La captive de Noël

Alors qu'elle se rend à la source sacrée, Diana rencontre un cavalier qui n'est autre que Claudius. Celui-ci lui annonce qu'il est enfin venu la chercher et lui propose de fuir avec lui. Mais Diana sait que les autres Vestales vont à leur tour venir puiser de l'eau et .que le projet de Claudius est bien trop risqué.  Elle lui donne donc rendez-vous le lendemain puisque c'est à son tour de garder le feu le soir même.

Hélas! Diana, ne pouvant s'empêcher de penser à sa liberté bientôt retrouvée, laissé le feu s'éteindre! Le lendemain, une foule immense l'accompagne au cachot où elle sera emmurée vivante! Julius Quartus et ses porteurs assistent impuissants à la scène...

Les porteurs de Julius ont les traits de leur visage contractés par l'émotion. Leur maître les regarde étonné.

— Vous aussi vous l'aimiez, ne peut-il s'empêcher de leur dire. Les quatre hommes posent sur leur maître leurs regards désolés et pour la première fois de leur vie, les uns après les autres osent exprimer ce qu'ils pensent à Julius.

— Oui, Maître, qui ne l'aimerait pas?

— Elle ne peut pas mourir.

— Elle sera sauvée si c'est la volonté de Celui que nous servons.

— Nous prierons tous pour qu'un miracle se fasse.

— C'est bon! Rentrons à la villa. Le Sénat se passera de Julius Quartus...

Enfin le cortège arrive à la caverne, elle est toute petite. Elle contient un lit, une lampe à huile, une cruche d'eau. Le Grand Pontife et la Grande Vestale allongent Diana sur le lit, la lampe éclaire faiblement son visage, ses yeux paraissent chercher au dehors celui qui pourrait l'arracher à cette mort, mais n'apercevant aucun visage connu, elle ferme ses paupières et prie d'une voix claire. Les maçons cimentent l'entrée avec des briques et des pierres. Il reste encore une petite ouverture. Une dernière fois, Diana regarde dehors. La porte est murée. Elle est seule.

Le cortège s'est reformé et la foule remonte la colline. Le soleil est au milieu du ciel, il faut ranimer la flamme. Parmi les objets les plus sacrés du culte, il en est un que les Vestales entourent de soins jaloux: c'est l'instrument spécial pour capter sur l'autel l'étincelle qui doit ranimer la flamme. Un cône de cuivre, perforé au centre, est placé dans l'axe des rayons du soleil. Ces rayons concentrés sur le miroir doivent rallumer le feu sacré. Tant que la flamme ne s'élève pas, les Vestales et tous les habitants de la ville chantent en procession autour du temple en pleurant le feu éteint. Le peuple attend anxieux. Le feu se rallumera-t-il? Les dieux seraient-ils apaisés? Le soleil va-t-il rendre ce feu, source de lumière et de force pour tous?

Une étincelle jaillit. Il s'allume. Il s'est allumé! Un fris­on de joie parcourt la foule, des chants s'élèvent dans le temple et tout autour. Les Vestales, les prêtres, tous chantent les litanies du feu, invoquant Jupiter, Mars, Vulcain et Vesta. Les Vestales versent de l'huile et de l'encens sur le feu et la flamme s'élève, parfumée, resplendissante.

9 - vers de nouveaux rivages

Murée dans son tombeau, Diana n'entend ni les chants, ni les litanies, ni les cris de joie de la foule. Étendue sur sa couchette, à demi consciente, elle attend la délivrance. Sera-ce la vie ici-bas ou la vie éternelle? Elle a remis son existence entre les mains de son Sauveur, elle attend.

Mais voilà que, dans le silence oppressant de sa tombe, un bruit sourd la surprend. Elle entend un coup, un autre, un autre encore. Est-ce une illusion? Les coups se répètent plus forts, plus rapprochés. Diana s'assied sur son lit, secouée par des tremblements qu'elle ne peut réprimer. Une terreur folle s'empare d'elle. Restée calme jusqu'à ce moment, elle se met à crier. Sa lampe vient de s'éteindre, elle se croit l'objet d'une hallucina­tion. Ces coups vont la rendre folle.

— Qui est là? Qui frappe? hurle-t-elle.

— C'est moi, Diana, ne crains rien, calme tes alarmes, tu seras bientôt délivrée.

Diana pleure, tremble de joie.

— Claudius! Oh! Claudius, mon Claudius, toi! Tu m'as trouvée. Oh! mon Dieu, merci... murmure-t-elle dans un souffle en perdant connaissance. Dehors, Claudius continue à la rassurer.

— Ne crains rien, ma Diana, je viens te délivrer. Tiens-toi prête à sortir. Nous serons déjà loin quand là-haut ils finiront leurs chants. Démétrius a sauté sur le licteur qui gardait l'entrée du souterrain, il l'a enveloppé dans une toile et proprement ficelé. Rien à craindre de ce côté! Quand Claudius peut enfin pénétrer dans la tombe, il trouve Diana accroupie par terre. Les émotions de cette interminable journée l'ont épuisée. Ces minutes de terreur et d'affolement qu'elle vient de vivre dans ce caveau ont eu raison du calme admirable dont elle a fait preuve jusqu'à ce moment. Elle a perdu connaissance au seuil de ce bonheur tant attendu que lui apporte la voix rassurante de Claudius. L'ouverture que Claudius et Démétrius viennent de pratiquer peut juste laisser passer un corps capable de se hisser. Il n'est pas question de l'agrandir, il faut agir vite. Alors soulevant doucement le corps inanimé de Diana, Claudius le passe à Démétrius. Tous deux l'enveloppent dans un voile sombre.

— Monte en selle, Claudius, je te la passerai et galope vers le port pendant que je replace et cimente ces briques.

— Tu sais bien, Démétrius, que je ne veux pas te laisser en arrière. Livie ne me le pardonnerait pas.

— Pars, embarque, prépare le navire au départ pour qu'il lève l'ancre dès que j'arriverai.

— Je n'aime pas te laisser ainsi.

— Pars, Claudius. Pars à l'ins­tant, c'est un ordre, dit Démétrius en souriant, tout en cimentant l'ouverture. Claudius n'a pas besoin de harceler sa monture, sa bête rapide semble comprendre qu'elle aussi a un rôle important à jouer. Il serre contre lui son précieux fardeau. L'air vif et le galop du cheval ramènent bientôt à la vie celle dont Claudius contemple avec une joie débordante le visage pâli. Alors Diana ouvre les yeux, inquiète d'abord, puis souriante, elle se blottit contre l'épaule de celui qui vient de l'arracher à cette effroyable mort. Puis elle voudrait dégager ses bras.

— Ne bouge pas, Diana, j'ai pris un chemin impossible pour couper court, il demande toute l'attention d'un cavalier qui n'a qu'une main pour tenir les rênes puisque de l'autre il te retient prisonnière.

— Après les prisons que j'ai connues, je crois bien que c'est celle-là que je préférerai toujours! Mais Claudius, es-tu sûr de n'être pas suivi?

— Pas pour le moment, mais le moindre retard nous serait fatal, bien que le licteur qui te gardait ne soit pas près de donner l'éveil.

— Claudius, c'est merveilleux, jamais en pensant à toi je n'avais rêvé que je chevaucherais ainsi. Tu m'as sauvée, Claudius, et maintenant...

— Maintenant, prends garde, nous allons franchir la passerelle du navire qui va nous emporter loin de Rome.

— Ce sera l'exil pour toi, Clau­dius, et à cause de moi.

— Ce n'est pas l'exil, Diana, puisque j'ai deux patries: Rome et Athènes. Et nous voici hors de Rome.

À cet instant le cheval foule le pont de la galère blanche. Claudius desserre son étreinte, il écarte le voile sombre qui recouvre en partie le visage de Diana. Il reste figé, face à son équipage qui, toutes rames dressées, salue son capitaine et celle qui va devenir son épouse. Diana, devant tous ces visages qui sourient à leur bonheur éclate en sanglots et cache son visage contre celui qui sera désormais son protecteur et le meilleur des compagnons.

Alors Claudius saute à terre et, la prenant dans ses bras, chuchote à son oreille:

— Tu ne veux pas voir celles qui t'attendent depuis si longtemps, Diana?

Livie et Terentilla, pleurant de joie, la serrent à l'étouffer, quand le bruit d'un galop fait tourner les têtes vers le quai. Démétrius arrive à fond de train. Il fait franchir d'un bond la passerelle à son pur-sang. Aussitôt les deux hommes qui guettaient son retour sur le quai détachent les amarres, bondissent à leur tour sur le pont, les ancres sont remontées, la passerelle tirée et la galère, dont une forte brise gonfle les voiles, s'élance vers le bonheur et la vie paisible. Dès qu'elle est hors des eaux territoriales, un coup de sifflet l'immobilise. Les voiles sont descendues, les rames mises au repos et tous les hommes d'équipage se rassemblent sur le pont, heureux de participer à la cérémonie qui va se dérouler, car à la grande surprise de Diana, ce n'est pas seulement une union qui va être bénie, mais avec la sienne celle de sa fidèle Livie avec Démétrius. Tous deux attendent aussi depuis longtemps ce jour, mais ils n'ont pas voulu être mariés avant que Diana ne soit libérée. Livie a rapidement expliqué à Diana que Claudius a aidé Démétrius à acheter des biens en Crète qu'ils vont se mettre à exploiter. Alors Diana qui a perdu l'habitude d'être heureuse et comblée ne sait plus très bien ce qui lui arrive.

— C'est trop de bonheur à la fois, Claudius!...

Tandis qu'une houle légère balance le navire, un silence recueilli plane sur la galère. Et la cérémonie toute simple se déroule entre le ciel et l'eau. Les jeunes époux ont reçu la bénédiction de la part du Seigneur.

* * *

... À Rome la foule s'est enfin dispersée, rassurée par le feu qui brille sur l'autel.

* * *

Depuis qu'il a rencontré le cortège accompagnant sa fille au tombeau, Julius Quartus est rentré chez lui. Jusqu'à la nuit, seul dans ses appartements, refusant toute nourriture, il n'a pas cessé d'aller et de venir, de s'injurier:

«Voilà où mon orgueil, mon intransigeance, mon aveuglement m'ont conduit! Pourquoi, oh! pourquoi ne l'ai-je pas laissée aller aux catacombes? Pourquoi n'ai-je pas été celui qui ignorait tout? C'est moi qui la tue avec la foule, avec le Grand Pontife, avec l'Empereur, avec tous! Fou que j'ai été... une fille si parfaitement exquise... je l'ai conduite là! Et que n'a-t-elle pas souffert au temple de Vesta?... La Grande Vestale ne lui a rien épargné, jalouse qu'elle était de la popularité de Diana... Le sourire de Diana, son charme, sa gentillesse, tout Rome les connaissait. Et moi, son père, j'ai tué tout cela! Misérable assassin!»

Enfin la nuit venue, après avoir revêtu des vêtements d'esclave, il appelle son chambellan. Névrius accourt mais il s'arrête interdit en voyant les vêtements que porte son maître.

— Névrius, veux-tu aller me chercher Livie?

Le chambellan stupéfait reste immobile. Le maître en tenue d'esclave qui n'ordonne pas, mais qui le prie, que se passe-t-il?

— M'as-tu entendu, Névrius?

— Oui, Maître.

— Alors va, c'est urgent.

— Oui, Maître.

Névrius revient.

— Maître, Livie ne se trouve nulle part.

— Alors va me chercher Terentilla, mais dépêche-toi!

Névrius revient essoufflé.

— Maître, Terentilla est partie au milieu du jour, elle n'est pas encore revenue.

— C'est bien. Va chercher Démétrius.

Névrius revient tremblant, les yeux baissés.

— Alors Névrius, as-tu perdu l'usage de la parole? Tu ne vas pas me dire que Démétrius est aussi introuvable?

— Si Maître, il n'a pas été vu depuis hier soir.

— Il semble que tout le monde ait abandonné le palais ce soir! Fais venir mes porteurs si tu les trouves.

Névrius part à leur recherche. Les trouvera-t-il? Le chambellan tremble malgré l'amabilité soudaine de son maître. Celui-ci, en attendant ses porteurs, se dit:

«Puisque ce sont des chrétiens et qu'ils aiment Diana, je peux leur faire confiance semble-t-il...»

À suivre