versé plus que les pleurs de David, et que sa sueur est devenue comme des grumeaux de sang tombant sur la terre.

En ce moment, tout vient accabler le pauvre roi. Il apprend la trahison d’Akhitophel. Toutes les ressources lui manquent, sauf une seule, mais parfaitement suffisante: Il se prosterne devant Dieu. — «Rends vain», lui dit-il, «le conseil d’Akhitophel».

Dieu donne à la prière de son serviteur une réponse immédiate. Hushaï, l’intime ami du roi, le rejoint. David, plein de discernement spirituel, le renvoie, sachant que Dieu le destine à «annuler le conseil d’Akhitophel».

Hushaï retourne à Jérusalem. Quelles que soient nos préférences, il nous faut toujours être au lieu où Christ nous place. Un serviteur de Christ peut toujours être là où se tiennent l’arche et la sacrificature, puisqu’il y trouve Christ. N’est-il pas à la fois l’arche et le sacrificateur? Nous sommes appelés à diverses fonctions pour sa cause. Le témoignage et le service sont une chose; autre chose est la lutte contre les ruses de l’ennemi pour faire triompher le nom de Christ; autre chose encore, d’entrer en sa présence pour Lui rendre culte. Toutes ces fonctions diverses nous appartiennent. La tâche de Hushaï était ardue; il en est de même aujourd’hui pour ceux qui ont à lutter contre les ennemis de Christ, des Akhitophel qui prétendent au caractère de prophètes et sont au fond de faux prophètes, qui connaissent les pensées du Seigneur et emploient leur savoir pour anéantir son autorité. Mais si le Seigneur nous envoie au milieu des ennemis, allons-y sans crainte. Anéantir le conseil d’Akhitophel, n’est-ce pas restituer à notre David la place qui Lui appartient?