2 Samuel

Chapitre 3

Abner

Au commencement du chap. 2, nous avons vu l’heureuse dépendance de David, au moment d’être nommé roi sur Juda. L’établissement graduel de sa royauté a porté nos pensées vers les temps futurs, où le règne de Christ sera établi en puissance. Mais ce chap. 2 contient un fait non encore mentionné et bien digne de remarque. À peine la royauté est-elle instituée, que le récit change de ton et vient nous occuper de tristes et humiliantes circonstances.

Cela tient à ce que David n’est pas seulement un type de Christ, mais — nous le verrons maintes fois dans la suite de ce livre — le représentant de la royauté confiée aux mains d’un homme, responsable de la maintenir. Comme roi, David possède la puissance (non pas encore la toute-puissance) de la part de Dieu. Il est libre d’en faire ce qu’il veut, en vue du bien; libre d’abaisser ou d’élever à son gré les hommes qui l’entourent, et de les employer à ses desseins; libre enfin de promulguer ordonnances et décrets pour le bien de son peuple et pour la gloire de son Dieu. Mais, hélas! c’est à l’homme que sont confiées cette responsabilité redoutable et cette puissance quasi illimitée. En effet, la royauté n’était pas, à l’origine, restreinte comme de nos jours par toutes sortes de lois et plus ou moins sous le contrôle de la volonté du peuple. Le roi selon la Parole n’était responsable que vis-à-vis de Dieu. Il répondait de la conduite du peuple, et si ce dernier tombait en faute, le roi devait en porter le jugement. Nous allons voir ce que devient cette autorité entre les mains de David.

Le chap. 2 (v. 8-32) nous montre déjà le commencement de cette histoire. David est entouré de ses parents, hommes vaillants qui prétendent au premier rang parmi les chefs. Les fils de Tseruïa possèdent ce rang selon la chair, mais, selon Dieu, ils ne l’ont pas à un plus haut degré que les autres; au contraire. Abishaï n’était pas des «trois premiers»; Asçaël était «des trente» (chap. 23). Joab, nous l’avons vu, n’est pas même nommé parmi les hommes forts, mais, courageux et habile autant qu’ambitieux, fourbe, cruel et sanguinaire quand il trouve un obstacle à la réalisation de ses desseins, très avisé pour agir sur l’esprit du roi, en flattant ses faiblesses (chap. 14), cet homme arrive à conduire, en apparence du moins, les événements à son gré.

Dans toute la seconde partie du chap. 2, le roi disparaît devant ces hommes. Son entourage s’agite, décide, combat les adversaires appartenant à la maison de Saül, sans songer à consulter celui qui, seul, a le droit de prendre l’initiative. Triste accompagnement du pouvoir! David, au temps de ses tribulations, insufflait, pour ainsi dire, son caractère à ses compagnons, ou bien, devant leurs révoltes, se réfugiait auprès de l’Éternel, pour l’interroger (1 Sam. 30:6-8). Ici, possédant l’autorité dont il est responsable, elle lui échappe et ses compagnons, avec l’apparence d’en user pour sa cause, s’en servent en réalité pour compromettre le caractère de l’Éternel et de son oint. Les visées de ceux qui entourent le trône créent au roi, pendant tout son règne, des difficultés multiples, et il avoue être trop faible pour diriger leurs sentiments et réprimer leurs actes.

Le chap. 3 continue la même histoire. En présence de ces difficultés, la seule sauvegarde pour David était de vivre dans la dépendance du Seigneur. La discipline la lui fera retrouver, mais l’esprit de Dieu nous enseigne ici que le fidèle, ayant reçu de Dieu une place d’autorité, perd bientôt, à cause de la chair qui habite en lui, le sentiment de sa dépendance. Exerçant le pouvoir, il prend confiance en lui-même, sans éprouver le besoin du secours de l’Éternel, comme quand il errait, pareil à la perdrix chassée sur les montagnes. Avant que la couronne fût sur sa tête, sauf en de rares occasions, il interrogeait Dieu, ne faisait pas un seul pas sans Lui; dès qu’il l’a reçue il oublie sa sauvegarde. Il la retrouvera un peu plus tard après avoir fait d’amères expériences, car il faut se souvenir que chez David, et c’est un des traits principaux de son caractère, la discipline porte toujours des fruits admirables, et cela jusqu’aux derniers moments de sa vie, jusque dans ses dernières paroles.

Nous aussi, nous avons besoin d’être disciplinés pour apprendre la dépendance. Si nous laissons agir notre volonté qui n’est pas autre chose, en somme, que l’indépendance, le Seigneur nous brise pour nous ramener sous son joug béni, si léger, si aisé à porter.

Les cinq premiers versets de notre chapitre offrent un exemple frappant de ce que nous venons de dire. David prend plusieurs femmes à Hébron, outre Akhinoam et Abigaïl, compagnes de sa vie errante. S’il avait consulté l’Éternel avant de le faire, qu’est-ce que ce dernier lui eût répondu? Lis ma Parole. La dépendance de Dieu et celle de sa Parole sont une seule et même chose. David avait entre ses mains les livres de la loi et n’avait qu’à les méditer pour connaître son chemin. N’était-il pas dit au Deutéronome (17:17, 18), à propos du roi: «Il n’aura pas un grand nombre de femmes, afin que son cœur ne se détourne pas ...»? Pour agir comme il le fait, il pouvait avoir toutes sortes de bonnes raisons selon l’homme, postérité royale, etc., mais non pas selon Dieu. Pour nous en convaincre, nous n’avons qu’à suivre la descendance de ses femmes. Si David n’avait eu que la pieuse Abigaïl pour compagne, aurait-il vu un Amnon couvrir sa maison de honte et de déshonneur, un Absalom se révolter contre son propre père, un Adonija essayer de s’emparer du royaume et demander la Sunamite pour femme?

Non content de ces alliances, cet homme de Dieu qui peut faire sa volonté — combien cette liberté est dangereuse! — réclame d’Ish-Bosheth (3:13-16) Mical sa femme, devenue adultère en prenant un autre mari, Mical, fille de Saül, qui après avoir autrefois aimé David d’un amour selon la nature charnelle, montrera plus tard son mépris pour la semence de Dieu, dont elle ne pouvait comprendre ni la piété, ni le dévouement aux intérêts de l’Éternel (6:20-23). Cette femme adultère, il l’arrache à son foyer, au lieu de la laisser à son nouveau mari, brisant ainsi le cœur de cet homme, honnête après tout, profondément affectionné à sa compagne et qui la suit en pleurant, sans songer à se rebeller contre l’autorité établie.

Tel est, hélas! ce roi pieux, faisant usage de l’autorité limitée encore, bientôt illimitée, que Dieu a placée entre ses mains.

Qu’Abner, le sachant et le voulant, s’oppose à l’Éternel en soutenant Ish-Bosheth, cela n’a pas lieu de nous étonner. Abner sait que David est l’oint de l’Éternel: «Que Dieu fasse ainsi à Abner, et ainsi y ajoute, si je ne fais pas à David comme l’Éternel lui a juré ...» (v. 9) et plus loin (v. 18); «L’Éternel a parlé touchant David, disant: Par la main de David, mon serviteur, je délivrerai mon peuple Israël de la main des Philistins et de la main de tous ses ennemis». Abner a conscience de n’être pas du côté de Dieu, mais n’ayant pas l’Éternel pour objet de ses desseins et de son activité, il ne se met guère en peine d’une telle contradiction entre ses opinions et sa conduite. Abner n’a que la prétention de défendre un système politico-religieux de succession. Il est honorable de pouvoir se dire les descendants directs de ce que Dieu a établi, et si Dieu a remplacé la royauté de Saül et les formes d’une religion sans vie, par la royauté de David, avec les ressources religieuses qu’il donne à son peuple au milieu de la ruine, qu’importe à Abner? Il soutiendra malgré tout la maison de Saül. Ish-Bosheth s’appuiera sur lui, mais qu’il prenne garde de ne pas blesser le ferme soutien de son trône. S’il veut s’élever contre la corruption d’Abner, celui-ci par orgueil blessé, abandonnera son maître pour se tourner vers David. «Suis-je une tête de chien, moi?» dit-il, et il lui annonce ouvertement ses desseins. Il les accomplit au grand jour, dans la franchise de sa nature, et le pauvre roi, sans force pour répliquer, ne peut que trembler devant ses menaces. Mais en tout cela, nous voyons la providence divine qui, sous les passions de l’homme et même par elles, prépare la voie à son oint.

Nous assistons à ces événements sans attendre rien pour Dieu, de la part de ceux qui, comme Abner, ne lui appartiennent pas. Mais que penser de David? Pourquoi ne consulte-t-il pas l’Éternel quand cette alliance lui est proposée? Lui qui avait refusé la couronne de la main de l’Amalékite, qui va la refuser de celle des meurtriers d’Ish-Bosheth, l’accepterait-il de la main d’Abner? Oui, parce qu’il se sent libre, parce qu’il a toute sorte de raisons d’agir ainsi pour le bien de son royaume. Cette alliance aplanira les difficultés; la guerre a assez duré... Tout cela est fort raisonnable selon l’homme, mais n’est pas selon la pensée de Dieu.

Abner parle aux onze tribus, réussit à les convaincre, même celle de Benjamin, alliée à Saül, et vient ensuite rendre compte à David de ses démarches. «Et Abner dit à David: Je me lèverai, et j’irai et j’assemblerai vers mon seigneur, le roi, tout Israël: et ils feront alliance avec toi; et tu régneras sur tout ce que ton âme désire» (v. 21). Mais Dieu s’y oppose; il ne veut pas que David reçoive le royaume d’une autre main que la sienne. Nul ne pourra se vanter d’avoir établi l’oint de l’Éternel sur le trône. Et de plus, comment permettrait-il à l’orgueil du cœur de l’homme de tailler les marches par lesquelles David monte au pouvoir? Abner est assassiné. Dieu sait faire tourner les pires iniquités des hommes à l’accomplissement de ses desseins. Il se sert de l’acte infâme de Joab pour supprimer celui dans lequel David avait déjà mis sa confiance.

Joab commet un meurtre en pleine paix et se venge ainsi de la mort d’Asçaël, quoique Abner l’eût «tué dans la bataille» (v. 30), preuve qu’il n’y avait rien de répréhensible dans son acte (conf. 2:20-23). Tel est le motif personnel de cette affreuse action, mais celui qui connaît Joab et son ambition de devenir chef de l’armée, en suppose un autre. Joab craint la valeur et l’autorité d’Abner, alors beaucoup plus éprouvée que la sienne. Si ce dernier venait à conclure l’alliance, n’obtiendrait-il pas la première place? Joab a tout à gagner à sa vengeance.

Donc Abner ne sera pas le restaurateur du royaume; Joab, bien moins encore que lui, car son meurtre devenait, sans l’intervention divine, le signal d’une guerre plus longue et plus impitoyable que celle qui tirait à sa fin.

Ce qui gagne le cœur d’Israël, c’est l’indignation du roi contre le mal, son affliction au sujet d’un crime qui déshonorait le caractère de l’Éternel et celui de son oint; c’est l’humiliation, le jeûne, le deuil public de David, en présence de tout son peuple. «En ce jour-là tout le peuple et tout Israël reconnurent que ce n’était point de par le roi qu’on avait fait mourir Abner, fils de Ner» (v. 37).

Ah! comme, au milieu de ces circonstances difficiles, David retrouve les traits précieux de son caractère! Répudiant toute solidarité avec le mal, il prouve que, «de toute manière, il était pur dans cette affaire». Il invoque le jugement de Dieu sur Joab: Que le sang d’Abner, fils de Ner, «tombe sur la tête de Joab, et sur toute la maison de son père; et que la maison de Joab ne soit jamais sans un homme ayant un flux, ou la lèpre, ou qui s’appuie sur un bâton, ou qui tombe par l’épée, ou qui manque de pain» (v. 29). Et encore: «Que l’Éternel rende à celui qui fait le mal, selon son méfait!» (v. 39). Plus tard, ce jugement de Dieu, prononcé par David, s’est exécuté (1 Rois 2:31-34).

David roi, retrouve au sujet d’Abner les accents de grâce dont David rejeté se servait à l’égard de Saül. Il prononce une complainte sur Abner: «Abner devait-il mourir comme meurt un insensé? Tes mains n’étaient pas liées, et tes pieds n’avaient pas été mis dans des chaînes; tu es tombé comme on tombe devant les fils d’iniquité» (v. 33, 34). Il proclame «qu’un prince, et un grand homme», était ce jour-là tombé en Israël (v. 38).

Hélas! la puissance étant entre ses mains, qu’avait-il pu en faire contre les «fils d’iniquité»? Dieu seul pouvait faire le bien. Les fils de Tseruïa étaient trop durs pour David (v. 39). Lui-même reconnaît sa faiblesse, telle qu’elle se montrait en ce jour. Combien David nous est sympathique pour cette parole: «Moi, je suis aujourd’hui faible, bien que j’aie reçu l’onction de roi» (v. 39). Ce qui arrive atteint son cœur comme une sérieuse discipline. Faible, tu l’étais en effet, serviteur bien-aimé de l’Éternel, malgré ton onction, mais ne crains pas; Dieu sera ta force et ta sauvegarde dans la faiblesse, et tes pieds seront gardés de chute si tu cherches ta force dans la communion avec Lui. Il en est de même pour nous. Deux choses inséparables sont notre sauvegarde: le sentiment de notre faiblesse, joint à la dépendance de Dieu et de sa Parole. David avait commencé dans ce chapitre par l’usage de sa puissance et, agissant de son propre chef, il n’avait pas consulté l’Éternel. Les événements qui l’accablent, l’amènent à la conscience de son incapacité et, comme tout de nouveau, il ne tardera pas à apprendre la dépendance si vite oubliée.

Au milieu de tous ces événements, Ish-Bosheth perd son royaume. Il dépendait entièrement d’Abner qui lui assurait la victoire et le maintien de son trône. Cet homme enlevé, il ne lui reste rien. Quand il a cherché à s’opposer au manque de respect envers la mémoire de son père, il est abandonné de celui qui le soutenait. C’est ce qui anéantit toute force dans la chrétienté professante qui cherche plus ou moins à se fonder sur la succession d’une religion selon l’homme. Alliée pour se maintenir avec les gouvernements et les puissances d’un monde ennemi de Christ, elle devient leur esclave et n’a aucune force pour s’opposer à leur désordre ou pour le réprimer. Je parle moins ici du romanisme qui, comme la grande prostituée, a la prétention d’être «assis sur la Bête» et de la gouverner, que de la Réforme qui dégénéra bien vite en abandonnant le principe de la foi et en cherchant son appui auprès des grands de ce monde. La ruine en fut la conséquence nécessaire. Contentons-nous de nous tenir à part de toute intervention de l’homme dans les choses religieuses, et disons comme David, dans le sentiment de notre incapacité pour remédier au mal: «Ces hommes-là, les fils de Tseruïa, sont trop durs pour moi».