Esther

Chapitre 3

Haman

En abordant le chap. 3, remarquons sa relation avec les chapitres qui précèdent. Le sujet capital du chap. 1 est la désobéissance de l’épouse gentile. Après ces choses (2:1), vient, au chap. 2, l’avènement de l’épouse juive, cachée aux yeux de tous quant à son origine, mais déjà aimée et reconnue du souverain avant la grande tribulation qui tombera sur le résidu de Juda et de Benjamin. Après ces choses (3:1), nous trouvons, au chap. 3, l’avènement de l’ennemi héréditaire, soutenu par le chef des nations et tirant de lui son autorité. Il devient, avec la connivence de l’empire, le promoteur de la grande tribulation; mais la grâce de Dieu délivre le peuple de la main de l’ennemi, pour donner à Mardochée et à Esther la première place dans le royaume.

Cherchons maintenant à nous rendre compte de l’origine et du caractère d’Haman. Il était fils d’Hammedatha, l’Agaguite (v. 1). Agag est le titre des rois d’Amalek, titre probablement générique, comme celui du Pharaon, roi d’Égypte (1 Sam. 15:9, 32; Nomb. 24:7). Haman était donc de race royale. Amalek, le peuple d’Haman, descendait d’Ésaü, par Éliphaz: il est primitivement un chef, puis devient une peuplade d’Édom (Gen. 36:12, 16). Sous Ézéchias, en effet, on voit que les restes d’Amalek demeuraient parmi les Édomites, c’est-à-dire dans «la montagne de Séhir», territoire de ces derniers (1 Chr. 4:41-43). Amalek occupait la région sud-est des monts de Séhir, et probablement une partie des déserts de Sin et de Paran. Cette position géographique explique l’intérêt capital qu’avait Amalek (Ex. 17) à s’opposer à la marche d’Israël pour entrer en Canaan; car il occupait les premiers contreforts de la Palestine et en défendait la frontière méridionale (Nombres 13:30; 14:45; 1 Sam. 15:7; 27:8), par laquelle cette contrée était le plus facilement abordable.

À diverses reprises, nous voyons Amalek ligué avec d’autres nations contre Israël; ainsi, en Jug. 3:12, 13, avec Moab, ce qui explique la mention d’Agag dans la prophétie de Balaam contre Balak, roi de Moab (Nomb. 24:7). Au chap. 6:3, des Juges, nous le voyons associé à Madian dans une haine commune contre le peuple de Dieu. Les Amalékites furent défaits par Saül (1 Sam. 15), et finalement par David (1 Sam. 30:17), selon la prophétie de Balaam sur «l’étoile qui surgira de Jacob, et le sceptre qui s’élèvera d’Israël». Alors, dit le prophète, «Amalek était la première des nations; et sa fin sera la destruction» (Nomb. 24:17-20). Comme prophétie accomplie, cette étoile est David, et, comme prophétie non accomplie, Christ, le fils de David.

Nous avons donc affaire, en Amalek, à l’Ennemi du peuple de Dieu. C’est Amalek qui, le premier, s’oppose à la marche d’Israël, sortant d’Égypte (Ex. 17), lui qui poursuit et extermine sans pitié les faibles, les traînards, d’un peuple fatigué par la traversée du désert. Il est, en un mot, l’Ennemi; il est l’image de Satan, l’Ennemi par excellence; il s’oppose aux desseins de la grâce de Dieu envers son peuple.

Sans l’intercession de Moïse sur la montagne et sans Josué, il anéantissait le peuple. Quand ce dernier a pris possession du pays, il cherche à l’anéantir en détail. Vaincu finalement par David, il ne considère pas encore la lutte comme terminée. Maintenant que le peuple est captif, réduit par son infidélité au dernier degré d’abaissement, il anime la personne d’Haman, l’Agaguite, pour exterminer les faibles restes de ce peuple et, ne l’oublions pas, son but caché est de soustraire Israël à Christ, le roi des conseils et des promesses de Dieu. Peut-il y avoir un dessein d’une ruse plus satanique que celui-là? Frustré dans ses efforts, comme ce livre nous l’apprend, Satan ne se tient pas pour battu. Il s’attaque au Chef même d’Israël, à Christ. Il essaie à sa naissance de le faire mourir, par le moyen d’un nouvel Agag, dans le meurtre de Bethléhem. Il est déçu de nouveau et soulève, à la croix, le monde entier contre Christ; et c’est au moment où il croit triompher dans la mort, qu’il est définitivement vaincu. Cependant il conspirera jusqu’au bout contre l’Éternel, son Oint et son peuple. Aussi l’Éternel a juré qu’il aurait «la guerre contre Amalek, de génération en génération» (Ex. 17:16). Israël ne devait pas oublier d’effacer la mémoire d’Amalek de dessous les cieux (Deut. 25:19), terrible jugement, auquel nul n’est comparable dans la Parole, si ce n’est celui d’Édom, dont Amalek faisait partie!

Revenons au livre d’Esther. Israël est esclave, sans défense et rejeté; seul, le rejeton d’une famille royale réprouvée, résiste à l’Agaguite. Tout doit favoriser les desseins de celui-ci; mais, s’il hait le peuple, c’est à sa tête qu’il en veut, au seul qui refuse de courber le genou devant lui et de lui rendre hommage, obscure image de Celui qui, en un temps futur, refuse de reconnaître Satan, lorsque, du haut de la montagne, il lui montre tous les royaumes de la terre. Ce descendant d’Agag, apparaissant subitement sur la scène, venant on ne sait d’où, mais actuellement porté à la dignité suprême par le roi des nations, qui l’élève et place son siège au-dessus de tous les princes, cet ennemi juré d’Israël, ce Méchant, réussira-t-il dans ses desseins? Si nous nous reportons à la fin de l’histoire prophétique d’Israël, nous nous rendrons encore plus exactement compte de tout ce que cette scène signifie. Nous trouvons dans l’Apocalypse une sorte de trinité satanique liguée contre Christ et contre son peuple. C’est d’abord Satan, dont l’esprit anime les puissances de ce monde; ensuite, le chef du quatrième empire, comme Assuérus est le chef du second; enfin l’Antichrist. Ce dernier sera exalté par le souverain du quatrième empire, comme Haman le fut par Assuérus. Israël, ce pauvre oiseau craintif, pourra-t-il échapper au filet de l’oiseleur? Nous apprenons, par la prophétie, que tout le projet satanique pour anéantir le résidu d’Israël ne réussira pas mieux qu’il n’a réussi dans l’histoire d’Esther.

Nous avons déjà cherché à décrire le caractère d’Assuérus et celui d’Esther, nous réservant de développer, au cours de ce récit, puis de résumer celui de Mardochée; mais nous pouvons dès l’abord faire le portrait de l’ennemi qui reparaît ici d’une manière si inopinée. C’est l’orgueil indomptable, l’exaltation, la déification de lui-même, la haine atroce contre le peuple de Dieu et contre celui qui le représente. Or, pour se venger de lui, il sacrifie la nation tout entière. C’est enfin la ruse et l’habileté infernale déployées pour ce meurtre. C’est, en un mot, l’incarnation de l’esprit du mal. N’est-il pas celui qui dit: «Venez, et exterminons-les, de sorte qu’ils ne soient plus une nation et qu’on ne fasse plus mention du nom d’Israël»? (Ps. 83:5). Mardochée, le «pauvre homme» sans défense, pourra-t-il lui résister? La merveilleuse délivrance du peuple se renouvellera-t-elle, maintenant qu’Israël n’est plus le peuple de Dieu, qu’il n’y a plus de Moïse et d’Aaron intercédant pour lui, plus de Josué pour le conduire, et qu’un simple décret du roi suffit pour l’anéantir tout entier? Amalek triomphera-t-il ici, quand Israël est sans armes et sans ressources? Mais a-t-il triomphé de Christ à Bethléhem, dans le désert, sur la croix? En toutes ces occasions, la victoire de Christ a été complète, et cela en faveur de son peuple: sur la croix par le don de lui-même; au désert par la simple dépendance de la parole de Dieu. Mais, pour Mardochée, la parole de Dieu est muette. On ne la trouve nulle part dans ce récit, et pour cause (quoique de fait elle existât au milieu du peuple). Mardochée a-t-il donc une ressource pour éviter la mort? Rien n’est plus facile, dira-t-on. Qu’il accepte l’édit du roi et rende hommage à Haman. Mais non; Mardochée se souvient qu’il y aura toujours guerre avec Amalek. Il ne se prosternera pas plus devant l’Agaguite, que Daniel, devant Darius. La seule différence est qu’il était défendu à Daniel de se prosterner devant Dieu, tandis qu’il est ordonné à Mardochée de se courber et de se prosterner devant Haman. Vraie figure de Christ par anticipation, Mardochée s’y refuse; il peut dire comme son Maître: «Va arrière de moi, Satan!», il a guerre perpétuelle avec Amalek. Il n’a pas d’autre raison de sa résistance à donner à son entourage, que le fait qu’il est Juif (v. 4). Il ne peut pas, comme Daniel, déclarer ouvertement, par son attitude, qu’il est serviteur de Dieu, car tous peuvent lui dire: «Où est ton Dieu?» Cela explique que, tout en défendant à Esther de déclarer son origine, lui est tenu de déclarer la sienne1. Cette déclaration nous fait penser à la belle parole du Seigneur, en Gethsémané: «C’est moi»; seulement cette dernière attire le jugement sur Christ seul, pour que les siens soient délivrés, tandis que la confession de Mardochée attire la vengeance sur tout son peuple. Cette attitude n’est aucunement de l’orgueil chez Mardochée: il reconnaît pleinement les droits du chef des nations sur lui et son peuple, droits ordonnés de Dieu comme châtiment, mais nullement les droits d’Amalek. Quoique placé sous le jugement, quoique apparenté à la race royale rejetée, à cause de la chair, et que Dieu ne reconnaît plus, il obéit néanmoins à la parole de Dieu, gardée dans son cœur, en ne se courbant pas devant Amalek.

1 C’est une belle confession, le seul témoignage qu’il puisse rendre à sa relation avec le Dieu d’Israël, mais un témoignage suffisant pour déchaîner contre lui la colère de l’ennemi.

Il y a une grande beauté dans ce caractère de Mardochée. Nous avons déjà vu ses soins, tendres et délicats pour la fille d’Israël captive; nous voyons maintenant sa courageuse détermination d’obéir au commandement de Dieu, restant ferme, inébranlable, quoiqu’il puisse lui en coûter, marchant dans la dignité d’un Israélite, tombé sans doute au plus bas, mais objet, malgré tout, des promesses sans repentance et de l’élection de Dieu.

Pareille à la fureur de l’Antichrist contre ceux qui ne reconnaissent pas sa puissance et son autorité, et ne veulent pas porter sa marque sur leur front et sur leur main, la fureur d’Haman contre un homme qui méprise sa personne et n’accepte pas son joug, ne connaît plus de bornes. Mais ç’aurait été une chose méprisable à ses yeux de mettre à mort Mardochée seul; il faut que ce dernier soit frappé dans tout son peuple. Haman jette le pur (le sort), dans le but de savoir quand cette extermination aura lieu. Il a foi dans cette pratique superstitieuse, comme l’Antichrist plus tard consultera le «dieu des forces», car il faut une religion à l’homme le plus incrédule, à la fois athée et superstitieux, fait que l’on peut constater chaque jour.

Vasthi s’était révoltée en la troisième année d’Assuérus. Esther devient épouse du roi en la septième, et le sort est jeté au début de la douzième année du règne de ce dernier. Le pur indique le douzième mois pour le massacre des Juifs; pourquoi pas le troisième ou le quatrième, afin d’ôter au peuple opprimé toute chance d’échapper? N’est-ce pas encore et toujours la Providence cachée qui dirige tout? Que peut faire «l’oppresseur des Juifs» devant les conseils secrets de la Providence? Il est obligé d’obéir au sort qu’il a consulté, et là commence sa course rapide à la mort et au jugement. Il n’a pas de peine à convaincre le roi de la nécessité d’anéantir les Juifs: «Il y a un peuple dispersé et répandu parmi les peuples, dans toutes les provinces de ton royaume, et leurs lois sont différentes de celles de tous les peuples; ils ne pratiquent pas les lois du roi, et il ne convient pas au roi de les laisser faire». Haman propose d’enrichir le roi par cette destruction: «Je pèserai dix mille talents d’argent entre les mains de ceux qui font les affaires, pour qu’on les porte dans le trésor du roi». Assuérus refuse l’argent et livre le peuple à Haman, «pour en faire ce qui sera bon à ses yeux». Quelle indifférence, quel endurcissement de cœur chez ce roi! Le nom d’Israël n’a pour lui aucune signification: il fait la guerre à l’Éternel que ses pères avaient connu, que lui ne connaît pas, mais le sort d’une multitude de ses sujets ne lui importe aucunement. Un favori, un homme inique, chose affreuse, a plus d’importance aux yeux d’un souverain qui devrait s’intéresser à ses peuples, que l’existence de toute une nation! Combien il diffère de son père Darius, et de Cyrus, son ancêtre! Ce décret, qui embrasse toutes les provinces de l’empire, ira sans doute aussi atteindre et exterminer à Jérusalem le résidu restauré, par l’ordre de Cyrus, et maintenu par ses successeurs, et le roi ne s’en souvient pas! «Fais, dit-il, ce qui est bon à tes yeux», c’est-à-dire, fais le mal impunément! L’anneau royal orne la main d’Haman, qui en appose le sceau aux décrets meurtriers.

Haman écrit «au nom du roi», et se fait en apparence son humble serviteur dans les choses que lui-même a résolues et décrétées. Des circonstances semblables se renouvelleront à la fin des temps. L’Antichrist se fera le serviteur de la Bête romaine (Apoc. 13:14-16), pour accomplir ses propres desseins. Le plan satanique d’Haman a pour point de départ l’orgueil et l’ambition de l’homme qui préfère écraser toutes choses sous ses pieds que de les voir assujetties à Christ. Le décret se répand promptement dans les provinces de l’immense empire, grâce à un système de transmission qui ferait l’admiration du monde, s’il n’avait été mille fois dépassé par la génération actuelle.

Pendant ce temps, «le roi et Haman étaient assis à boire!» D’une part inconscience, de l’autre joie satanique dans le mal. Le vin dans lequel l’homme puise l’oubli, qui l’entretient dans son indifférence, qui engendre la violence, qui provoque la joie de l’abrutissement au milieu des ruines qu’il accumule, le vin scelle cette alliance intime entre le prince des ténèbres et le souverain déifié des nations!

La ville de Suse, habituée à tout autre chose qu’à ces boucheries, capitale du faste, des jouissances, d’une civilisation raffinée, était dans la consternation; tandis que le grand nombre des Juifs qui y habitaient était littéralement écrasé par ces nouvelles imprévues.

Plus que douze mois, et l’immolation sera accomplie. Toutes les dépouilles du peuple appartiendront à l’Amalékite. Plus que douze mois… Mais le Dieu caché aux yeux de tous veille, et son jugement est proche.