2 Rois

Chapitre 3

Chapitres 3 à 8:15 — Élisée

Joram et la guerre contre Moab

«Et Joram, fils d’Achab, commença de régner sur Israël à Samarie la dix-huitième année de Josaphat, roi de Juda; et il régna douze ans» (v. 1).

Notre but n’est pas d’expliquer toutes les difficultés chronologiques soulevées par le règne de Joram, fils de Josaphat, roi de Juda (Comparez 1:17; 3:1; 8:16; 1 Rois 22:52; 2 Chron. 20:31). Nous reviendrons, au chapitre 8, sur les plus importantes. L’incrédulité, prompte à trouver la parole de Dieu en défaut, n’a pas manqué de relever ici d’apparentes erreurs. Admettre une faute de copiste (chose toujours possible) au chapitre 1:17, ne lèverait la difficulté qu’à demi. Le croyant, sans vouloir tout expliquer, s’attend à Dieu et reçoit de la lumière en temps et lieu, comme prix de sa confiance.

Dans ce chapitre, nous trouvons le prophète aux prises avec les circonstances du monde qui l’entoure. Quels troubles va rencontrer celui qui descend du mont Carmel pour visiter Samarie! Moab s’était rebellé contre Israël; c’était la suite de l’infidélité d’Achab (1:1), mais elle pesait, comme jugement de Dieu, sur Achazia, son indigne successeur. La coutume des rois asservis, dès qu’il y avait un changement de règne, était de secouer le joug de leurs oppresseurs (v. 4, 5). L’homme politique ne voit pas autre chose dans cette révolte de Moab, tandis que le croyant y reconnaît la main de Dieu en châtiment ou en jugement.

Joram, fils d’Achab, s’était montré en un sens moins irréligieux que son père. Il avait enlevé l’idole de Baal érigée par Achab, toutefois sans en détruire les prophètes, comme on peut l’inférer de la réponse d’Élisée, au v. 13. Il abandonnait extérieurement ce culte abominable, mais se préoccupait bien peu d’en laisser subsister l’esprit. Ce qu’il n’abandonnait nullement, c’était le culte national institué par Jéroboam, fils de Nebath, et qui cachait une grossière idolâtrie sous les apparences de la religion du vrai Dieu.

Élisée est témoin de l’alliance entre Joram d’Israël et Josaphat contre Moab. Joram suit ici la tradition du règne de son père qui s’était allié avec ce même Josaphat contre les Syriens, mais il va plus loin que lui dans le mal. Comme il a besoin de passer par le territoire d’Édom pour atteindre Moab (v. 8), il comprend dans son alliance cette nation, idolâtre, bien connue par son inimitié acharnée contre le peuple de l’Éternel. Quel tableau du monde, dont la politique ne tient aucun compte de Dieu!

Selon l’homme, tout est calculé pour une réussite certaine; la petite nation guerrière de Moab ne pourra, malgré sa vaillance, résister à cette puissante confédération; mais Dieu est là, le seul dont Joram aurait dû tenir compte et qu’il laissait outrageusement de côté.

Et que penser de l’intègre Josaphat, déjà instruit des pensées de Dieu par une expérience précédente (1 Rois 22), et retombant, peu d’années après, dans les errements qui l’avaient amené à deux doigts de sa perte? «J’y monterai», dit-il, «moi je suis comme toi, mon peuple comme ton peuple, mes chevaux comme tes chevaux»; exactement les mêmes paroles qu’il avait dites autrefois à Achab. La bienveillance et l’amabilité selon le monde, le désir de lui plaire, l’alliance avec lui pour la promotion d’intérêts communs, sont de terribles obstacles à une marche fidèle, et lorsque ces sentiments ne sont pas appelés par le chrétien de leur vrai nom, qui est le péché, ils ruinent son témoignage, contribuent à maintenir le monde dans une fausse sécurité, puisqu’il s’illusionne et croit marcher dans le chemin chrétien, parce que des enfants de Dieu marchent avec lui, tandis que c’est, de fait, le chrétien qui marche dans le chemin du monde. Cette marche, enfin, si elle n’entraîne pas un jugement immédiat sur le croyant, est du moins stérile pour lui, comme le montre l’histoire de Josaphat et, si elle profite à quelqu’un, c’est au roi apostat, Joram, dont cette alliance accroîtra la puissance et la prospérité. Josaphat était ce qu’on appelle un esprit large, tolérant. La division d’Israël était pour lui un fait accompli qu’il ne ressentait plus, s’il l’avait jamais ressenti. Il ne heurtait pas les opinions ni la religion de Joram. Il s’associait volontiers avec lui, sous prétexte de lui être utile, mais il oubliait une chose autrement importante, c’est qu’il se solidarisait avec un homme qui déshonorait Dieu, outrageait sa sainteté et ne tenait aucun compte de sa Parole. Naturellement, le monde approuve bien haut une telle alliance, et donne de tels croyants en exemple à ceux qui se séparent du mal pour être de vrais témoins de Christ. «Moi je suis comme toi, mon peuple comme ton peuple, mes chevaux comme tes chevaux». Et pourquoi pas? dit le monde. Parce que j’abandonne mon témoignage, si ce n’est Dieu lui-même, du moment que j’accepte une alliance avec le monde ennemi de Dieu.

Cette marche a encore un autre inconvénient, et des plus graves. On peut, comme Josaphat, s’allier avec un Joram, représentant le monde qui garde encore l’apparence extérieure de la religion divine. Aux yeux de Josaphat, cela semblait, sans doute, valoir mieux que son alliance avec Achab. Il caressait peut-être l’illusion que Joram, ayant jeté bas la stèle de Baal, l’alliance avec lui était permise. De fait, elle était pire que la première, car elle conduisait à une alliance avec Édom, chose que le pauvre Josaphat n’avait guère soupçonnée, ou dont peut-être il ne s’estimait pas solidaire.

Achab, avant d’aller à la guerre, avait rassemblé les prophètes pour s’enquérir s’il devait l’entreprendre (1 Rois 22:6). Joram ne semble pas même y songer; Josaphat, hélas! pas davantage. Il avait été plus fidèle vis-à-vis d’Achab (1 Rois 22:5). Quand le croyant récidive dans le mal, au lieu de s’en abstenir, sa conscience s’émousse, et il finit par ne plus éprouver le besoin des directions de la Parole dont il avait auparavant senti la nécessité.

Ces trois rois, si tristement associés, partent donc et, au lieu de rencontrer l’ennemi, ont affaire à des circonstances qui leur prouvent qu’on ne peut pas oublier Dieu sans danger. L’eau manque; le roi d’Israël dit: «Hélas! l’Éternel a appelé ces trois rois pour les livrer en la main de Moab!» Il n’avait suivi jusqu’ici que sa propre volonté; quand il se souvient de l’Éternel, il l’accuse de l’avoir conduit à la ruine avec ses deux compagnons. L’homme se révolte contre son sort, c’est-à-dire contre Dieu qui le dirige, au lieu de reconnaître que c’est lui qui se l’est attiré. Le pieux Josaphat, quoique manquant de discernement pour apprécier le mal et lui-même, a toutefois cette pensée juste quoique tardive, qu’on ne peut sortir de difficulté qu’en consultant l’Éternel. Joram, lui, ignorait l’existence d’Élisée, prophète en Israël, et ne sentait pas plus le besoin, en présence du désastre, d’interroger un porteur de la parole de Dieu, que lorsqu’il se mettait en campagne. Heureusement que l’un de ses serviteurs connaît Élisée. Les petits sont au fait des ressources divines, alors que les grands de la terre ne s’en enquièrent pas. Ils sont aussi plus à même d’apprécier le caractère du prophète qui, dans l’oubli de lui-même, avait été un si parfait serviteur d’Élie, que son nom, comme nous l’avons vu, n’avait pas été prononcé depuis son premier appel, jusqu’au jour où il fut appelé à remplacer son maître dans sa mission. Souvenir odieux, sans doute, à Joram, car il lui rappelle Élie et ses jugements sur son père, sa mère et son frère.

Josaphat, à l’ouïe du nom d’Élisée, retrouve une juste appréciation de la Parole de Dieu: «La parole de l’Éternel est avec lui» (v. 12). Les trois rois descendent vers le prophète qui ne prend pas même garde au roi d’Édom, renvoie le roi d’Israël aux prophètes de Baal et ne tient compte que du faible Josaphat, représentant unique, quoique en si mauvaise compagnie, du témoignage de Dieu en Israël. Quelque pauvres et inconséquents qu’ils soient, le Seigneur n’oublie pas les siens et tient compte de la plus faible marque de fidélité à son égard. Quant aux dix tribus, elles sont définitivement rejetées dans la personne de leur roi responsable. Comme toujours, la patience inépuisable de Dieu suspend encore le coup qui va le frapper et tiendra compte jusqu’au bout du moindre retour vers Lui, mais cette parole terrible retentit: «Qu’y a-t-il entre moi et toi?» N’est-ce pas le: «En vérité, je vous dis: je ne vous connais pas», de Matthieu 25:12, pire encore que la sentence prononcée sur Achazia: «Tu mourras certainement».

Cependant, Élisée est un prophète de grâce. Il n’ignore pas le mal, mais, au lieu de prononcer le jugement, il indique une ressource miraculeuse pour ces trois rois dans leur calamité. Il a besoin, pour parler de délivrance, de s’abstraire de ce qu’il a sous les yeux et qui pourrait l’exciter à prononcer un jugement sans merci. «Amenez-moi», dit-il, «un joueur de harpe». Comment s’abstraire mieux qu’en élevant son âme vers Dieu, car c’était avec des instruments à cordes que le cœur des fidèles exhalait vers l’Éternel sa louange, ses désirs, ses besoins ou ses plaintes. Le remède agit: «La main de l’Éternel fut sur Élisée». Alors il peut révéler par quelle intervention miraculeuse (v. 16-19) l’Éternel opérera la délivrance. Il faut préparer les fosses destinées à recevoir l’eau, et le Seigneur les remplira. Il ne fait pas de miracle de grâce qui n’ait en même temps pour but de mettre la foi en action. Nous en verrons plus d’un exemple dans l’histoire du prophète Élisée. Ici, l’Éternel n’intervient pas, ce qu’il fit en d’autres occasions, par des moyens naturels, vent ou pluie. Il coupe court à tous les raisonnements incrédules des rois confédérés.

La délivrance a lieu le matin, à l’heure même où l’on offre le sacrifice sur l’autel. Le culte national idolâtre de Jéroboam n’a rien à faire avec cette heure, et Dieu ne le reconnaît en aucune manière; son intervention est en rapport avec l’autel du temple de Jérusalem. C’est ce dernier qui, pour ainsi dire, ouvre les écluses miraculeuses par lesquelles toute une armée va être abreuvée. Il en est de même de la croix de Christ. Quelque éloignée qu’elle soit en apparence, c’est à l’heure de cette offrande que Dieu regarde pour sauver tous ceux qui se confient en sa Parole. L’eau de la vie a pour origine la mort de la victime. Mais ce qui est vie pour les uns est mort pour les autres. Moab, trompé par l’apparence, se précipite, tête baissée, dans son propre jugement, au moment même où l’Éternel délivre ceux qui ont accepté son message. Pour n’avoir pas distingué et reconnu la délivrance envoyée de Dieu, Moab est détruit et la victoire est du côté de ceux qui ont bu les eaux préparées par la grâce. N’était-ce pas comme un accomplissement partiel de la prophétie de Balaam: «L’eau coulera de ses seaux... et son roi sera élevé au-dessus d’Agag»? (Nombres 24:7).

Israël seul est mentionné comme frappant l’ennemi et accomplissant sa destruction, selon la prédiction d’Élisée. Le roi de Moab essaie de pénétrer avec sept cents hommes jusqu’au roi d’Édom, sans doute pour se réfugier auprès de lui, mais il n’y peut réussir. Alors il offre son premier-né en holocauste sur la muraille. Cela ne rappelle-t-il pas ce que plus tard dira l’Éternel, à propos de ce même Moab: «Donnerai-je mon premier-né pour ma transgression, le fruit de mon ventre pour le péché de mon âme?» (Michée 6:7).

Cet horrible sacrifice provoque l’indignation des alliés d’Israël, dont la vengeance a poussé Moab à cette extrémité1, ils se retirèrent du vainqueur pour rentrer chez eux. Victoire inutile. Moab peut se croire délivré par cette épouvantable offrande à son dieu et reste invaincu au milieu de ses ruines, prêt aux pires représailles. Tel sera toujours le résultat des victoires humaines, quand ce n’est pas Dieu qui conduit son peuple à la victoire. Édom, allié d’un jour, sur lequel Israël avait compté, l’abandonne et s’indigne contre lui, du moment qu’il livre combat avec le nom de l’Éternel pour bannière. Josaphat le quitte aussi et retourne dans son pays avec les mêmes sentiments, quoique provenant d’autres motifs. Joram doit apprendre qu’une religion n’ayant que l’apparence de la vraie, ne trouve un appui durable, ni chez les incrédules avoués, ni chez ceux qui gardent le témoignage de Dieu.

1 C’est du moins le sens que je crois devoir attribuer à cette parole.