2 Rois

Chapitre 10

Jéhu (suite)

Jéhu envoie un message à Samarie, dont les chefs, les anciens et les grands avaient la garde des soixante-dix fils d’Achab. «Maintenant», dit-il, «quand cette lettre vous sera parvenue, puisque vous avez avec vous les fils de votre seigneur, et que vous avez les chars et les chevaux, et une ville forte et des armes, regardez lequel des fils de votre seigneur est le meilleur et le plus apte, et mettez-le sur le trône de son père, et combattez pour la maison de votre seigneur» (v. 23). Cette lettre, sous sa forme généreuse, respire la menace d’un homme sûr de lui-même, ou tout au moins, voulant le paraître. À mesure qu’on avance dans ce récit, on découvre plusieurs traits du caractère de cet homme remarquable selon les pensées du monde. Impétuosité, promptitude de décision, coup d’œil politique, connaissance et mépris des hommes, habileté à profiter des occasions ou à en faire naître, à s’imposer aux autres ou à s’en servir pour ses desseins, absence absolue de scrupules quand il s’agit de triompher des obstacles, et tout cela s’appuyant sur la conscience d’être un instrument de l’Éternel dans son œuvre de destruction.

Les principaux de Samarie prennent peur et se montrent prêts à une trahison et à un meurtre que Dieu ne leur avait pas ordonné. Ils obéissent à Jéhu quand il leur dit: «Si vous êtes à moi et si vous écoutez ma voix, prenez les têtes des hommes, fils de votre seigneur, et venez vers moi demain à cette heure-ci, à Jizreël» (v. 6). Toujours la même pensée que précédemment: Qui est pour moi? Qui est à moi? Jéhu obtient ainsi l’avantage de faire accomplir ce massacre par d’autres dont l’acte le justifie vis-à-vis des habitants de Jizreël. «Vous êtes justes: voici, j’ai conspiré contre mon seigneur et je l’ai tué, mais qui a frappé tous ceux-ci?» (v. 9). Il proclame orgueilleusement sa conspiration et son attentat, mais il a pour complices tous les grands et capitaines d’Israël, qu’à force de hardiesse et d’arrogance il a contraints à le servir. C’est lui qui, par son habileté, met de son côté tous les conducteurs de ce peuple. Puis il ajoute: «Sachez donc que rien ne tombera en terre de la parole de l’Éternel que l’Éternel a prononcée contre la maison d’Achab; et l’Éternel a fait ce qu’il avait dit par son serviteur Élie» (v. 10). Il invoque l’infaillibilité de la parole de Dieu pour justifier sa conduite, puis il frappe «tous ceux qui restaient de la maison d’Achab à Jizreël, et tous ses grands, et tous ceux qui étaient de sa connaissance, et ses sacrificateurs, jusqu’à ne pas lui laisser un réchappé» (v. 11). Ce n’était pas proprement ce que l’Éternel avait dit (1 Rois 21:21-26). Jéhu outrepassait ses ordres et sa mission, mais il était dans l’intérêt de sa domination que toute sympathie pour Achab disparût d’Israël.

Lorsque la Parole nous dépeint de tels caractères, souvenons-nous que Dieu est loin de nous exprimer toujours son approbation ou sa désapprobation des instruments qui servent à ses desseins. Il nous dira en quoi Jéhu s’est bien acquitté de sa tâche et n’ira pas plus loin, laissant l’appréciation de sa conduite à notre jugement spirituel, afin que nous en tirions de l’instruction pour nous-mêmes. Que le lecteur se rappelle l’histoire des Juges et la manière dont les actes des libérateurs d’Israël nous y sont racontés. On pourrait multiplier les exemples, en prenant l’histoire de Jacob et de tant d’autres. Que Dieu emploie un Jéhu ou un Samson pour accomplir ses jugements, ne signifie nullement qu’il y ait chez ces hommes une foi vivante, ou que l’état de leur cœur ait son approbation. Samson et Barac sont nommés en Héb. 11, parce qu’il ne s’agit pas, dans ce chapitre, de la foi en elle-même, mais de son activité, ce qui est autre chose. Leur conduite, je le répète, se discerne spirituellement, et voilà pourquoi le monde ne comprend rien à ces exemples donnés par la Parole. En d’autres cas, surtout lorsqu’il s’agit du roi, Dieu nous donne d’habitude son sentiment. Il juge en lui l’état de choses dont il est le représentant responsable, et si Dieu ne le faisait pas, la justice de ses jugements pourrait être mise en question, étant toujours laissée à notre appréciation faillible.

Cette remarque trouve une application toute particulière dans le cas de Jéhu, qui est à la fois l’instrument de la colère de Dieu contre la maison d’Achab et celui auquel la royauté est confiée. Il reçoit d’un côté le témoignage de l’approbation de l’Éternel pour avoir exécuté ce qui était droit à ses yeux (10:30), et cela sans aucune restriction quant à son caractère moral; de l’autre, au verset suivant (v. 31), sa conduite, comme roi, est sévèrement blâmée de l’Éternel. Quant au massacre de Jizreël, nous trouvons, en Osée 1:4, ce que Dieu en pense et quelle en est la conséquence: «Encore un peu de temps, et je visiterai le sang de Jizreël sur la maison de Jéhu, et je ferai cesser le royaume de la maison d’Israël; et il arrivera, en ce jour-là, que je briserai l’arc d’Israël dans la vallée de Jizreël».

Les frères d’Achazia, roi de Juda (v. 12-14), subissent le même sort que lui près de la cabane des bergers. En comparant 2 Rois 9:27-29, et 2 Chron. 22:7-9, nous apprenons qu’avant d’être frappé près de Meguiddo, Achazia s’était réfugié à Samarie et n’avait pas encore été arraché de sa retraite quand ses frères vinrent pour visiter les fils de Joram. Ce ne fut qu’après l’extermination de ses frères qu’Achazia fut amené à Jéhu, et subit cette «ruine de la part de Dieu» à la montée de Gur, mais pour aller mourir à Meguiddo, puis être transporté et enseveli à Jérusalem.

Si l’acte de Jéhu n’avait pas été ordonné de l’Éternel, il n’en est pas moins vrai que Dieu l’avait décrété. Ce passage nous offre une sérieuse leçon. S’allier, comme Achazia, à un monde sur lequel la colère divine est suspendue, c’est s’exposer à la ruine subite qui l’atteindra. Mais ceux qui, sans égard à la sainteté de Dieu, vont, ne fût-ce que resserrer les liens d’amitié avec ce monde, subissent un sort semblable. Les frères d’Achazia en portent la funeste conséquence. Il ne peut, il ne doit y avoir, pour ceux que Dieu appelle à conduire son peuple, aucune communion quelconque avec ce qu’il réprouve.

Nous trouvons, en revanche, un exemple frappant de la séparation du mal chez Jonadab, fils de Récab (Jér. 35), qui vient à la rencontre de Jéhu (v. 15). Jonadab était de la race des Kéniens, entrés avec Israël en Canaan. Ils s’étaient divisés en plusieurs branches, la moindre dans l’extrême nord à Kédesh de Nephthali (Juges 4:11), la plus forte au désert de Juda qui est au midi d’Arad (Juges 1:16); une troisième enfin, subdivisée en plusieurs familles, dans les environs de Jahbets qui appartenait à Juda (1 Chron. 2:55). Nous ne savons ce qui amenait Jonadab du royaume de Juda dans celui d’Israël. Faisait-il partie de la suite des frères d’Achazia, ce que donnerait à penser la demande abrupte de Jéhu? Quoiqu’il en soit, il n’avait aucun lien avec tout le mal qui l’environnait. Ses principes étaient ceux d’une séparation absolue pour Dieu, d’un véritable nazaréat et, ne pouvant les inculquer au milieu corrompu qui l’entourait, il les avait du moins enseignés à sa famille et à sa maison. Le cercle de son témoignage était restreint, en présence de l’infidélité envahissant comme une marée montante les deux maisons d’Israël, mais ce n’était pas moins un témoignage, et Dieu l’approuvait. Nous connaissons ces détails, d’après le chap. 35 de Jérémie. Les principes de Jonadab étaient ceux de tout vrai Nazaréen. 1° S’abstenir de vin qui représente les convoitises enivrantes du monde. 2° Ne pas bâtir de maison, c’est-à-dire ne pas s’établir ici-bas d’une manière permanente. 3° Ne pas semer de semence, comme si l’on devait attendre, ne fît-ce qu’une année de récolte. 4° Ne pas planter de vigne, c’est-à-dire ne pas cultiver ce qui mènerait tôt ou tard à l’abandon du nazaréat, et combien de croyants l’ont perdu pour n’avoir pas veillé sur ce point! 5° Habiter sous des tentes, en vrais fils d’Abraham, comme pèlerins et voyageurs dans le pays de la promesse. Jonadab comprenait que cette terre donnée au peuple de Dieu n’était nullement sa possession actuelle, tant que subsistait la ruine morale du peuple et les bouleversements matériels qui en étaient la conséquence. Sa foi attendait encore un repos pour le peuple de Dieu; lui et ses fils le témoignaient par leur attitude.

Il ne nous est pas dit à quelle occasion Jonadab avait enseigné ces règles aux siens, mais comme la seule et unique mention historique qui soit faite de lui se trouve dans notre chapitre, nous pouvons en inférer que la vue du mal et de la ruine générale après les règnes glorieux de David et de Salomon, lui avait fait sentir la nécessité d’une marche très étroite, et le retour aux «choses du commencement» enseignées par les patriarches, en contraste avec le relâchement qui l’entourait. Puissions-nous être aussi, dans ces temps de la fin, de vrais enfants de Jonadab, fils de Récab, non pas, comme cela est si d’usage aujourd’hui, par des pratiques extérieures qui laissent le cœur éloigné de Dieu et par lesquelles Satan trompe les âmes, mais par la conduite morale que ces pratiques symbolisaient sous l’économie de la loi!

Jéhu salue Jonadab et lui dit: «Ton cœur est-il droit, comme mon cœur l’est à l’égard de ton cœur?» Jonadab peut répondre: «Il l’est». Mais il y a ici une différence. Son cœur était droit à l’égard de l’Éternel; ses principes viennent de nous l’apprendre. Celui de Jéhu était droit à l’égard de Jonadab auquel il confie ses desseins, mais aurait-on pu dire qu’il était droit à l’égard de Dieu? La suite nous le montrera. «Viens avec moi», dit Jéhu, «et vois mon zèle pour l’Éternel» (v. 16). Et cependant combien ce zèle était partagé! S’il est entier, le serviteur de Dieu n’en parle guère, mais est plutôt disposé à s’écrier: Je suis un serviteur inutile. Qu’il y eût du zèle chez Jéhu, il n’en faut pas douter, mais dans quelle proportion était-il pour l’Éternel? Saul de Tarse était un ardent zélateur des traditions de ses pères; quant au zèle, il persécutait l’Église en croyant servir Dieu. Paul disait des Juifs, ses frères selon la chair, qu’ils avaient «du zèle pour Dieu, mais non pas selon la connaissance». Il y avait certes plus de zèle véritable, plus de connaissance, plus de puissance dans la sainte séparation de Jonadab, que dans la marche impétueuse de Jéhu. Le v. 31 nous renseigne sur la valeur et la mesure du zèle de ce dernier.

Après avoir «frappé tous ceux qui restaient d’Achab à Samarie, jusqu’à ce qu’il l’eût détruit, selon la parole de l’Éternel qu’il avait dite à Élie» (v. 17), Jéhu s’en prend aux prêtres de Baal. Nous voyons encore là une prudence humaine, ne laissant rien à l’imprévu, jointe à une ruse qui n’est du reste pas le trait dominant de ce caractère (v. 19). En tout cas, ce n’est pas la marche simple et courageuse de la foi selon la vérité. Combien l’attitude de Jéhu diffère de celle d’Élie se tenant seul, dans une confiance inébranlable en l’Éternel, vis-à-vis de la puissance ennemie du roi, de tous les prêtres de Baal et d’un peuple «hésitant entre les deux côtés» — seul pour tenir tête à tous, parce que le Dieu auquel il se confiait était avec lui. Pas une ruse dans la scène du torrent de Kison! L’autorité seule de la parole du prophète, suffit pour détruire tous les prêtres du faux dieu!

Ce n’est pas que Jéhu n’appréciât pas la parole de Dieu prononcée par Élie, mais il s’en tenait là. Hors les paroles du prophète qui le concernaient, il n’avait pas une connaissance réelle des pensées de Dieu. Il ne cite qu’Élie (9:25, 36; 10:17); il ne connaît que les jugements de Dieu. Il ne mentionne pas même Élisée dont il a pu suivre la carrière dès le commencement. La grâce n’a pas de prise sur son cœur. Rien n’est plus dangereux qu’une connaissance partielle des principes divins. Elle mènera toujours à une fausse application de ces principes et à une mauvaise marche. Jéhu croyait avoir tout accompli par son œuvre d’extermination, et ne comprenait pas que tout le zèle imaginable ne valait pas un seul acte d’obéissance qui l’eût séparé de la religion de Jéroboam, fils de Nébath, par laquelle il fit pécher Israël.

Lors de l’extermination des prêtres de Baal, de leur temple et de leur idole, où Jéhu distribua les rôles à ses capitaines et à ses serviteurs avec tant d’esprit stratégique (v. 18-27), la manière d’agir de Jonadab, fils de Récab, fait ressortir le caractère de cet homme de Dieu. Jéhu lui a confié son plan; il accompagne Jéhu, mais ne paraît (v. 23) que pour constater qu’aucun serviteur de l’Éternel ne se trouve confondu avec les serviteurs de Baal. N’est-ce pas un beau rôle, semblable à celui de Jérémie: «Si tu sépares ce qui est précieux de ce qui est vil, tu seras comme ma bouche»? (Jér. 15:19). Jonadab était comme la bouche de Dieu en séparant d’abord sa propre maison, puis tous les vrais serviteurs de l’Éternel, de la masse corrompue et idolâtre.

Aujourd’hui comme alors, le travail qui sépare du monde et réunit ensemble les enfants de Dieu, car ces deux fonctions n’en font qu’une, a toute l’approbation du Seigneur, quoi que puissent dire le monde ou même les chrétiens qui désirent conserver des relations avec le monde. C’est aussi là que se trouve la puissance (Jér. 15:20). Élie possédait l’Esprit de Dieu qui opérait en lui une complète séparation du mal, et dont la puissance animait le prophète d’un saint zèle pour l’Éternel. Jéhu a le zèle sans l’Esprit, un zèle employant des moyens humains pour répondre aux ordres de Dieu. Aussi qu’arrive-t-il? Si en apparence le résultat, l’extermination des prêtres de Baal, est le même du côté d’Élie et du côté de Jéhu, il est tout autre en réalité. Élie (tout en étant discipliné) continue son chemin dans la puissance de l’Esprit, semblable, au bout de sa carrière, à ce Christ qu’en type il représente, et il la termine glorieusement, enlevé au ciel par les chars et la cavalerie d’Israël. Jéhu, fougueux exécuteur du jugement sur d’autres, ne l’exerce en aucune manière sur lui-même et ne se détourne pas du mal et de l’idolâtrie pour servir Dieu seul. Les veaux de Jéroboam, religion nationale consacrée par l’usage, ne le scandalisent pas, car, à coup sûr, sa politique et les intérêts humains de son règne s’en accommodent parfaitement. Malgré cela, quelle appréciation équitable de la part de Dieu! Il tient compte à Jéhu du fait qu’il «a exécuté ce qui était droit à ses yeux», en jugeant la maison d’Achab et lui donne, en raison de cela, une postérité sur le trône jusqu’à la quatrième génération.

D’autre part, quelle justice et quelle sainteté parfaite en Dieu! Il emploie Hazaël, sa verge, pour frapper Jéhu. «En ces jours-là, l’Éternel commença à entamer Israël; et Hazaël les frappa dans toutes les frontières d’Israël, depuis le Jourdain, vers le soleil levant, tout le pays de Galaad, les Gadites, et les Rubénites, et les Manassites, depuis Aroër, qui est sur le torrent de l’Arnon, et Galaad, et Basan» (v. 32-33). Du vivant de Jéhu, son royaume est entamé de tous côtés et surtout dans le domaine des tribus au delà du Jourdain. Ces malheurs sont le jugement de Dieu sur sa conduite. Ici, Dieu exprime son mécontentement, non par des paroles, mais par des actes qui ne semblent pas avoir atteint la conscience du roi.

Les chroniques des rois d’Israël (v. 34) contiennent, si elles se retrouvent jamais, les actes et toute la puissance de Jéhu, mais non pas ce qu’il était devant Dieu, ni le jugement de Dieu sur sa conduite comme roi.

Joakhaz, son fils, règne à sa place.