Le jardin de l'arc-en-ciel (suite)

En route pour leur première baignade, les enfants courent vers la rivière, quand soudain Élaine se souvient de sa promesse à Olivia. Elle rebrousse chemin et arrive en retard chez son amie qui l'attend avec impatience, car c'est son anniversaire.

Notre conversation fut interrompue par l'apparition de Mrs. Thomas avec la théière. Ce fut un goûter délicieux et plein d'animation. Le jardin était une orgie de fleurs; les abeilles bourdonnaient dans les touffes de lavande. Mrs. Thomas nous conta des histoires amusantes, et je me bourrai de tartines et de gâteaux. Puis les bougies furent allumées (dans le soleil, elles se voyaient à peine) et Olivia découpa la tourte.

Quand je ne pus avaler un morceau de plus, Mrs. Thomas se leva et emporta le plateau.

— Je m'en vais laver le service à thé, mes enfants, et je vous laisse ensemble. Olivia, as-tu envie de montrer tes cadeaux à Élaine?

— Après, Mammy. Nous resterons un moment ici, parce que nous avons un secret à nous dire.

Elle attendit que sa mère ait disparu, puis elle se tourna vivement vers moi.

— As-tu apporté ta Bible, Élaine?

— Oui, fis-je, plutôt surprise, car auparavant elle ne s'y était guère intéressée. Elle est là, sous ma chaise. Je vais te la montrer.

— Voilà, reprit Olivia. J'ai réfléchi. Tu m'as dit que lorsqu'on connaît Jésus, il nous rend meilleurs, et je commence à te croire parce que tu es revenue de la rivière alors que tu désirais t'y baigner. Si tu n'y avais pas renoncé j'aurais pris tout cela pour des blagues. Tu m'as dit aussi que Jésus est un Ami à qui l'on peut tout confier et je me demande... Si je lis ma Bible et si je prie, crois-tu que Jésus me fera marcher de nouveau?

J'hésitai, puis dis simplement:

— Il pourrait te faire marcher de nouveau. Il l'a fait quantité de fois. Jan et moi lisons précisément le matin l'évangile de Marc et il contient plusieurs récits de malades qu'il a guéris.

— Lis-m'en un, commanda Olivia.

— Je choisirai le récit de ce matin, dis-je avec assurance. Il s'agit d'un homme qui ne pouvait pas marcher du tout et ils l'ont descendu par le toit. D'abord Jésus lui a dit: «Tes péchés te sont pardonnés» et ensuite il l'a fait marcher — c'est ici, je l'ai trouvé.

Et je lui lus l'histoire du paralysé, dans Marc 2. Elle écoutait intensément, les yeux rivés sur moi.

— Il est écrit dans les notes explicatives, remarquai-je, que le plus nécessaire, c'est que nos péchés nous soient pardonnés — alors on peut demander d'autres choses.

Olivia fronça les sourcils.

— Je ne crois pas que j'aie commis tellement de péchés. Comment le pourrais-je, couchée là comme je le suis. Même si j'essayais, je ne serais pas tellement méchante.

— Tu peux être de mauvaise humeur, affirmai-je candidement, ou du moins, tu grognes. Je crois que cela compte pour un péché. J'étais terriblement de mauvaise humeur avant d'aimer Jésus.

— Tu l'es quelquefois, rétorqua Olivia, mais cela ne fait rien. Ne nous querellons pas aujourd'hui. Dis-moi comment nos péchés nous sont pardonnés.

— Tu le demandes à Dieu, et tu crois que Jésus est mort pour toi. C'est tout, me semble-t-il.

Olivia secoua la tête et dit fermement:

— Je doute que ce soit aussi facile. Ne nous tracassons pas à propos des péchés. Demandons seulement à Jésus qu'il me fasse marcher. Sais-tu de quelle manière, Élaine?

Je la regardai, indécise.

— Je ne crois pas que tu puisses t'en tirer ainsi, Olivia, dis-je, me sentant perdre pied. Je suis sûre qu'en premier lieu tu dois appartenir à Jésus. Laisse-moi interroger Mrs. Owen, puis je te donnerai la réponse.

— Entendu, conclut Olivia, interroge-la. J'ai l'impression que tu n'en sais pas beaucoup plus que moi. Maintenant allons voir ce que j'ai reçu.

Je l'aidai à rentrer, admirai ses superbes cadeaux, dis au revoir et merci à Mrs. Thomas et trottai à la maison. À ma surprise, les autres n'étaient point de retour, Lucy dans son lit, et Robin sur son tas de sable. C'était une des rares occasions où j'avais Mrs. Owen toute à moi. Elle repassait à la cuisine les habits du dimanche.

— Tantie, dis-je, m'installant à la table et balançant mes jambes. Je voudrais vous poser une question très importante. Peut-on prier pour obtenir quelque chose avant que nos péchés nous aient été pardonnés?

Elle leva les yeux, inquiète.

— Tu es rentrée à la maison, Élaine? Où sont les autres?

— Je ne me souvenais pas de ma promesse d'aller goûter chez Olivia, déclarai-je brièvement, et j'ai rebroussé chemin... Olivia voudrait savoir... elle voudrait que je prie pour qu'elle aille mieux, mais elle ne veut pas se tracasser au sujet de ses péchés. Elle dit qu'elle n'en a pas tant sur la conscience.

Mrs. Owen éteignit son fer et me prêta la plus sérieuse attention. (Je découvris par la suite qu'elle priait chaque jour pour Olivia et sa mère.)

— Il nous est dit dans la Bible, Élaine, que Dieu est si pur et si saint que nous ne pouvons aller à lui avant que nous n'ayons été lavés et pardonnés par le Seigneur Jésus. Mais, naturellement nul ne peut prier pour le pardon tant qu'il ne reconnaît pas en avoir besoin. Je pense...

Mais je ne sus pas ce que pensait Mrs. Owen, car à mon extrême désagrément la porte de service s'ouvrit béante et les enfants pénétrèrent en trombe dans la cuisine, hâlés, en désordre, bruyants, traînant des costumes de bain mouillés, des fleurs sauvages, et Cadwaller couvert de boue sautant derrière eux. Finie, notre paix! ...

— Mammy, annonça Philip, j'ai vu des éclaireurs qui campaient au bord de la rivière; ô Mammy, et si nous campions, nous aussi?

Mrs. Owen cligna des yeux, ce qu'elle faisait chaque fois qu'elle devait à brûle-pourpoint passer d'un sujet à un autre.

— Voyons! Oui, Philip, ce serait charmant. Mais tu ne prétends pas camper ce soir, n'est-ce pas?

— Non, Mammy, pas ce soir, la rassura Philip du ton patient qu'il prenait pour ses explications à Robin. Il nous faudra des semaines et des semaines de préparation. Il nous faudra des provisions, un compas et une carte, deux tentes et une grande toile de sol et des sacs de couchage. Peut-être pendant les vacances d'été? Tu dis que nos moyens ne nous permettent pas d'aller quelque part tous ensemble. Eh bien! le camping ne nous coûtera rien du tout. Nous irons à la montagne, nous sur nos vélos, toi et les bébés et tout l'attirail prendrez le car. Nous irons pendant les vacances de Daddy et il nous conduira au Snowdon.

— Qui me conduira au Snowdon? intervint Mr. Owen, paraissant à l'instant.

Il se laissa tomber avec lassitude dans le vieux fauteuil à bascule de la cuisine et tendit ses bras à Francie qui se blottit allégrement dans son giron.

— Mammy consent à ce que nous campions dans les montagnes cet été, s'empressa de répéter Philip. Daddy, tu as dit que nous ferions une ascension avec toi cette année? N'est-ce pas, Daddy?

— Oui, oui, approuva-t-il avec autant de vivacité que Philip. J'ai attendu longtemps que vous soyez assez grands pour grimper sur de hauts sommets et je vous aurais déjà pris en août dernier si vous n'aviez pas contracté la varicelle, ce qui a tout gâté. Ce sera spécialement gai cette année puisque nous aurons Élaine avec nous. Il s'agit de trouver une ferme pour loger Maman et les bébés, une tente pour Philip, Johnny et moi, et une pour les fillettes.

— Moi dans une tente, murmura Francie, oh! dis, je serai dans une tente?

— Bien sûr, confirma Mr. Owen, je ne vais pas dormir dans les régions sauvages du Snowdon sans Francie pour veiller sur moi.

Il attira la petite tête contre son épaule et ils se reposèrent ainsi, jouissant l'un de l'autre. Il n'était point de favori dans la famille, mais je ne pouvais m'empêcher de croire que la timide, rêveuse petite Francie avait dans le cœur de son père un coin qu'elle ne partageait avec personne.

Chapitre 15 - Rencontre inattendue

J'étais si pressée de poursuivre ma conversation avec Mrs. Owen, qu'aussitôt nos lampes éteintes, en chemise de nuit, je me glissai de mon lit et descendis en sourdine l'escalier. Mr. Owen mettait au point son sermon du dimanche, et Mrs. Owen était seule dans le séjour, à repriser des chaussettes. Je m'assis devant la cheminée, appuyai ma tête aux genoux de Tantie, et repris le dialogue au point où il en était.

— C'est drôle, Tantie, Olivia ne croit pas qu'elle ait aucun péché à se reprocher bien qu'elle soit affreusement égoïste et irritable. Ne pourriez-vous pas aller vers elle et tout lui expliquer, Tantie?

Elle resta un moment silencieuse et au lieu de me répondre, elle dit:

— Je vais te raconter une histoire et tu essaieras d'en deviner le sens.

Les yeux fixés sur elle, je me mis en boule. En parlant, elle passait et repassait son aiguille sur un immense trou.

Il y avait une fois une vieille femme qui vivait dans un petit village de montagne, et un jour, elle vint à la ville y acheter un paquet de lessive «Radion» qui, comme tu le sais d'après les réclames, «lave plus blanc » . Elle lava son linge et le suspendit dehors le lundi, et certainement, il surpassait en blancheur celui des jardins voisins. Elle était si enchantée qu'elle décida de l'y laisser afin que chacun pût le voir.

Mais le mardi après-midi, il faisait un froid glacial et elle pensa: «Je dois rentrer mon linge avant la nuit.» Elle sortit et poussa un cri d'horreur: «Qui a touché à ma lessive? Elle n'est plus du tout blanche, elle est presque grise.»

Personne n'avait touché à sa lessive, et à l'instant elle réalisa ce qui était arrivé. Pendant qu'elle s'occupait à l'intérieur, la neige était tombée de la montagne et à côté de l'éclatante blancheur de la neige, même le «Radion» s'avérait gris. Elle avait entrevu la pureté de Dieu et cela faisait toute la différence.

Mrs. Owen me souriait, mais je sourcillais, intriguée, ne comprenant pas.

— Bien des gens sont comme cette vieille femme, enchaîna Mrs. Owen. Ils observent leurs voisins et en déduisent: «Je ne suis pas un pécheur; je suis meilleur que tel et tel, je ne vole pas, et je suis bien moins égoïste que tel et tel.» Ainsi ils oublient que Dieu ne leur a jamais dit d'être pareils à tel ou tel. Il a dit: «Soyez saints, car je suis saint», et il a envoyé Jésus pour nous montrer combien il est saint et parfait. Lorsque nous regardons à Jésus dans la Bible, c'est en lui que nous voyons l'absolue pureté de Dieu, la bonté parfaite, le parfait amour. Et plus nous le regardons, plus nous constatons: «Ce n'est pas ainsi que je suis.» Rappelle-toi Pierre dans le cinquième chapitre de Luc. Il se croyait un très brave homme jusqu'à ce que Jésus vînt dans la barque. Alors il s'écria: «Seigneur, retire-toi de moi; car je suis un homme pécheur.»

— Oui, fis-je absorbée. Il faudra que je parle de Jésus à Olivia, et quand elle verra qui il est, elle verra ce qu'elle est. Je suppose qu'avant cela elle ne peut pas demander à être guérie.

Mrs. Owen hocha la tête.

— Plusieurs personnes mentionnées dans la Bible accouraient à Jésus, espérant simplement être guéries. Je suppose que le lépreux vint en pensant uniquement à ses plaies, et sans doute les petits enfants venaient-ils sans bien savoir pourquoi, mais Jésus réprimanda les disciples qui les chassaient. Il était si bon et miséricordieux qu'il disait toujours: «Venez!» Il ne renvoyait pas ceux qui s'approchaient de lui: Il leur donnait plus qu'ils ne demandaient. Ils les laissaient voir son visage et entendre sa voix. N'était-ce pas plus merveilleux que d'être guéri?... Laisse Olivia prier comme elle veut. Quand elle s'approchera de lui par la prière, le Seigneur Jésus l'enseignera, lui montrera qu'elle a besoin de pardon et la conduira à Dieu. Trois choses te restent à faire.

— Lesquelles?

— Premièrement, prier pour elle. Deuxièmement, choisir si possible le même moment pour lire la Bible avec elle, et y persévérer. Enfin, lui montrer l'amour, la sollicitude et la patience que t'a témoignés le Sauveur dans ta propre vie. S'il vit réellement en ton cœur, elle pourra le discerner en toi et non seulement dans la Bible.

Je demeurai muette, plongée dans mes pensées. Peu après entra Mr. Owen, et sa femme lui rapporta notre conversation. Il fut vivement intéressé et voulut savoir si Olivia avait une Bible.

— Non, répondis-je. Mais je peux lui en acheter une pour son cadeau d'anniversaire. Combien cela coûte-t-il? Je possède 7 francs.

— Une Bible bien imprimée coûtera plus que cela, dit Mr. Owen, mais j'ai idée que Janine aurait du plaisir à participer à cet achat. Discutez-en dans la matinée et vous irez les deux la choisir en ville.

J'allai me coucher toute contente, et résistai difficilement à la tentation de réveiller Janine pour la mettre au courant de notre projet. Mais j'étais moi-même si somnolente que je me souvins à peine d'avoir posé la tête sur l'oreiller quand, le lendemain matin, je trouvai la chambre pleine de soleil et Janine me secouant pour me tirer du sommeil. Elle fut ravie de ma proposition et promit de verser jusqu'à son dernier centime, mais elle ne put récolter plus de 2 francs 35, car, étant extrêmement généreuse, elle faisait constamment des cadeaux.

À suivre