La captive de Noël

Dominique Floutier - Éditions Le Phare, 5620 Flavion (Belgique)

Vivant désormais dans le temple de Vesta, Diana n'attend pas longtemps pour parler de sa foi à ses compagnes. Hélas! La Grande Vestale s'en est rendue compte. Diana a été fouettée et condamnée au silence, à la solitude et aux travaux les plus durs.

Les jours, les mois et les années ont ainsi passé, sans que Diana ne perde sa gaieté, son courage et sa foi.

Par trois fois Noël était revenu. De nouveau ce soir les chrétiens allaient fêter la naissance de leur Sauveur. Quand donc Diana pourrait-elle s'unir à eux pour célébrer ce jour de lumière? Et voici qu'en ce matin, veille de Noël, elle s'en va à travers la forêt puiser l'eau à la source sacrée. Son voile blanc flotte au vent. Son amphore sur l'épaule, vive et légère, elle court sur le sentier qui descend vers la source, quand au bas du chemin elle aperçoit un cavalier près de la source. «Cet homme est fou!» pense Diana. «Il ne doit pas savoir qu'il est sur une terre interdite. Il fait boire son cheval à la source sacrée! Pour moi c'est une source comme une autre, mais si on le voit, il est perdu! Qu'arrivera-t-il si une autre Vestale surprend cet étranger?... Il faut que je le prévienne.»

Et rapidement, abandonnant le sentier, Diana saute de rocher en rocher pour arriver plus vite à la source. Si le cavalier se retournait, il serait charmé par le spectacle de cette jeune fille tout de blanc vêtue, sautant comme une gazelle à travers la colline. Mais il reste le dos tourné.

Hors d'haleine, elle arrive près du cavalier.

— Étranger, si tu tiens à ta vie, sauve-toi!

L'homme se retourne.

— Diana! C'est toi, toi que j'attendais! Il y a si longtemps que j'attends et tu voudrais que je me sauve?

— Claude! Oh! Claudius, que fais-tu là malheureux? Je t'en prie, va-t'en!

Diana est affolée, elle regarde à travers les arbres. Aucune robe blanche sur le sentier, mais dans un instant...

— Ne me renvoie pas Diana. Je viens te chercher, veux-tu fuir avec moi?

— Fuir? Claudius, maintenant?... en plein jour?... mais c'est impossible!

— Non Diana, tout est prêt.

— As-tu vu Démétrius?

— Non, il ne sait pas que je suis ici, mais il sait qu'il doit nous rejoindre au port. Diana, tu ne peux pas refuser de venir. C'est merveilleux de te retrouver, et de te retrouver tellement changée, mais quand même semblable à la très jeune fille que tu étais, tu te souviens?

— Oh! oui, Claudius, depuis tant d'années ces souvenirs ont peuplé ma solitude.

— Diana, depuis que je t'ai vue aux catacombes, je ne veux qu'une chose, te demander d'être ma compagne.

— Claudius, tu risques ta vie et la mienne. Je t'ai tant attendu moi aussi!... Mais je t'en prie, si tu m'aimes, va-t'en! C'est l'heure où l'une après l'autre les Vestales vont venir puiser l'eau sacrée. Va-t'en! Va-t'en!

— Pas avant que tu m'aies promis de me retrouver. Dis où et quand.

— C'est fou, Claudius, pars vite!

— Regarde cette galère blanche qui se balance dans le port: elle nous attend. Dis-moi ton heure, je serai là.

— Claudius, ce serait si mer­veilleux! ... Mon Dieu, les voilà. Prends ce sentier à gauche. Cette nuit je garde le feu, reviens demain soir. Si je ne suis pas là après le coucher du soleil, va-t'en et reviens le lendemain. Je viendrai, Claudius. Ce soir sera mon dernier Noël de captive et puis la vie avec toi, toujours...

Claudius est parti.

Posant son amphore sur une épaule, songeuse, le cœur battant à grands coups, Diana remonte à pas lents. Elle s'arrête un instant, tend l'oreille... au loin décroît le galop d'un cheval. Elle regarde descendre ses com­pagnes. Ce galop, l'entendent-elles? Et même si elles l'entendent, il n'a pas le même sens que pour elle. Quelle importance un galop lointain? Diana s'arrête un instant, son amphore sur l'épaule. Elle écoute... plus rien! Alors, rassurée, elle reprend sa marche sur le sentier qui monte... et sourit.

10. Nuit de Noël

La nuit tombe. Diana garde le feu. Elle rêve à l'enchantement de cette nuit de Noël, elle rêve à Claudius. Elle revit cette entrevue extraordinaire, incroyable. Elle pense à son projet tellement audacieux qu'il lui paraît irréalisable. Demain à cette heure, elle l'aura retrouvé! Il l'emportera au galop rapide d'un des pur-sang qu'elle a tant admiré. Comme il y a déjà longtemps... et voici son quatrième Noël de Vestale, qu'importe! Demain elle chevauchera pour rejoindre la galère de Claudius. Par un message de Démétrius que Nigra lui a apporté ce soir à la source, elle sait que Claudius a tout prévu. À bord de la galère, il y aura un disciple du Christ qui veut aller évangéliser les îles grecques. Il bénira son union avec Claudius dès qu'ils arriveront. Et tandis que, toutes voiles dehors, toutes rames en cadence, la galère volera sur les flots, elle sera l'épouse de Claudius avec la bénédiction de l'Éternel.

Est-elle éveillée? endormie? elle ne sait... elle ne sait qu'une chose c'est qu'elle éclate de joie, son bonheur est immense. Pendant toutes ces années, elle a souffert, tellement souffert d'être tenue à l'écart de toute conversation, de toute amitié, à cause de sa foi. Mais elle ne regrette rien, car malgré toutes les interdictions, elle a pu parler de son Sauveur, annoncer la bonne nouvelle, témoigner par son attitude, vivre vraiment sa foi, même dans le silence. Et maintenant, ce sera de nouveau la vie heureuse, comme elle l'a si souvent souhaitée, comme elle la souhaiterait à certaines de ses compagnes. Dans sa joie débordante, elle s'agite, sort de son rêve.

«Comme il fait froid! Comme il fait noir! Où suis-je? Mais je suis dans le temple! Je garde le feu! Le feu! Mon Dieu, mais où est-il?»

Affolée elle tâtonne, trouve l'autel, les braises à peine chaudes. Vite, du menu bois, elle souffle sur les tisons déjà noirs, les soulève pour donner de l'air, mais après des efforts désespérés et rendus maladroits par le tremblement qui s'est emparé d'elle, l'effroyable réalité est là.

« Le feu est éteint, le feu est mort! Oh! Claudius, mon rêve, notre beau rêve... Par mon étourderie nous voilà séparés pour la vie! Comment échapper à mon sort? Je vais être maudite, repoussée, chassée, enterrée vivante.»

De ses yeux noirs, toujours si pétillants de joie, les larmes du désespoir coulent sur son visage livide.

«Mon Dieu, délivre-moi de cette mort atroce et si Claudius ne peut m'en arracher, que j'aie la force d'affronter cette longue agonie avec ta paix et ta sérénité en mon cœur, mais que c'est dur! Tant de misères et je n'ai que dix-huit ans. Il y a quatre ans, c'était mon premier Noël au cachot. Le soir du jour qui vient sera un autre Noël dans un autre cachot, mais celui-là sera mon tombeau! Et je ne peux prévenir personne, ni Démétrius, ni Livie, ni Claudius! encore moins mon père... Ils apprendront ce malheur par les cris de la foule s'ils sont en ville. Comment sauront-ils que c'est moi qu'on couvrira d'opprobres? Ils sont chrétiens et ne se mêlent pas à des rites païens. Oh! mon Dieu, il me reste un espoir. Claudius sait que je gardais le feu... Pourra-t-il me délivrer?... Il me reste cet espoir, un fol espoir, et puis que Dieu soit avec moi, c'est lui le Tout-Puissant.»

La porte du temple grince, elle s'ouvre. La Grande Vestale entre pour célébrer les rites de l'aurore. Une terreur soudaine glace le sang dans les veines de Diana, mais elle la maîtrise. Elle fait face à la Grande Prêtresse, elle lui montre le feu éteint.

— Cela devait arriver. Je suis même étonnée d'avoir tant attendu. Tu sais ce qui t'est réservé? Tu seras conduite dans un cachot souterrain, la porte de ta prison sera murée et personne ne verra plus ton visage. Voilà le châtiment que tu as mérité et que tu devras subir. Si ton Dieu est vraiment si bon et si puissant que tu le dis, qu'il trouve donc le moyen de te délivrer!

— Ma vie est entre Ses mains et quoi qu'il arrive cela sera selon Sa volonté.

— Quitte ce temple à l'instant, tu l'as assez profané en laissant éteindre la flamme de son autel, ne le profane pas encore par tes paroles.

La nouvelle se répand très rapidement. Aussitôt on entend un grand tumulte devant le temple. De tous côtés les cris et les lamentations s'élèvent. Les enfants, les vieillards, les femmes pleurent en faisant le tour du temple rond où le feu ne brille plus.

«Le feu s'est éteint! Malheur à nous!»

Bientôt le cortège des Vestales sort de son temple. Diana marche la première, seule, la tête haute. Une grande paix se dégage de sa personne, ses beaux yeux noirs pétillants de vie semblent chercher quelqu'un dans la foule qui l'escorte. Elle sourit à ceux qui pleurent sur son passage. Souvent la populace insulte la condamnée. Mais aujourd'hui, le long cortège qui suit Diana marche en silence; consterné, il pleure sa jeune existence à jamais perdue. Diana était devenue la Vestale la plus aimée et la plus populaire. Les enfants, les vieillards, les hommes, les licteurs de sa garde, tous avaient appris à la distinguer chaque fois qu'avec ses compagnes elle se rendait à une cérémonie publique. Pour chacun elle avait ce sourire plein de fraîcheur, alors que toutes les autres passaient fières des honneurs qu'elles recevaient. Diana était bien connue, on savait qu'elle était toujours la dernière des Vestales. Par les expressions si mobiles et enjouées de son visage, elle entrait en contact avec ceux qu'elle croisait et s'en faisait aimer.

Au fur et à mesure que le cortège avance, le nombre de ceux qui suivent la condamnée grossit et bientôt la foule, comme un fleuve, déferle, envahissant la voie dans toute sa largeur. Une litière a dû s'arrêter. Celui qui l'occupe donne l'ordre d'avancer, mais ses porteurs ne peuvent se forcer un passage.

— Maître, c'est impossible à moins de revenir sur nos pas.

— Qu'est-ce donc?

— Une Vestale. Elle a laissé éteindre le feu sacré, on la conduit au tombeau.

— Abaissez la litière pour que je descende, ordonne Julius Quartus. Attendez-moi là, les caveaux des Vestales ne sont pas loin d'ici, je l'escorterai moi aussi.

À ce moment, Diana arrive. Elle ne peut apercevoir son père, mais lui l'a vue, ses porteurs l'ont vue.

— Notre maîtresse, notre Diana! Non, ce n'est pas possible, se disent les hommes entre eux. Et nous ne le savions pas!

— Si Démétrius était là, il saurait comment la sauver!

Julius Quartus est blême, figé sur place.

«Ma fille! Ma Diana! Mon enfant! Je ne peux rien pour toi! Non, ce n'est pas possible! Toi, si belle, si bonne, conduite au tombeau! C'est moi qui t'ai condamnée à cette vie et maintenant à cette mort! Diana, le Dieu que tu aimes ne te délivrera-t-il pas? Ou veut-il me punir de Le persécuter?»

La foule a continué son chemin. Julius n'a pas bougé, à la fin il reste seul, égaré par le chagrin. Près de lui, ses porteurs attendent les yeux baissés, les traits de leurs visages contractés par l'émotion. Julius les regarde étonné.

À suivre