La captive de Noël

Dominique Floutier - Éditions Le Phare

Pendant que Diana est emmenée au temple de Vestale, Livie et Démétrius essaient de convaincre Claudius Faustulus de s'enfuir en Grèce, son pays natal. En effet, ils craignent que Julius Quartus se venge sur lui en le dénonçant à l'Empereur.

— Écoute! Quand Julius sera calmé, que cette triste histoire sera oubliée, tu trouveras ici tous ceux qui prépareront la délivrance de Diana et tu reviendras.

— Partir ainsi...

— Ne tarde plus, je t'en prie Claudius, c'est la seule chose raisonnable.

— Vous avez raison, mes braves amis, à quoi bon risquer la mort? Mais je reviendrai... Adieu Livie... Adieu Démétrius, que notre Dieu nous garde tous et qu'Il nous réunisse.

Claudius disparaît dans un nuage de poussière. Livie et Démétrius se sont avancés jusqu'au bord du promontoire qui domine le port. Immobiles, silencieux, ils fixent la rade où le flot balance les navires à l'ancre. Une brise légère se lève.

— Il aura bon vent, dit Démétrius serrant Livie contre lui. Nous ne serons heureux tous deux que lorsqu'ils seront réunis.

— Oh! oui, Démétrius, pauvre, pauvre Diana!

Enfin le cavalier qu'ils guettent surgit, franchit la passerelle. Aussitôt, comme si on avait attendu le maître, les voiles sont hissées, les ancres levées, les rames battent l'eau, le vent gonfle la voilure, et la galère, comme une mouette, s'élance sur l'eau toute scintillante et dorée par le soleil couchant.

— On dirait un bateau fantôme, dit Livie qui rit et pleure tout à la fois.

— Sauvé! répond Démétrius, en se penchant vers elle. Dieu soit loué!

— Dieu soit loué!... Démétrius, il faudra que tu trouves le moyen de faire dire à Diana qu'il est en sécurité.

— Sois tranquille, Livie. Son corbeau, celui qu'elle avait trouvé blessé un jour sur la colline, qui la suivait partout dans le palais et les jardins, sera notre messager. Nigra saura la retrouver. Courage, Livie, nous lui restons.

— Allons rassurer Terentilla.

— Et la consoler, ne crois-tu pas, Livie?

9. Le temps de l'épreuve

À son arrivée au temple, Diana fut reçue par la Grande Vestale qui, en quelques mots, lui expliqua ce qu'elle attendait d'elle. Elle lui exposa aussi quelles étaient les différentes sanctions auxquelles s'exposait une Vestale en ne respectant pas la règle de vie des filles consacrées au culte de la déesse. Diana écouta figée, comme dans un rêve, ce qui fit dire par la Grande Vestale au Grand Pontife:

— La fille est aussi hautaine et orgueilleuse que l'illustre Julius Quartus. C'est un honneur qu'il nous fait en nous la consacrant.

Puis elle confia Diana à une Vestale de quelques années son aînée qui servait la déesse depuis l'âge de cinq ans. Sylvia devait instruire Diana, lui rendre familiers les rites et les institutions de ce culte qu'elle rendait dans le temple depuis plus de douze ans. Sylvia et Diana devinrent vite de très bonnes amies. Toutes deux vives et enjouées, toute simplicité et spontanéité, elles se comprirent rapidement et cela fut une joie pour Diana, encore bouleversée par les événements des jours précédents, de trouver une amie.

Bien vite, ce ne fut pas Sylvia qui instruisit Diana dans la religion de Vesta, mais Diana qui apprit à Sylvia à connaître cette foi, ce message si nouveau, si vivifiant et dont tout son être avait soif. Chaque fois que c'était possible, Diana répétait à Sylvia les paroles de vie, d'espérance et d'amour qu'elle redisait avec une joie et une reconnaissance toujours nouvelles. Diana avait vite gagné la confiance des petites Vestales. Elle avait toujours un sourire, une parole aimable pour ces petites filles qu'elle plaignait de tout son cœur.

«Si jeunes enfermées ici, quand je pense à mon enfance libre et heureuse, je ne peux m'empêcher de vouloir jouer avec elles»... ce qui évidemment lui valait les reproches de la Grande Vestale qui devait revenir sur son premier jugement. À son grand étonnement, Diana n'était ni fière, ni hautaine, elle était même assez surprise par sa simplicité et son exubérance. Elle lui interdit tous les jeux. Alors, ne pouvant jouer avec les petites qui avaient enfin trouvé quelqu'un qui les aimait et les comprenait, elle les réunissait pour leur raconter des histoires. Bien vite, celle qu'elles préféraient fut celle de ce petit enfant qui avait commencé par naître dans une étable et qui, après une vie extraordinaire, était mort sur une croix. Malheureusement, les petites Vestales, inconsciemment, trahirent Diana. Comme elle n'était pas toujours libre pour leur raconter cette merveilleuse histoire, elles imaginèrent de se la raconter entre elles... puis aux Vestales avec qui elles passaient la nuit en surveillant le feu! Le châtiment vint brusque, terrible. Diana, devant toutes les Vestales réunies, fut condamnée à la peine du fouet. Suspendue par les poignets à une poutre, entièrement dévêtue, elle fut fouettée par la Grande Vestale. Elle fut tant fouettée que pendant plusieurs semaines elle resta entre la vie et la mort. Comme dans son délire elle ne cessait d'invoquer son Sauveur, la Grande Vestale dut demander à Julius Quartus d'envoyer une de ses esclaves pour soigner la rebelle.

C'est ainsi, qu'un soir, Terentilla s'installa au chevet de son enfant, tellement faible, tellement changée que la fidèle nourrice pensait être venue pour assister sa colombe dans ses derniers instants. Mais ses soins et sa tendresse furent récompensés et peu à peu Diana reprit des forces. Bientôt, reconnaissante pour cette terrible punition, car Diana estimait que c'était un honneur et une joie de souffrir pour le nom du Seigneur Jésus, elle s'apprêterait à reprendre sa vie parmi ses compagnes. Mais Terentilla veillait. Fermant la porte à la Grande Vestale, elle fit durer cette convalescence fort longtemps, car Diana obéissait en tous points aux instructions de la vieille femme quand celle-ci devait s'absenter. La Grande Vestale profitait de ces absences pour venir voir la malade qu'elle trouvait toujours couchée, les yeux clos. Ce ne fut que lorsque toutes les plaies furent parfaitement cicatrisées et les forces tout à fait revenues que Terentilla accepta de repartir au palais.

Elle avait tenu Diana au courant de tout ce qui s'était passé depuis son départ. Elles décidèrent aussi de correspondre. Démétrius enverrait des messages par Nigra, le corbeau de Diana. Par prudence Diana ne devait pas y répondre. Ce qui la combla de joie, ce fut d'apprendre le départ de Claudius.

— Comme vous avez bien fait de lui conseiller de partir sans retard! Tu sais, chaque jour je vivais dans une grande angoisse en pensant à lui. Maintenant, je serai sans inquiétude. Fais-lui dire, Terentilla, qu'il ne revienne pas à Rome. Maintenant bien moins qu'avant.

— Démétrius y veille, ma fille. Car Julius Quartus est plus irascible que jamais. Tu savais, par un sourire, par tes chants ou par ta présence, changer le cours de ses idées. Maintenant, certains jours, nous tremblons tous!

— Mon pauvre père! Vois-tu, Terentilla, le jour où il verra qu'il s'est trompé, ce sera terrible pour lui. N'est-ce pas les remords qui le torturent?

— Des remords, lui!

— Oh! Terentilla, toi, une chrétienne, parler ainsi! Vois-tu, moi je suis sûre qu'il finira par être brisé, et alors il sera l'homme le plus merveilleux, tu verras.

— Il faudrait alors qu'il soit broyé au plus profond de lui-même. Mais qu'est-ce qui pourrait l'atteindre? N'étais-tu pas son plus cher trésor?

— Espérons, Terentilla.

— Oui ma fille. Adieu! Que la paix soit avec toi! Quand l'heure de la délivrance sonnera, nous serons là. Démétrius veille, il saura t'enlever à cette vie, même si tu as des années à attendre. Courage, ma fille, nous ne t'abandonnerons pas, nous t'aimons trop...

Et la vieille femme s'en était allée. Elle n'était pas plutôt partie que Diana était sommée de se présenter devant la Grande Vestale. Et depuis cet instant, Diana fut condamnée au silence, à la solitude, aux travaux les plus durs. Elle vivait à l'écart de ses compagnes dont beaucoup retinrent leurs larmes le jour où elle réintégra le groupe des Vestales, mais où une place loin de toutes lui fut assignée, comme à une lépreuse dont on redoute la compagnie.

Plusieurs fois par jour, elle devait descendre à la source pour remonter l'eau sacrée dans une amphore et bien plus souvent qu'à son tour elle devait garder le feu la nuit.

«Comme la Grande Vestale serait heureuse si je m'endormais et si je laissais éteindre le feu...» pensait Diana. «Elle serait débarrassée de moi! Je n'ai même pas une petite pour m'aider à veiller, comme le veut la règle.»

Les jours, les mois et les années avaient ainsi passé. Cette solitude, ce silence et la monotonie de cette vie où chaque jour qui commençait devait s'écouler en tous points semblable à celui qui l'avait précédé auraient dû avoir raison de la gaieté, de la vivacité, de l'humeur égale de Diana. Mais il n'en était rien. Elle trouvait des trésors inépuisables d'émerveillement et d'intérêt. Soutenue par sa foi, elle restait pareille à elle-même, et ses compagnes s'émerveillaient de sa gaieté et de sa sérénité. La Grande Vestale elle-même restait confondue devant cette jeune fille aimable, qui acceptait les plus terribles vexations avec le sourire. Elle ne comprenait pas que, condamnée au silence, elle puisse rester aussi gaie. Elle devenait la jeune fille la plus rayonnante qu'elle ait encore jamais vue parmi ses Vestales et cela avec tant de simplicité et de charme que la Grande Vestale n'osait plus l'accabler, sentant qu'elle serait toujours perdante, car Diana jouissait infiniment de la vie qui lui avait été assignée.

Si elle avait été condamnée à vivre dans le temple, l'épreuve aurait été terrible, mais descendre la colline plusieurs fois par jour pour aller puiser l'eau sacrée était pour elle le meilleur des réconforts. Elle parlait aux fleurs, aux papillons – il fallait bien qu'elle parle à quelqu'un! – elle s'entretenait avec les bêtes qu'elle rencontrait et en avait apprivoisé un certain nombre. Elle descendait souvent en courant et chantant et, si la montée avec son amphore pleine sur une épaule était souvent pénible, elle s'arrêtait en chemin pour regarder un oiseau bâtir son nid, une chenille s'envelopper dans son cocon, des fourmis déménager des grains trois fois gros comme elles. Et puis il y avait la visite de Nigra, son corbeau, avec les messages de Démétrius. Messages brefs, résumant en quelques mots ce qu'il avait entendu aux assemblées. Ces messages-là, Diana les cachait sous une pierre où Sylvia savait les trouver... D'autres apportaient des nouvelles de son père, bien rarement de Claudius. Chaque visite de l'oiseau lui redonnait du courage, ranimait sa foi et renouvelait sa joie.

À suivre