Ecclésiaste

Chapitre 11

Ce chapitre continue sous d’autres rapports l’enseignement du chapitre précédent. Il nous montre quelle doit être l’activité d’un fils de la sagesse en présence des voies de la Providence qui lui sont cachées. Ces voix sont représentées par les eaux, les nuées, le vent et la lumière (1, 3, 4, 7), sur lesquels l’homme n’a aucun contrôle et dont la direction lui est inconnue. Aussi entendons-nous cette parole: Tu ne sais pas, tu ne connais pas (v. 2, 5, 6). Et ce chapitre se termine par la seule chose que le jeune homme eût besoin de savoir (v. 9). L’état d’esprit qui nous est décrit dans ce chapitre est en accord avec toute la pensée du Livre: L’homme placé en présence des phénomènes de la Création qui tombent sous ses sens, est incapable d’en saisir les origines et se heurte à chaque instant à l’inconnu, aussi longtemps que Dieu ne lui a pas fait connaître les choses secrètes, dérobées à l’intelligence la plus développée.

Comme nous l’avons vu pour d’autres parties de ce Livre, les sentences de ce chapitre ne se bornent pas à mentionner des faits extérieurs, mais offrent un sens spirituel et caché que l’Esprit seul peut nous révéler et qui s’applique à tous les temps. Le borner au temps et aux circonstances de Salomon serait bien mal comprendre le but et l’application de la parole de Dieu.

De même qu’au commencement du chap. 7, les recommandations qui sont faites ici au fils de la sagesse sont au nombre de sept: un enseignement complet sur ce sujet particulier, enseignement auquel il ne manque rien.

1° «Jette ton pain sur la face des eaux, car tu le trouveras après bien des jours» (v. 1).

L’enfant de la sagesse doit répandre sans distinction et en apparence sans but, son propre pain, ce qui sert à sa nourriture, sur la face des eaux. Ces dernières semblent le milieu le moins approprié pour cela, et l’on pourrait penser qu’en agissant ainsi le sage a perdu son pain. Ce proverbe s’applique manifestement à la Parole. L’état confus du monde ne semble pas fait pour la recevoir; l’ignorance absolue où nous sommes du lieu où les eaux la porteront, pourrait nous engager à ne pas la répandre indistinctement, mais ce que nous avons à faire c’est de nous confier à la Providence divine, à une volonté qui a son but et sa direction et ne demande pas que nous les connaissions. Elle veut que nous répandions cette Parole de vie sans compter. Il arrivera après bien des jours que cet acte d’obéissance sera récompensé et que nous trouverons à quoi Dieu l’avait destiné. Nous rentrerons en possession de ce que nous avions confié à Celui qui fait échouer sa Parole au bon endroit. Comme toujours, le Prédicateur ne dépasse pas ici un temps terrestre limité et dit: «Après bien des jours». Nous pouvons compter autrement, car nous récoltons pour l’éternité le fruit de la Parole semée dans ce monde, sur la surface des eaux. C’est ainsi que Paul était certain de récolter le fruit de son travail à la venue du Seigneur Jésus. Quoi qu’il en soit, nous trouvons ici le résultat de la confiance en la Providence de Dieu, car comment retrouverions-nous ce que nous avons jeté sur les eaux, si Dieu ne le ramenait pas?

2° «Donne une portion à sept, et même à huit; car tu ne sais pas quel mal arrivera sur la terre».

Lorsque nous avons, en revanche, à distribuer nous-mêmes, leur nourriture aux hommes, avec l’intelligence de leurs besoins, nous avons à le faire libéralement. Il est évident que cette parole dépasse le sens matériel, comme cela arriva lors de la multiplication des pains. Il faut que les sept, le nombre complet, reçoivent leur portion et, comme pour les 7000 hommes, qu’il y en ait de reste pour un huitième. Une puissance cachée, une puissance divine est seule capable de rassasier les foules et de trouver encore dans ce qui reste la nourriture pour d’autres. Cette activité de notre part, quant au service, est nécessaire, urgente même, car le temps est court; nous ne savons à quel moment la famine arrivera sur la terre; le jugement est à la porte, peut-être beaucoup plus proche que nous ne le supposons et alors ceux qui n’ont pas reçu leur portion seront condamnés à périr!

Si, comme nous venons de le voir, le sage est exhorté à mettre indistinctivement ses ressources au service de tous, la sagesse lui enseigne aussi que l’œuvre de la grâce dépend entièrement de la Providence divine.

3° «Si les nuées sont pleines, elles verseront la pluie sur la terre». En Luc 12:54, 55, la nuée qui verse la pluie sur la terre est l’image de la grâce, comme le vent du midi l’image du jugement. Malgré toute la vanité qui remplit ce pauvre monde, la grâce subsiste. De son côté, Dieu possède des réservoirs qu’il remplit, des sources qui apportent la bénédiction sur la terre. Quelque instrument que Dieu veuille employer dans ce but en faisant de lui un vase d’élection pour les hommes, il n’en reste pas moins vrai que l’œuvre est entièrement de Lui. Tous les réveils en sont la preuve évidente.

4° «Et si un arbre tombe, vers le midi ou vers le nord, à l’endroit où l’arbre sera tombé, là il sera».

Chaque chose a son but dans les desseins de Dieu. Qu’un arbre tombe vers le midi ou le nord cela peut paraître pur hasard. Non, une volonté inconnue de l’homme a donné la direction à sa chute. Cette protection est retirée à celui qui pouvait en profiter. L’arbre reste où il est tombé. Qui en dira la cause? Du côté des nuées le bénéfice est visible, du côté de l’arbre le but est caché.

5° «Celui qui observe le vent ne sèmera pas; et celui qui regarde les nuées ne moissonnera pas. Comme tu ne sais point quel est le chemin de l’esprit, ni comment se forment les os dans le ventre de celle qui est enceinte, ainsi tu ne connais pas l’œuvre de Dieu qui fait tout» (v. 4, 5).

Le vent et les nuées ne sont pas sous le contrôle de l’homme; c’est Dieu qui les fait naître. C’est Lui qui fait tout. Nous ignorons le chemin du vent, les mystères de la naissance, vérités qui se relient à ce que nous avons dit au commencement de ce chapitre. Observer, regarder pour connaître le moment favorable aux semailles et à la moisson, c’est perdre le temps de l’action à laquelle Dieu nous appelle. Nous ne sommes que des instruments entre ses mains et nous oserions prétendre contrôler le vent et les nuées! «Le vent souffle où il veut», dit le Seigneur, «et tu en entends le son; mais tu ne sais pas d’où il vient, ni où il va: il en est ainsi de tout homme qui est né de l’Esprit». Nous ne connaissons pas «l’œuvre de Dieu qui fait tout», mais que cela ne nous empêche ni de semer, ni de moissonner.

6° «Le matin, sème ta semence, et, le soir, ne laisse pas reposer ta main; car tu ne sais pas ce qui réussira, ceci ou cela, ou si tous les deux seront également bons» (v. 6).

Cette sentence se lie intimement à la précédente. Nous avons à semer matin et soir, en temps opposés; à semer sans distinction de l’heure. L’un ou l’autre — et qui sait? Dieu le sait — peut-être même tous deux amèneront la moisson attendue. Agir ainsi n’est pas manque de prévoyance, mais simple confiance dans la direction de la Providence, et dépendance de l’action de la grâce.

7° «La lumière est douce, et il est agréable pour les yeux de voir le soleil; mais si un homme vit beaucoup d’années, et se réjouit en toutes, qu’il se souvienne aussi des jours de ténèbres, car ils sont en grand nombre: tout ce qui arrive est vanité» (v. 7, 8).

Il y a dans ce monde des choses agréables; le Prédicateur est loin de le nier. On peut se réjouir de la lumière qui les met en évidence et en valeur; mais à mesure que l’on avance en âge on voit que notre passé a eu des jours de ténèbres en grand nombre. Ainsi l’on repasse soi-même sa vie dont le dernier mot est «Vanité»; chose inutile, dont rien ne subsiste, qui s’en va sans laisser de trace, ensevelie finalement dans l’oubli! Cette sentence nous amène au verset suivant.

v. 9. «Réjouis-toi, jeune homme, dans ta jeunesse, et que ton cœur te rende heureux aux jours de ton adolescence, et marche dans les voies de ton cœur et selon les regards de tes yeux; mais sache que, pour toutes ces choses, Dieu t’amènera en jugement».

Nous avons deux conclusions de tout le Livre de l’Ecclésiaste: ce verset forme la première. Nous verrons la seconde aux vers. 13, 14 du chapitre suivant. Combien de fois le Prédicateur n’a-t-il pas répété la maxime qui semble préconiser la jouissance de la vie matérielle et ce que l’homme appelle «la joie de vivre». Au milieu de l’amertume d’un cœur sans illusion, qui voit les plus belles choses de ce monde gâtées, tordues, flétries — par la violence, la corruption, le renversement des lois morales, la légèreté, l’insouciance, la ruse, la folie; il y a pour l’homme certains biens, certaines jouissances, passagères sans doute, certaines joies, certaines affections, certains objets aimés, comme par exemple, «le chemin de l’homme vers la jeune fille» (Prov. 30:19), qui font la joie du jeune homme dans sa jeunesse. Le Prédicateur dont la sagesse a sondé toutes ces choses, lui dit: «Marche dans les voies de ton cœur et selon les regards de tes yeux (voyez 2:24; 3:12; 5:18; 8:15; 9:7), mais …» Il y a un «mais» solennel au bout de ces jouissances: «Sache que, pour toutes ces choses, Dieu t’amènera en jugement». Dieu te demandera compte de chaque jouissance: pour qui et pour quoi as-tu vécu? Tout ne se borne pas à la terre. Il y a un Dieu, et ce Dieu est un juge; c’est l’une des vérités fondamentales de l’Ecclésiaste. Tu devras paraître devant ton Juge. Ici, pas un mot de la grâce, mais n’est-il pas frappant que ce chapitre qui commence par nous parler en images de la grâce, chose presque unique dans l’Ecclésiaste, se termine par le jugement (déjà mentionné au chap. 3:17), jugement dont le Prédicateur parlera encore une fois pour terminer tout son Livre par ce mot terrible.

Cette parole est très sérieuse et caractéristique. Le sage ne serait pas le sage si, au milieu de la vanité dont il reconnaît que tout est frappé sous le soleil, il ne reconnaissait que, d’une part, l’homme peut être l’instrument de la grâce au milieu du domaine du mal; d’autre part que, si Dieu semble laisser les choses suivre leur cours sans s’en occuper, il y a un moment où il demandera compte à tout homme de sa vie et de ses moindres actes.

v. 10. «Ôte de ton cœur le chagrin, et fais passer le mal loin de ta chair; car le jeune âge et l’aurore sont vanité».

Au v. 9, le Prédicateur a parlé au jeune homme de joie et de bonheur; montrant que tout finit par le jugement. Au v. 10 qui termine ce chapitre, il lui parle d’ôter le chagrin de son cœur et d’éviter le mal à son corps — mais voici que l’enfance et la jeunesse sont vanité, une chose sans but, sans durée, inutile, qui passe sans laisser de trace! Jugement d’un côté, vanité de l’autre, tel est le sort de l’homme aux yeux de la sagesse. — L’aurore! Combien le jeune homme se trompe au début de la vie! Tout est si brillant! Y a-t-il rien de plus beau qu’un lever de soleil? Ne promet-il pas toutes les joies pour une longue journée? Mais au chap. 12, nous allons trouver la fin de la carrière, toutes les désillusions, toutes les déceptions de la vie. Peut-être a-t-elle été longue et très remplie; elle finit par un cercueil. Le Prédicateur n’est-il pas autorisé à dire, lui qui est arrivé au bout de ses expériences: «L’aurore est vanité»?