La captive de Noël

Dominique Floutier - Editions Le Phare, 5620 Flavion (Belgique)

Après avoir assisté pour la première fois à une réunion de chrétiens, Diana a décidé de rendre la liberté à tous les esclaves qui sont en sa possession. Depuis, chaque nuit, elle se rend avec Livie dans les catacombes. Mais voici qu'un matin à l'aube, Julius Quartus est de retour. Diana a l'impression qu'il  désire surveiller ses allées et venues. Aussi sa nourrice Terentilla lui enjoint-elle de renoncer momentanément- à se rendre aux assemblées. Ceci n'enchante guère Diana...

— Tu as raison de me prêcher la prudence; pardonne-moi de m'être fâchée avec toi.

— Ce n'est rien Diana, tu peux te tromper sur les sentiments de ton père. Ton inquiétude peut te faire imaginer qu'il a appris que tu étais sortie chaque nuit pendant son absence, alors que peut-être il ne sait rien.

— Il vaut mieux que je pense qu'il sait, cela me rendra plus prudente. Que tout est compliqué...!

— Repasse dans ton cœur tous les enseignements que tu as reçus et tu verras que tout sera plus facile. Tu seras apaisée, calme et confiante.

— Ma brave Terentilla, merci. Si je ne t'avais pas, je ne sais pas ce que je deviendrais. Mais que j'ai sommeil! Que je voudrais dormir! Écoute, prépare-moi vite pour paraître devant mon père et puis je dormirai en attendant qu'il me fasse appeler.

Diana s'est préparée, apportant beaucoup de soin à sa toilette, au choix de son vêtement, pour être agréable à son père qui aime la voir élégante et richement parée. À demi couchée pour ne pas défraîchir sa toilette et appuyée sur l'épaule de sa fidèle nourrice, elle s'est assoupie.

«Non, se dit la vieille esclave, elle ne sortira pas tous les soirs. Elle est fragile comme sa mère. Elle est toute pareille à elle. Quel malheur qu'elle soit morte si jeune! «Il» ne serait pas devenu si autoritaire et orgueilleux si elle avait vécu... et son enfant ne serait pas exposée. J'ai fait ce que j'ai pu pour rendre son enfance heureuse... Mais maintenant, que puis-je pour elle...? Sinon veiller!»

— Diana, Diana, mon enfant, le maître te demande, dit doucement la vieille femme en remettant en place la coiffure que ce moment de repos a déplacée.

— Déjà!

— Déjà? Voilà plus de deux heures que tu dors dans mes bras.

— Ma pauvre, tu dois être épuisée. Merci, allons il faut que j'aille vite.

Diana arrive en sautillant et fredonnant dans le grand salon où son père, étendu sur une couche basse, sourit en la voyant toujours si gaie, si heureuse et gracieuse.

— Diana, ce n'est pas pour te faire le récit de mes aventures de voyages que je te fais appeler.

— Quel dommage, père! C'est si amusant de t'entendre raconter.

— Je voudrais que tu m'accompagnes au cirque dès que nous aurons pris notre repas.

— Au cirque? Qu'y fait-on que je puisse y voir?

— Une course de chars. Ne m'as-tu pas dit un jour que tu aimais voir courir les chevaux et que les jeux de l'arène te paraissaient passionnants?

— Oui, père, mais je n'aime pas ce qui est atroce. Tu me rendrais malade si tu me faisais voir ce que l'on raconte.

— Que te raconte-t-on, ma fille?

— Peu de choses, mais assez pour que je sache que parfois on fait courir des chars qui traînent des corps humains.

— C'est vrai. Ces gens ne méritent pas un autre châtiment, crois-moi. Ce sont des hors-la-loi qui bravent les édits de l'Empereur et bafouent nos dieux.

— Aujourd'hui, c'est cela que nous irons voir?

— Non, petite sensible. Je t'aime assez pour t'épargner ce spectacle. Cependant, si un jour ma fille s'intéressait à ces sornettes que des illuminés et des fanatiques racontent dans nos sous-sols de Rome, je serais obligé de lui montrer le sort qu'on réserve à ces gens, dit-il en la regardant fixement.

Diana est heureusement sur ses gardes, elle peut soutenir le regard de son père et lui demander tout naturellement:

— Que verrons-nous alors?

— Une de ces fêtes comme le peuple les aime et que notre Empereur sait lui offrir. Cela renforce son pouvoir et son prestige.

— Alors tout Rome sera là? Nobles, soldats, serviteurs, esclaves?

— Oui, ce sera un très grand spectacle avec des coureurs, des pugilistes, des sauteurs, des lutteurs, et enfin des auriges1 sur leurs chars de courses. Ce sont des amateurs. Notre Empereur les a choisis parmi ses tribuns. Cela l'amuse de les voir courir dans l'arène.

1 Aurige: cocher, conducteur de char de course.

— Mais, père, ne faut-il pas un grand entraînement et une grande pratique de la piste pour ces courses?

— Tu raisonnes très justement, Diana. Notre Empereur sait ce qu'il fait. Il a choisi quatre jeunes tribuns particulièrement renommés pour leur connaissance des courses et le maniement des chevaux. Du reste, ils s'entraînent depuis plusieurs semaines. On pariera sur les tribuns, comme sur des auriges professionnels, avec un attrait supplémentaire: chacun courra en portant les couleurs d'une jeune Romaine.

— Que c'est amusant, père! Qui a choisi ces jeunes filles?

— L'Empereur et moi-même. Nous avons choisi les quatre plus belles et les quatre plus nobles.

— Quelle bonne idée! Tu as pu me faire réserver une place?

— Certainement, une place d'honneur, dans la loge même de l'Empereur.

— Oh! non, pas là, père, je n'y tiens pas du tout! Tu sais, je m'amuserai bien mieux si je suis tout en haut, mêlée à tout le monde. Je pourrai crier, applaudir, acclamer, prendre part au jeu sans réserve, de tout mon cœur.

— Mais tu prendras part au jeu aussi bien aux places qui nous sont destinées, puisqu'elles sont toutes proches du spectacle.

— Oh! non, père! Dans la loge de l'Empereur il faut être digne et moi je ne sais pas l'être! J'essaierais puis, prise par le spectacle, j'éclaterais de joie ou de déception et je vous ferais honte...

— Diana, tu ne seras donc jamais comme les jeunes filles de notre noblesse?

— Mais c'est terriblement ennuyeux de se tenir raide comme une colonne, d'applaudir du bout des doigts, de sourire du bout des lèvres, de minauder derrière son éventail. Et puis saluer cérémonieusement à droite, à gauche, recevoir les hommages de celui-ci, de celui-là, père j'étouffe déjà en y pensant!

— Et quoi encore, Diana? Tu es très amusante! Sais-tu que ces jeunes filles chercheraient toutes les protections et tous les moyens pour être à ta place? Elles savent se maîtriser, elles, avoir un comportement digne de leur rang.

— Quel bonheur, père! Invite-les donc à ma place et moi j'irai sur les gradins, tout là-haut; je serai enchantée.

— Peut-être, Diana, mais ce soir ce sera comme je l'ai décidé. Un jeune tribun courra pour toi. Veux-tu en choisir un parmi ces quatre noms?

— Choisir un tribun?... Mais je n'en connais pas! Choisis pour moi, père. Tu devrais prendre celui qui a des chances de perdre.

— Des chances de perdre? Diana, quelle idée!

— Je ne serai pas attristée du tout, bien au contraire. Et puis les autres jeunes filles auraient le plaisir d'avoir choisi un vainqueur et d'être acclamées avec lui. C'est cela qu'elles veulent, n'est-ce pas?

— Enfin, Diana, comment peux-tu parler ainsi? Si tu n'étais pas ma fille, je te ferais fouetter.

— Et je serais toute bleue de coups pour aller au spectacle...

Diana éclate d'un rire si frais et communicatif que son père a bien de la peine à rester indifférent.

— Ainsi tu ne veux pas d'un bon conducteur?

— Dans ce cas, je veux ce que tu veux. Mais je vais t'expliquer ce que je pense: Pour moi, ce n'est pas le résultat qui m'intéresse; ce qui me passionne, c'est l'adresse, l'endurance, l'intelligence des hommes, leur maîtrise, leur droiture, l'agilité et l'obéissance des chevaux, la beauté de tout le spectacle. Tu ne trouves pas, père, que celui qui perd a autant de mérite que celui qui gagne, surtout si le vainqueur n'a pas agi loyalement?

— Tu as peut-être raison, dit son père en souriant.

Diana, très passionnée par ce sujet, continue malgré le sourire indulgent et amusé de son père.

— Celui qui perd s'est donné autant de peine que les autres et parce qu'il arrive le dernier personne ne fait attention à lui. On le dédaigne même. Alors moi, je serai contente d'avoir celui qui perdra.

— Et tu le couronneras de lauriers d'or, je suppose?

— Ne te moque pas, père, c'est vrai ce que je te dis.

— Tu es une enfant terrible, ma Diana, et sous ton apparente douceur, il me semble que tu caches des idées assez originales et personnelles, pour ne pas dire bien arrêtées. Va te préparer pour être belle. Je te dispense du repas avec moi. Prends ton temps pour ta toilette... Je veux que tu sois très belle, la plus belle.

— La plus belle pour le vaincu! Pour te faire plaisir, père, tu seras obéi... mais tu sais, moi je n'y tiens pas du tout, à être la plus belle...

Et dans un tourbillon de voiles vaporeux et d'éclats de rire, Diana laisse son père.

Le Sénateur est toujours décontenancé et surpris par la vivacité et la franchise de sa fille. Songeur, il la regarde s'éloigner à travers l'enfilade des salons, des colonnades et des jardins intérieurs.

«Il n'y a qu'elle au monde qui ne tremble pas devant moi... Ce n'est pas désagréable d'avoir une fille qui ne soit pas une poupée sans personnalité... mais en devenant plus âgée, il ne faudrait pas qu'elle échappe à mon autorité. Quoique soumise, elle est très indépendante... Il faut que je prenne garde et que je sois vigilant. Je n'ai pas voulu lui imposer la présence d'une matrone2 pour lui apprendre ce qu'une jeune fille de son rang doit savoir, pour l'accompagner dans ses sorties, pour surveiller ses loisirs... j'ai peut-être eu tort. Mais ma Diana était comme un oiseau des bois, je ne pouvais l'empêcher de chanter et de voler à sa guise. Julius Quartus, toi le puissant Sénateur, veille pour ne pas être confondu par cette aimable enfant!»

2 Matrone: ancienne dame romaine; femme d'un certain âge et respectable.

Les jeux du cirque

— Es-tu satisfait? dit Diana en faisant une gracieuse pirouette devant son père qui l'attend dans l'atrium3.

3 Atrium: cour intérieure entourée de portiques et située à l'entrée de la maison.

Satisfait?... Julius Quartus est stupéfait de reconnaître sa fille dans cette charmante apparition. La toilette qu'elle porte est d'une élégante simplicité, le tissu en est si fin, si riche et si délicat que l'ensemble est éblouissant de fraîcheur. La toilette et celle qui la porte sont réellement faites l'une pour l'autre.

— Qui donc se permet d'offrir à ma fille un vêtement aussi parfait? interroge le Sénateur sévèrement.

— Terentilla et Livie, mon père. Depuis des mois, chaque jour elles ont filé, tissé, brodé, bâti cette merveille. C'est l'œuvre de beaucoup d'amour. Elle est si belle que je n'osais pas la mettre.

— En effet, elle est merveilleuse. Tout à fait digne de nous, digne de la loge de l'Empereur et digne du vainqueur, ajoute le Sénateur en caressant la joue de sa fille.

Il est tout ému par la vision qu'elle offre.

Vraiment, Diana, tu es ravissante et je suis fier de te montrer aux nobles comme au peuple de Rome.

À suivre