La fille du Roi de la mer

La promenade en mer proposée par Helga, un jour de mauvais temps, a failli mal tourner! Mais cette mésaventure a été l'occasion pour Helga d'accepter Jésus Christ pour son Sauveur.

Lorsqu'au printemps les drakkars sont repartis pour leur expédition au pays des Francs, Helga a demandé à son père d'emmener Thierry afin de lui rendre sa liberté. À son retour, Olaf annonce la célébration du mariage de sa fille. Helga se trouve confrontée à un grand dilemme: doit-elle dire à son père et à son futur mari qu'elle est devenue chrétienne ou doit-elle se taire...?

Quand le Viking était revenu, il avait tout de suite annoncé à sa femme et à sa fille:

— Les noces d'Helga seront célébrées dans trois jours! Astrid avait gémi. Trois jours, c'était bien court pour faire les préparatifs d'une telle fête.

La robe de noces d'Helga, somptueusement brodée, est prête depuis longtemps; Astrid y a travaillé tout l'été. Quant aux bijoux, Olaf rapporte dans ses coffres de quoi parer sa fille comme une princesse. Il a aussi ramené trois belles captives qui doivent servir d'esclaves à la jeune mariée. Enfin, le vin du pays des Francs, dont le Viking a rapporté de grandes outres pleines, et les victuailles de toutes sortes pillées dans les fermes et les châteaux, ne manqueraient pas au festin.

Astrid et les servantes se sont mises à l'œuvre, aidées par les voisines, très fières de participer aux préparatifs du repas de noces de la fille du chef. Tandis que les hommes égorgent et dépècent les bestiaux volés en France, les femmes se livrent à la confection des gâteaux, des sauces, des mets de toutes sortes.

Helga qui, depuis qu'elle est devenue chrétienne, a fait de sincères efforts pour dominer son horreur des travaux ménagers, a mis elle-même la main à la pâte, à la grande joie d'Astrid, ravie de voir sa fille participer à la confection du repas de noces. La femme du chef ne cesse de chanter les louanges du jeune Eric; elle promet à Helga tous les bonheurs possibles. Les sourcils froncés, Helga ne répond pas. Visiblement, quelque chose la préoccupe. Peut-être cette fille indépendante s'attriste-t-elle à l'idée de perdre sa liberté? Astrid avait interrogé vainement Helga, la jeune fille avait refusé de livrer son secret. «Oui, Eric lui plaisait, oui, elle était contente de se marier...» Astrid n'avait rien pu en tirer de plus.

Le lendemain, Knut et son fils Eric étaient arrivés avec leurs guerriers. Eric est un garçon de dix-sept ans, grand et robuste, à l'air franc et décidé. Il a des cheveux blonds aux reflets de cuivre et des yeux bleu foncé, presque noirs. C'est un garçon fier et courageux; il plaît beaucoup à Helga. Olaf et Knut ont décidé ce mariage depuis des années. Eric et Helga, bien qu'on ne leur ait pas demandé leur avis, envisagent cette union avec joie. Les allures indépendantes d'Helga ne déplaisent pas à Eric; au contraire, une femme trop soumise l'aurait exaspéré. Il apprécie la beauté de la jeune fille, sa hardiesse, son courage. Mais il ignore encore qu'Helga a renié la foi de ses ancêtres. Et la fille du chef se demande avec anxiété si elle doit, ou non, prévenir celui qui dans deux jours va devenir son mari...

Se taire lui paraît lâche, indigne de la fille d'un Viking, indigne d'une chrétienne. Se taire, c'est tromper son père, tromper Eric et sa famille. Parler, c'est désespérer son père et l'accabler de honte, c'est désespérer celui qui va devenir son mari... Pourtant, tôt ou tard, il faudrait bien en arriver là...

En ce moment même, on offre les sacrifices aux dieux... Helga, qui s'est bien promis de ne plus jamais assister à une cérémonie de ce genre, s'est esquivée sans bruit et s'est réfugiée dans la forêt. Quand Astrid s'est aperçue de sa disparition, Helga était déjà loin! C'est en vain qu'on l'avait cherchée, appelée.

— Partons sans elle! avait fini par dire Olaf, furieux. Nous ne pouvons pas faire attendre nos invités et le prêtre de Wotan parce qu'il a plu à cette fille insupportable d'aller faire un tour dans les bois à l'heure de la cérémonie! Il est grand temps de marier Helga, son Époux la dressera!

Au bout d'une heure, quand elle avait jugé que tout le monde devait être à la cérémonie, Helga était revenue à pas de loup et avait escaladé le grand sapin.

Le temps passe. Bientôt Helga voit revenir son père, Knut et Eric, suivis par les guerriers et par les femmes. Elle dégringole de son perchoir, se dirige vers la maison et entre dans la salle où se tient Olaf et ses invités. Helga avait d'abord l'intention de se glisser dans la maison par derrière et d'entrer dans la cuisine. Sa mère la gronderait, gémirait, mais ferait l'impossible pour détourner l'orage de la tête de sa fille. Cette solution facile parut un peu lâche à Helga et elle la rejeta. Elle est maintenant décidée à ne pas se dérober à une explication, à affronter la fureur de son père.

Quand il voit surgir Helga, Olaf pose brusquement la coupe d'argent — volée dans un château français — qu'il allait porter à ses lèvres.

— Te voilà! rugit-il. Où donc es-tu allée courir? Comment as-tu osé faire un pareil affront à nos hôtes? Ne sais-tu pas que tu risques d'attirer la colère des dieux sur toi et sur celui qui va devenir ton Époux? Ne pas assister aux sacrifices, à la veille de ton mariage, c'est mépriser les dieux!

— Je ne crois plus aux dieux, dit Helga à haute voix.

La foudre tombant au milieu de la salle n'aurait pas produit pareil effet. Les guerriers demeurent figés sur place; la crainte et l'horreur se lisent sur leurs rudes visages. Eric regarde Helga avec épouvante. Le visage de Knut est décomposé par la fureur. Quant à Olaf, il est hors de lui!

— Ose répéter ces paroles, fille maudite! hurle-t-il en se précipitant sur Helga, le poing levé. Mettre Helga au défi de faire quelque chose, c'est la provoquer.

— Je ne crois plus aux dieux! crie-t-elle. Je suis chrétienne. Il n'y a qu'un seul...

Elle ne peut achever. Olaf vient de la gifler, à toute volée. Sous la violence du coup, Helga perd l'équilibre, et va rouler contre le mur, où elle se meurtrit cruellement. Elle serre les dents et se relève, sans une plainte.

Ivre de fureur, Olaf marche vers sa fille et l'empoigne par le bras.

— Ose répéter que tu es chrétienne! crie-t-il en lui serrant le bras avec tant de violence qu'Helga doit se mordre les lèvres pour ne pas crier de douleur.

Olaf se met à lui tordre le bras sauvagement.

— Je suis chrétienne! crie Helga de toutes ses forces. Dans son visage pâle, ses yeux verts flamboient. Le Viking grince des dents.

— Si je tenais ce maudit esclave chrétien, je le ferais brûler vif! gronde-t-il. C'est lui qui est responsable de tout! Que les dieux le maudissent, ce fils de chien! Un flot d'imprécations s'échappe de ses lèvres. Il maudit Thierry au nom des dieux, lui souhaitant toutes les calamités possibles, à lui et à sa descendance. Il maudit sa fille et l'accable d'injures. Puis il l'empoigne par ses nattes blondes et la traîne au-dehors, non sans avoir décroché au passage le fouet de chasse qui lui sert à corriger les chiens. Voyant qu'Helga ne cherche pas à se débattre, ni à fuir, le Viking la lâche.

— Marche devant! dit-il rudement.

Helga obéit et ils s'enfoncent dans le marais.

Au bout d'un moment, ils arrivent à une clairière au centre de laquelle s'élève un arbre isolé.

— jette le Viking.

Helga obéit. Sous la robe, elle n'a qu'une petite tunique courte et sans manches.

— Va vers cet arbre, et tourne-toi, commande Olaf.

Helga obéit.

— A genoux! dit le Viking. Helga s'agenouille sans mot dire. Olaf déchire brutalement la tunique, découvrant les épaules de la jeune fille. Il lève le fouet et cingle cruellement les épaules nues.

Helga, livide, serre les dents pour ne pas crier. À chaque coup, la douleur la plie en deux. Le sang coule sur son dos nu. Mais Olaf, ivre de fureur, frappe toujours.

À la fin, il s'arrête. Helga n'a pas laissé échapper une plainte. Mais elle est au bord de la défaillance.

— Lève-toi! ordonne durement le Viking.

Helga se met debout avec peine. Ses jambes se dérobent sous elle.

— Es-tu toujours chrétienne, à présent? gronde Olaf.

— Oui, père, dit Helga fermement.

Le Viking pousse un rugissement de fureur. Il ôte sa ceinture, lie les poignets d'Helga et l'attache à l'arbre.

— Une nuit dans la forêt te donnera le temps de réfléchir, fille rebelle! Je reviendrai demain matin, à l'aube, et si tu persistes à te déclarer chrétienne, tu seras fouettée à nouveau jusqu'à ce que tu cèdes, entends-tu?.

Helga rassemble toutes ses forces.

— Tu peux me faire mourir sous le fouet, je ne céderai pas!

— C'est ce que nous verrons! dit le Viking en s'éloignant. Helga reste seule. Elle n'a pas peur de la nuit et de la forêt. Mais c'est une chose de courir la forêt la nuit, escortée par des chiens et armée; c'en est une autre que de passer la nuit, attachée à un arbre, impuissante. On est à l'automne, un vent glacé souffle, le froid mord la chair d'Helga, presque nue dans sa tunique mince et déchirée. Son dos et ses épaules, cruellement meurtris par la lanière de cuir, lui causent une souffrance atroce. Des nuées de moustiques avides de sang se collent à ses plaies, et leurs milliers de piqûres constituent une torture pire que le fouet d'Olaf. Helga finit par s'évanouir.

Éric

Quand Helga reprend connaissance, elle est allongée sur la mousse et quelqu'un lui jette de l'eau au visage. Les paupières d'Helga battent, et elle ouvre les yeux. Son visage tuméfié par les piqûres la fait cruellement souffrir. Les premières lueurs de l'aube blanchissent la cime des arbres, et un garçon dont Helga ne peut distinguer les traits est penché sur elle.

— À boire! gémit Helga.

Une soif ardente lui brûle la gorge et la poitrine. Le garçon va puiser de l'eau à la source près de laquelle il a transporté Helga et fait boire la jeune fille dans ses mains réunies.

— Helga! dit la voix d'Éric. Ma petite Helga, est-ce que tu as très mal?

«Ma petite Helga». Ces mots font une drôle d'impression à la fille du chef. Personne ne l'a jamais appelée ainsi, sauf sa mère. Pour elle, c'est nouveau et inattendu. La voix d'Éric a pris une inflexion caressante qui, dans les circonstances ordinaires, aurait plutôt agacé Helga. Mais elle se sent si faible, elle a si mal, que la douceur inattendue du garçon lui procure une sorte de détente, d'apaisement. Elle s'attendait à voir Éric furieux, à entendre d'amers reproches. Le voir attendri et inquiet, cela lui fait du bien.

Oui, j'ai très mal, dit Helga calmement. Éric, c'est toi qui m'as détachée? Tu dois être furieux contre moi!

— Je suis furieux contre ce chien d'esclave chrétien! crie Éric, retrouvant subitement sa violence habituelle. Oh! celui-là, si je le tenais je le ferais écorcher vif!

Il serre les poings, frémissant de haine et de colère. Helga se redresse sur son coude, prête à la bataille.

— Tu oublies que cet esclave chrétien m'a sauvé deux fois la vie! Il aurait pu laisser le sanglier m'éventrer, ou me laisser mourir de froid sur l'île; rien ne l'obligeait à se dépouiller de sa peau de loup pour m'en envelopper! J'étais la fille de son ennemi et je l'avais odieusement maltraité!

Éric paraît ébranlé. Ce garçon païen est capable d'apprécier le courage et la générosité quand il les rencontre.

— Cessons de nous disputer, Helga, dit-il fermement. Je suis décidé à t'épouser, chrétienne ou non. Je l'ai dit à mon père qui, d'abord, s'est montré furieux. Puis il a fini par me dire: «Fais ce que tu voudras. Ce n'est pas moi qui me marie, c'est toi. Mais prends garde de défier les dieux.» Pour toi, Helga, je courrai le risque.

À suivre