Le jardin de l'arc-en-ciel (suite)

Élaine découvre le chemin du vrai bonheur. Pardonnée et justifiée par le sang de Jésus, une nouvelle vie commence pour elle. L'aveu du vol de la coquille d'Olivia libère son cœur et elle peut repartir à zéro. Mr. Owen lui remet une belle Bible avec son nom Élaine Nelson, et ce merveilleux verset du Psaume 16:11.

Nous ne restions pas confinées dans notre chambre à coucher pour faire notre lecture. Souvent, nous descendions au jardin nous asseoir sous le pommier dont les pétales roses parsemaient nos chevelures et nos livres. Quelquefois, nous escaladions les prairies vallonnées. Dans les creux fleurissaient les primevères officinales qui balayaient mes mollets. Le dimanche de Pâques, levées à l'aube d'un jour irradié de lumière, de chants et de couleurs, nous voilà parties, nos Bibles à la main, sans échanger de paroles, parce que nous savions l'une et l'autre où nous voulions aller; nous quittâmes la maison pour courir dans l'herbe jusqu'au Bosquet des jacinthes sauvages.

C'était un petit bois en pente, bien connu de Philip et de Janine, et dans lequel je ne m'étais guère aventurée, lieu de mystère où les rameaux des mélèzes s'abaissaient pour nous caresser de leurs aigrettes d'émeraude.

— Je ne me souviens pas être venue ici, dit Janine, s'arrêtant soudain et regardant, perplexe, autour d'elle. Du reste je crois que personne n'y vient. Vois-tu? Les arbres sont attachés les uns aux autres par les vrilles du chèvrefeuille et il n'y a pas de trace à travers les jacinthes — et, oh, regarde, là-bas où perce le soleil, sur le sol, ce sont des renoncules! Dépêche-toi, Élaine! Allons-y.

Je suivis, tâtonnant parmi les broussailles, et quand je rejoignis Janine, elle était déjà dans la clairière, immobile, saisie de respect, pareille à une petite adoratrice du soleil. Je me tins près d'elle, tranquille et attentive, moi aussi. De chaque côté, les hêtres s'élançaient comme des piliers, leurs branches s'unissant au-dessus de nos têtes en un réseau de feuilles contre le ciel printanier. Entre eux, de jeunes mélèzes inclinaient leur faîte et tout le centre n'était qu'un tapis de renoncules, chaque fleur emplie de soleil. Sur les branches des hêtres, les oiseaux composaient leurs mélodies avec tant d'allégresse que nous nous sentions tout étourdies, après le silence des bois.

— Naturellement! s'exclama Janine, les yeux brillants, c'est le matin de Pâques! Faisons ici notre recueillement, Élaine, et choisissons ce passage que Daddy nous a lu une fois, où il est question de robes blanches. C'est quelque part dans l'Apocalypse.

Après avoir cherché fébrilement, Janine finit par le trouver. Triomphante, elle lut ces versets. Je n'en comprenais pas très bien le sens, mais j'en aimais les mots: «... Tu as à Sardes quelques noms qui n'ont pas souillé leurs vêtements; ils marcheront avec moi en vêtements blancs, parce qu'ils en sont dignes. Celui qui vaincra sera revêtu ainsi de vêtements blancs... » (Apoc. 3:4, 5).

— Que cela signifie-t-il? insistai-je. Qu'est-ce que Sardes?

Janine fronça les sourcils.

— Une très méchante ville où chacun était sale et horrible, sauf quelques personnes qui, Jésus le dit, peuvent rester auprès de lui. Je suppose qu'il faut être très propre pour rester avec Jésus.

— Que veux-tu dire par horrible et sale? Que faisaient-ils?

Janine fixa l'éblouissante pureté des fleurs de cerisier et ne répondit pas tout de suite.

— Je me demande, fit-elle enfin lentement, si ce n'est pas comme à l'école — tu sais, Élaine, quand nos camarades vont ensemble au préau et se racontent de vilaines choses; parfois je m'approche pour écouter et ne pas faire bande à part. Mammy aurait un choc si elle savait de quoi parlent Eileen et Gwynnedd, mais je crois qu'elles en inventent la moitié — et Philip assure que les garçons sont pires que les filles.

Laissant errer mes yeux sur les renoncules, je ne bougeais pas, plutôt mal à l'aise. N'avais-je pas été, moi aussi, pressée d'écouter, même si je n'étais pas admise dans le cercle?

— Je crois que garder ses vêtements propres, reprit fermement Janine, c'est refuser d'écouter et s'en aller quand ces filles chuchotent. Une fois je l'ai fait, et elles ont ri et m'ont traitée de bigote, et j'ai eu peur. Mais dorénavant, Élaine, montrons-leur que cela ne nous plaît pas, et je suis presque sûre que plusieurs d'entre elles n'aiment pas ces propos; si nous donnons l'exemple, elles nous imiteront. En tout cas, toi et moi nous sommes d'accord. Écrivons notre texte d'aujourd'hui: «Ils marcheront avec moi en vêtements blancs, parce qu'ils en sont dignes» (Apoc. 3:4).

Penchant bien bas nos têtes sur nos carnets de notes, nous copions soigneusement notre verset, pendant que le chaud soleil filtre sur nos cheveux à travers le feuillage. Enfin nous nous levons à regret. Peut-être reviendrons-nous souvent dans notre petite chapelle, sans toutefois revivre l'enchantement de ce glorieux matin de Pâques, où chantaient les trilles clairs des merles et des grives, mêlés au roucoulement des ramiers. Tout à coup, le cri moqueur du coucou résonna!

— C'est le premier que j'entends cette année, fit Janine, me tirant brusquement de mes rêves, et il est en avance. Viens. Il nous faut courir, car je dois aider Maman.

Le pied léger, elle s'enfuit par le bois, sauta dans les prés et par-dessus le portillon. Devenue plus agile, je la suivis sans trop de peine. Le soleil était déjà haut; les boutons-d'or et les pâquerettes de la prairie aux agneaux tournaient vers lui leurs corolles. En cet instant, il semblait impossible qu'il puisse rien y avoir de laid, de malpropre ou d'impur dans un monde aussi beau.

Arrivées à la maison, nous avons surpris la famille dans l'excitation coutumière du dimanche, au moment de revêtir ses plus beaux atours. Francie avait fait céder trois boutons de sa jolie robe et prétextait énergiquement qu'elle était trop grande pour la porter encore. Johnny, qui se targuait de mécanique, accourait justement avec des tenailles et un long fil de fer extirpé de sa boîte à outils et offrait à sa sœur de la lacer dans le dos.

— T'assure, ça sautera pas!

Blodwen qui bataillait avec les chaussettes de Lucy, partit d'un franc éclat de rire, et déclara que, pour de la distraction, il n'était pas besoin d'aller au cinéma quand on vivait dans cette famille. Puisque c'était jour de fête, Robin devait nous accompagner. Tapi sous la table, il affublait Jumbo de ses «habits du dimanche». Dans la confusion générale du départ et la certitude que Cadwaller ne serait pas autorisé à nous suivre, il avait la chance d'emporter Jumbo en contrebande.

Le petit-déjeuner fut des plus amusants. Le Lapin de Pâques avait caché des œufs teints dans tout le jardin; l'un sous les trompettes des jonquilles, un autre sous une touffe de ne-m'oubliez-pas, un troisième dans un nid de grive déserté de la haie d'aubépines. Que de gambades et d'efforts pour les trouver! Résultat... nos souliers du dimanche étaient trempés de rosée et nos cheveux — spécialement bien coiffés — ébouriffés et mouillés. Pendant ce temps, dans son studio, le Lapin de Pâques relisait son sermon.

Enfin, nous étions prêts, dès le petit-déjeuner avalé. Après les habituelles questions maternelles: «Avez-vous tous votre argent pour la collecte? Avez-vous tous vos mouchoirs de poche?» et une dernière lutte avec Cadwaller, on se mit en route, galopant dans les prés et agitant en l'air nos chapeaux. Mrs. Owen gardait Lucy et la maison, et il ne venait pas à l'idée de Blodwen de nous faire marcher en rang.

Une foule emplissait l'église garnie de fleurs printanières. Le chœur et les fidèles se levèrent spontanément et chantèrent, comme seuls savent chanter les Gallois:

«Aujourd'hui Christ est ressuscité,

Alléluia!»

Quand Mr. Owen lut le récit de la Résurrection et comment l'ange, en vêtements blancs comme la neige, descendit et ouvrit le tombeau, je pensai au Seigneur Jésus s'avançant en vêtements plus brillants encore que ceux de l'ange. Oui, pour marcher tout près de lui sur le chemin de la vie, pour partager sa joie parfaite, il fallait que l'on soit très propre, très pur. Janine avait raison; rien de souillé ne pouvait subsister en présence de sa splendeur.

On se leva pour le second cantique. Dans le chœur, Philip chantait en solo et sa voix claire et ferme sembla s'élancer jusqu'à la voûte:

Jésus est vivant!

Pour nous il mourut.

Près de lui, puisqu'il vit,

Purs de cœur nous devons demeurer,

Et donner gloire à notre Sauveur. Alléluia!

Mais à cet instant précis, Mr. Owen porta ses regards sur Robin et une expression bizarre sillonna ses traits. Fier d'avoir capté l'attention, Robin grimpa sur un banc à côté de Blodwen et, brandissant Jumbo au-dessus de la tête des paroissiens, fit mouvoir la petite trompe de l'éléphant à l'intention de son père.

Chapitre 12 – Quand le jardin reprit vie

Le lendemain, deux événements d'importance chassèrent toute autre préoccupation de nos esprits: Olivia rentrait chez elle, et les lapins de Philip eurent des petits.

Le premier courrier, arrivé pendant le petit-déjeuner, apporta une lettre de Mrs. Thomas, la mère d'Olivia; elle annonçait leur retour pour le vendredi et priait Mrs. Owen de lui chercher une aide pour préparer la maison. Tout ceci causa maintes discussions animées parmi les enfants, car Olivia était une de leurs amies et prenait part avant sa maladie à toutes leurs activités.

Je savais, moi aussi, tout ce qui concernait Olivia. Elle vivait dans la maison qu'entourait «mon» jardin, et avait contracté la poliomyélite une année auparavant. Elle avait été gravement malade et malgré une amélioration, ses jambes restaient en partie paralysées. Son père, occupant un poste dans la Marine, était absent la plupart du temps. Olivia avait dû aller dans un hôpital orthopédique spécialisé pour réapprendre à marcher pendant que sa mère logeait dans une pension non loin d'elle.

— Olivia peut-elle de nouveau marcher? demanda vivement Janine.

— Très peu seulement, et avec des béquilles, répondit tristement Mrs. Owen, mais elle fera sûrement des progrès. Pauvre Olivia! Nous devons faire tout notre possible pour lui souhaiter une chaleureuse bienvenue et lui montrer que nous désirons continuer à jouer avec elle.

Autour de la table, chaque visage s'illuminait d'intérêt, sauf le mien. Je me sentais mal à l'aise. Johnny et Francie complotaient de remplir sa chambre de fleurs et Janine de confectionner des truffes au chocolat. Philip, calé en menuiserie, décida de fabriquer une petite table de chevet si son père lui procurait du bois. Mr. Owen se rallia à cette bonne idée et ils s'en furent tous deux voir ce qu'ils trouveraient.

Robin se taisait, absorbé et les joues rouges. Quand les enfants se furent dispersés et que la pièce fut vide, il tirailla le tablier de sa mère et la regarda, les yeux pleins de larmes.

— La p'tite fille qu'elle a plus de jambes, murmura-t-il, je veux lui prêter Jumbo.

— Tu veux, chéri? dit Mrs. Owen en se courbant vers lui et comprenant la grandeur de son sacrifice. Eh bien! nous le prendrons là-haut et nous le poserons sur le lit d'Olivia, juste avant son arrivée, et elle en aura un si, si grand plaisir...

Pas pour le laisser, bredouilla Robin, inquiet. Jusque... jusque... quand j'irai au lit.

— Oui, jusqu'à ce que tu ailles au lit, consentit sa mère. Je crois que Jumbo aurait l'ennui s'il passait la nuit loin de toi. Qu'est-ce donc, Philip? Qu'y a-t-il?

Une sorte de trépidation ébranla l'escalier et Philip fit irruption dans la chambre, la respiration coupée de jubilation, et Janine à ses trousses.

— Mes lapins, Mammy! cria-t-il, ils ont eu des bébés. La maman a arraché toute la fourrure de son ventre et elle a fait un nid dans la partie fermée du clapier. Viens voir — non, pas vous Élaine et Robin — un à la fois — le père les mange si trop de monde les examine.

— Tu dois le mettre ailleurs, Philip, conseilla Mr. Owen qui entrait. Souvent le père tue ses petits si on le laisse dans le clapier. Que Maman et Élaine y jettent un coup d'œil, puis donne à la mère une bonne pâtée de son et de dent-de-lion, et laisse-la tranquille.

Je saisis la main de Mrs. Owen et sur la pointe des pieds m'en fus vers le clapier, Robin caché derrière nous. Avec précaution, Philip entrouvrit la porte et nous vîmes une masse de fourrure douce et blanche comme si l'on avait soufflé sur elle des graines de dents-de-lion. Au milieu, un tas rose de gémissants petits lapins qui se tortillaient.

— Combien? dis-je à mi-voix.

— Sais pas, fit Philip. Ils paraissent collés les uns aux autres et je n'ai pas envie de les toucher pour les compter. On va les laisser tranquilles un jour ou deux pour que la mère s'y accoutume. Daddy, au lieu d'une table de chevet, si je faisais une deuxième cage? Et Olivia aurait deux bébés lapins près de son lit pour lui tenir compagnie.

— Je doute que Mrs. Thomas en apprécie l'odeur, repartit Mr. Owen, mais il serait possible de les mettre en dehors de la fenêtre. Je suppose qu'on installera la chambre à coucher au rez-de-chaussée. Parfait, Philip, tu peux y aller!

Mr. Owen regagna son studio et je courus après lui et fourrai mon visage tourmenté dans l'entrebâillement de la porte. À ma surprise et à mon soulagement, il sembla deviner mes pensées.

— Entre, Élaine, dit-il. (J'obéis et m'appuyai sur son épaule.) Tu penses à la coquille, n'est-ce pas? et tu te demandes comment cela va se passer? Je l'ai reprise du musée cette certaine nuit, et je l'ai mise dans mon bureau. Voudrais-tu accompagner Mammy quand elle ira là-haut ce matin pour préparer la maison, et glisser la coquille à sa place? Et puis, j'ai songé à autre chose: tu as entrepris une très jolie besogne au jardin et tu as deux jours pour y travailler ferme. Que dirais-tu de terminer cette petite rocaille et de la nettoyer?

J'étais bouleversée. Toutefois, depuis ma grande découverte, je n'avais pas désiré retourner à mon jardin. Il m'inspirait un sentiment de culpabilité et de frayeur. Certes il me manquait. J'aurais bien voulu savoir si mes graines germaient et si les œufs avaient éclos dans le nid que j'avais découvert. Et voici que je pouvais y retourner le cœur léger. Bien sûr, ce n'était que pour deux jours, mais cela valait mieux que rien.

J'étais prête quand apparut Mrs. Owen pour aller recevoir la femme de ménage. Dans une main, je serrai la coquille, dans l'autre une pelle. Mrs. Owen ne me questionna pas quand je me faufilai par la porte principale et montai jusqu'au buffet chinois. Tant que la coquille ne fut pas à sa place, je ne regardai pas le jardin, mais ensuite, je courus à mon royaume et l'explorai de long en large.

Les résultats du soleil d'avril et de la pluie me surprirent. Pissenlits et chiendents étouffaient les fleurs de ma rocaille, mais dessous on voyait les boutons s'ouvrir. Les tulipes dressaient leurs coupes rouges, les myosotis foisonnaient sur les bords. Tandis que j'errai çà-et-là, je humai un parfum exquis et cherchai parmi les herbes envahissantes pour trouver enfin des touffes de muguets qui se - haussaient vers la lumière.

À suivre