2 Chroniques

Chapitre 28

Achaz

Le règne d’Achaz est particulièrement mauvais en ce qui concerne ses relations avec l’Éternel, et n’oublions pas que ces relations sont le point essentiel, unique même, de tout bon règne en Juda. On ne peut assez insister sur le fait qu’Israël, bien différent en cela des autres nations, n’avait ni destinée, ni raison d’être, à part du culte du vrai Dieu, et cela nous explique le rôle si prépondérant de l’élément religieux et sacerdotal dans l’histoire de la royauté, telle que les Chroniques nous la présentent. Lorsque le roi, représentant responsable du peuple devant Dieu, était fidèle, le temple, la sacrificature, l’observation du culte et des fêtes, caractérisaient son règne avant toute autre chose; quand il ne maintenait pas le culte de l’Éternel et tombait dans l’idolâtrie, il était responsable de la déchéance nationale qui en était la suite et des jugements de Dieu contre le peuple.

Cependant nous venons aussi de voir que, sous le règne de Jotham, le peuple, en dépit de la fidélité du roi, se corrompait toujours plus, ce qui justifie la sentence prononcée contre lui et ses conducteurs par tous les prophètes qui se succédèrent dès cette époque.

Le rétablissement du culte en Juda, comme son abandon, avait donc une importance capitale. Abandonné, il rabaissait Juda au niveau des nations idolâtres et le livrait aux mêmes jugements; rétabli, il attirait de nouveau la faveur de Dieu sur ce pauvre peuple alors même qu’il marchait si rapidement à la ruine.

Dès le début, les rois d’Israël avaient abandonné le culte du vrai Dieu pour établir des idoles nationales, aussi les jugements de Dieu qui les avaient atteints depuis le commencement étaient à la veille de devenir définitifs. Juda allait-il subir le même sort? Sans aucun doute, car Dieu n’a pas deux poids et deux mesures; mais un seul fait restait encore en faveur de Juda, c’est que Dieu avait des desseins à son égard, qu’il avait aimé et choisi Jérusalem pour être le siège de la royauté et un fils de David pour l’exercer. Or ce n’était pas autre chose que la grâce, sans laquelle, comme nous l’avons dit souvent, rien ne pouvait subsister, mais aussi que Dieu ne pouvait cesser d’exercer sans se renier lui-même. Cela seul nous fait comprendre ces alternatives de jugement où tout semble perdu, de restauration, où tout semble retrouvé, et qui caractérisent la période de la fin. L’histoire d’Achaz nous fournit un exemple solennel de la première alternative.

Son histoire diffère sensiblement de celle du second livre des Rois, sauf que le rôle d’Achaz est odieux dans l’un comme dans l’autre récit. Loin d’atténuer son idolâtrie, les Chroniques en aggravent encore le récit, en nous disant: «Même il fit des images de fonte pour les Baals; et il fit fumer de l’encens dans la vallée du fils de Hinnom» (v. 2-3). L’abominable culte de Moloch qui exigeait des sacrifices humains, le fait qu’il sacrifiait lui-même sur les hauts lieux, servent de prélude à ce mauvais règne.

Le passage contenu entre les v. 5 et 15 de notre chapitre diffère du récit de 2 Rois 16. Dans ce dernier, Jérusalem assiégée par Retsin, roi de Syrie, et Pékakh, roi d’Israël, est préservée de l’entrée de ces princes alliés. Les Chroniques se taisent sur cette délivrance, ainsi que sur la prise d’Élath par Retsin, ville recouvrée jadis par Amatsia (26:2), et si importante pour la puissance maritime de Juda. Le récit des Chroniques nous apprend, en revanche, qu’un grand nombre des captifs de Juda tombèrent aux mains de Retsin qui les emmena à Damas. Dès ce moment il ne nous est plus parlé de ces captifs, mais nous pouvons conclure, d’après les paroles d’Ézéchias (29:9), que Tiglath Piléser, roi d’Assyrie, après s’être emparé de Damas, ne les rendit pas à Achaz, lorsque ce dernier descendit à Damas pour le voir. Tiglath Piléser «le traita en ennemi», nous dit le v. 20.

La défaite infligée à Juda par Pékakh, roi d’Israël, eut une toute autre gravité. En un jour Pékakh tua cent vingt mille hommes de Juda, propres à la guerre, «car ils avaient abandonné l’Éternel, le Dieu de leurs pères». Le jugement de Dieu n’est donc plus seulement, comme nous l’avons dit, la conséquence de l’infidélité du roi, mais de celle du peuple lors du règne du fidèle Jotham. Un fils du roi et un prince destiné à la régence du royaume sont pris et massacrés; deux cent mille captifs, tant hommes que femmes, sont emmenés par Israël avec un grand butin. Le royaume de Juda, si éprouvé, frappé de tant de coups, semble définitivement effondré. Cependant, malgré tout, Dieu ne permet pas que le fils de Tabeël soit substitué à la vraie descendance de David, comme les princes alliés en avaient l’intention (voyez Ésaïe 7:6), car Dieu ne peut être infidèle à ses propres promesses.

Mais voici qu’un prophète se lève en Israël, chose bien rare depuis Élisée, et particulièrement en des jours où déjà les dix tribus étaient abandonnées de Dieu. Au moment où les prophètes qui si souvent s’adressaient de vive voix aux rois de Juda, se taisent, la voix d’Oded se fait entendre en Israël (v. 9). C’est que le Seigneur n’avait pas encore décrété l’anéantissement de la royauté de Juda, et voulait encore préserver pour un moment une partie de ce peuple coupable. Quand il ne peut plus faire entendre la voix des prophètes en Juda, il en envoie un à Israël en faveur de Juda. Quelle grâce pour ce peuple dont l’état devait attirer la vengeance céleste!

Oded montre à son peuple que sa victoire n’est que le résultat du courroux de Dieu contre Juda, mais qu’Israël l’avait massacré «avec une rage qui était parvenue jusqu’aux cieux»; et maintenant Israël voulait «s’assujettir comme serviteurs et servantes les fils de Juda et de Jérusalem!» Oded proclame devant tous que le centre divin du gouvernement est en Juda et revendique le choix de cette tribu par l’Éternel. Si un prophète d’Israël disait ces choses, quelle n’aurait pas dû être l’humiliation des dix tribus! «N’avez-vous pas avec vous», leur dit-il, «ne concernant que vous, des péchés contre l’Éternel, votre Dieu?» (v. 10). En effet, Éphraïm avait, dans ces choses, une part qui ne concernait que lui. À cause de ses péchés, «l’ardeur de la colère de l’Éternel était sur lui»; c’était à quoi il devait prendre garde. Si ceux d’Israël étaient la verge de Dieu pour punir leurs frères, étaient-ils moins coupables parce que leurs frères avaient mérité ce jugement?

Cet appel d’Oded ne manque pas d’actualité pour nous-mêmes. Quand surgissent entre chrétiens des conflits et des divisions, conséquence humiliante de leur péché, la guerre qui s’allume entre eux est un jugement sévère qui les atteint. Mais est-il moins sévère pour le parti qui succombe que pour celui qui triomphe? Ce dernier a-t-il, étant vainqueur, davantage l’approbation de Dieu que son adversaire? Nullement. La colère de l’Éternel repose également dans ce conflit, sur les victorieux et sur les vaincus. «N’avez-vous pas avec vous, ne concernant que vous, des péchés contre l’Éternel, votre Dieu?»

«Et maintenant, écoutez-moi», ajoute Oded: «Renvoyez les captifs que vous avez emmenés captifs d’entre vos frères» (v. 11). Il ne fallait pas, souvenons-nous-en, que cette victoire fût d’aucun profit pour Israël. Hommes, femmes, et tout le butin devaient être renvoyés. Le peuple ne devait pas même avoir la pensée que, s’il était vainqueur, sa cause était juste. S’il avait été l’épée de l’Éternel contre Juda et l’avait maniée avec rage, il devait se souvenir que cette même épée était dirigée maintenant contre lui.

Quatre hommes d’entre les chefs d’Éphraïm acceptent par la foi les paroles du prophète. Elles agissent sur leur conscience et les rendent capables de parler au peuple avec une entière conviction, car ils reconnaissent avoir part, eux-mêmes, au péché, à la faute, au crime de tous. Ils se lèvent contre ceux qui viennent de l’armée et leur disent: «Vous ne ferez point entrer ici les captifs, car, pour notre culpabilité devant l’Éternel, vous pensez ajouter à nos péchés et à notre crime; car notre crime est grand, et l’ardeur de la colère est sur Israël» (v. 13). Les paroles d’Oded: «L’ardeur de la colère de l’Éternel est sur vous», produisent une telle impression sur la conscience de ces quatre hommes fidèles, qu’ils les répètent: «L’ardeur de la colère de l’Éternel est sur Israël». Dieu parle par leur bouche, parce que la Parole a d’abord exercé son autorité sur leur conscience, et elle possède une puissance de conviction qui soumet les âmes. Quelque impuissants que soient en apparence les quatre instruments dont elle se sert, Dieu a le dessus; ces hommes sont écoutés; le peuple laisse à elle-même cette multitude de captifs sans ressources, exténués, et qui avaient perdu tous leurs biens.

Mais là ne s’arrête pas l’énergie de la foi chez les quatre qui avaient exhorté leurs frères. Eux seuls achèvent la tâche, eux seuls sont honorés par le plein résultat de leur œuvre. La Parole insiste là-dessus: «Ces hommes qui ont été nommés par leur nom se levèrent». Ils prennent les captifs, donnent des vêtements à tous ceux qui sont nus, emploient pour eux ce qui se trouve dans le butin, les chaussent, les font manger et boire, les oignent d’huile. Quelle sollicitude! Qui a pu disposer ces quatre hommes à une telle tâche? Le changement opéré dans leurs cœurs par la parole de Dieu! Chez eux, trois choses se succèdent d’une manière admirable: la foi en la Parole, la repentance qu’elle produit, enfin l’amour, inséparable de l’œuvre de Dieu dans le cœur, l’amour pour les coupables, l’amour pour nos frères. C’est ainsi qu’ils accomplissent l’œuvre de la grâce envers d’autres. Demandons-nous si à ce moment-là, une telle foi, un tel dévouement, une telle énergie, se seraient trouvés en Juda? Sans hésiter nous pouvons répondre par la négative. Israël était déjà voué au jugement final et, à cet instant suprême, la parole de Dieu retentit au milieu de ce troupeau que l’on va conduire à l’abattoir. Quatre hommes écoutent; quatre justes sont trouvés, bien moins nombreux que les yeux d’Abraham n’en discernaient à Sodome, et leur foi sauve Israël de la destruction immédiate déjà décrétée sur ce peuple par la colère de Dieu!

L’œuvre de ces hommes n’est pas terminée; il leur faut encore ramener tous ces malheureux dans leur pays pour les mettre à l’abri. Jéricho, jadis ville de malédiction, aujourd’hui la ville des palmiers, la ville de la protection paisible, Jéricho, dont les eaux mauvaises avaient été jadis assainies par le prophète, devient leur refuge. Ce n’est qu’après les avoir amenés sous la protection de leur Dieu, que ces quatre hommes les quittent pour retourner à Samarie. Alors seulement leur mission est accomplie.

Suivons l’exemple de ces hommes et marchons dans le même chemin, par la foi, dans le jugement de nous-mêmes, ne craignant pas d’annoncer au monde religieux qui nous entoure le sort qui lui est réservé, dévoués sans lassitude et sans restriction à tous les misérables, remplis de cette énergie d’amour qui n’est satisfaite que lorsqu’elle a amené les âmes sous la protection du Sauveur, dans l’heureuse sécurité des enfants de Dieu!

Vers ce temps-là et devant l’envahissement de Juda par Pékakh et Retsin, Achaz fit appel à l’Assyrie, ce qui lui fit refuser hypocritement la proposition d’Ésaïe de demander un signe à l’Éternel (Ésaïe 7:10-12). Son parti était pris, son plan dressé; décidément il avait confiance en l’homme et aucune confiance en Dieu. Pauvre Achaz! il eut beau enrichir l’Assyrien, pour se le concilier, de tous les trésors du roi, de ses chefs, et de la maison de l’Éternel; s’appauvrissant pour gagner la protection de Tiglath-Pilézer, il n’en retira rien. Ce dernier «vint contre lui, et le traita en ennemi et ne le fortifia pas»; «il ne lui fut d’aucune aide» (v. 20, 21).

Si vous cherchez le secours et l’appui du monde, au lieu de vous confier en Dieu, vous qui vous vantez de porter le nom de Christ et qu’Il a enrichis de tant de privilèges, vous y trouverez ce que trouva Achaz. Et ce misérable, non content de chercher un tel appui, substitua les dieux de Syrie au vrai Dieu, disant: «Puisque les dieux des rois de Syrie leur sont en aide, je leur sacrifierai, et ils me seront en aide» (v. 23); il abandonna l’humble autel de Dieu, l’autel de l’expiation, pour le remplacer par le somptueux autel des dieux de Damas; il tint pour rien les ustensiles du sanctuaire, les brisa et les détruisit; enfin, chose inouïe, il ferma les portes de la maison de l’Éternel, comme on ferme la porte d’une maison inhabitée ou mise en location, abolissant du même coup le culte et la sacrificature, et interdisant au peuple l’accès jusqu’à Dieu. La conduite d’Achaz s’appelle l’apostasie, le plus complet abandon du Dieu d’Israël.

Dieu le supprime; il meurt, «mais on ne le mit pas dans les sépulcres des rois d’Israël» (v. 27). Il semble, et nous y reviendrons, que ce soit la sentence définitive, jusque dans la mort, par laquelle Dieu montre sa réprobation finale.