Le premier amour, l'amour fraternel et la vérité (fin)

Henri Rossier

Le second signe

Passons au second signe de l'amour fraternel. Il est inséparable de l'obéissance aux commandements de Dieu. «Par ceci nous savons que nous aimons les enfants de Dieu, c'est quand nous aimons Dieu et que nous gardons ses commandements; car c'est ici l'amour de Dieu, que nous gardions ses commandements, et ses commandements ne sont pas pénibles» (1 Jean 5:2, 3). L'amour pour Dieu est donc inséparable de l'obéissance, et par celle-ci nous acquérons la certitude de l'amour fraternel. Les commandements sont simplement ici, comme nous l'avons dit plus haut, l'expression de la volonté de Dieu contenue dans les Saintes Écritures. L'amour pour Christ, comme celui de Christ pour son Père (Jean 14:31), se manifeste naturellement de la même manière, c'est-à-dire par l'obéissance (Jean 14:15, 21; 15:9, 10). Direz-vous d'un enfant qui désobéit aux commandements de son père, qu'il aime son père? Direz-vous d'un enfant qui induit ses frères à désobéir à leur père ou qui leur donne l'exemple de cette désobéissance, qu'il aime ses frères? Et n'en est-il pas de même pour nous, chrétiens? Si un frère veut m'engager dans un chemin d'indépendance de Dieu et de Christ — or jamais l'indépendance ne peut prendre le nom d'obéissance —, comment aurai-je à me comporter à son égard? Lui dirai-je que pour maintenir nos liens fraternels et ne pas les briser, je préfère désobéir de concert avec lui? ou bien lui dirai-je que l'obéissance à mon père a plus de poids pour moi que l'amour fraternel? ou lui dirai-je plutôt encore que l'amour fraternel est un vain mot quand on l'invoque pour désobéir? Dans ce dilemme, aucune hésitation n'est possible pour le chrétien fidèle. Il restera avec Christ, tout seul s'il le faut, plutôt que de désobéir avec ses frères. Et qu'il soit sans crainte, il en sera largement récompensé. Jésus dit: «Si quelqu'un m'aime, il gardera ma parole, et mon Père l'aimera; et nous viendrons à lui, et nous ferons notre demeure chez lui. Celui qui ne m'aime pas ne garde pas mes paroles» (Jean 14:23, 24). Cette récompense est la communion de l'âme avec le Père et avec le Fils! Est-il jamais dit: Si quelqu'un aime les frères, il obéira? Non! L'amour de Christ pour nous prime tout autre amour; notre amour pour Christ en est la conséquence; notre amour pour nos frères découle de l'amour pour Christ; l'obéissance est la preuve de l'amour pour Christ et de l'amour fraternel.

Le troisième signe

Ouvrons ici un paragraphe spécial pour parler du troisième signe de l'amour fraternel: La vérité est aussi inséparable de l'amour fraternel que l'obéissance. Mais pour nous faire comprendre, il est nécessaire de définir d'après la parole de Dieu ce que c'est que la vérité.

La vérité est la pensée de Dieu à l'égard de toutes choses: Dieu est vrai, il est le Dieu de vérité (Ésaïe 65:16). C'est comme tel qu'il se fait connaître à nous et qu'il nous révèle ce que nous sommes, ce qu'est le monde, le péché, Satan; ce qu'est Dieu lui-même. Le Dieu qui dit «Je suis», expression parfaite de la déité, s'est révélé à nous dans la personne de Christ homme; celui-ci est l'image du Dieu invisible, et en lui habite toute la plénitude de la déité corporellement. Christ est ce que Dieu est. Il est la vérité (Jean 14:6). Mais Dieu dans son essence a deux noms: Lumière, Amour. Christ homme, lui qui est la vérité, nous révèle dans sa personne ces deux choses, dont toute sa carrière ici-bas a été la preuve absolue: 1° Dieu est lumière et il n'y a en lui aucunes ténèbres. Christ est la lumière du monde (Jean 8:12; 9:5). 2° Dieu est amour, amour qui se manifeste envers des pécheurs sous forme de bonté, de miséricorde ou de grâce en Jésus Christ. La vérité est donc inséparable de l'amour, aussi bien que de la lumière (1 Jean 1:14, 17; Psaumes 86:15). Et dans le jour actuel, Dieu en soit béni, la vérité et la grâce, nom de l'amour actif envers des pécheurs, ne peuvent être séparées. Hélas! un jour viendra où, le temps de la grâce ayant pris fin pour le monde, la vérité seule apparaîtra et ce sera pour les hommes le jugement éternel.

La vérité n'est pas seulement ce que Dieu est, manifesté et révélé dans un homme, le Christ Jésus; elle est aussi ce que Dieu dit. Ce que Dieu est et ce qu'il dit, l'expression de son Être et de sa pensée, ne peuvent être séparés dans la personne de Christ. C'est pourquoi il est appelé «la Parole»; c'est pourquoi aussi, à la demande: «Qui es-tu?» il pouvait répondre: «Absolument ce qu'aussi je vous dis» (Jean 8:25). Dieu nous a donc parlé en Christ, homme, la parole vivante devenue chair (Jean 1:1, 4). Mais Dieu le fait absolument de la même manière dans les Écritures, qui sont appelées «la Parole vivante et opérante». C'est pourquoi le Seigneur dit: «Sanctifie-les par la vérité; ta parole est la vérité» (Jean 17:17). La parole écrite est donc la pleine expression de la pensée de Dieu, comme Christ l'est lui-même dans sa personne.

Cette vérité, révélée dans une personne, exprimée dans sa Parole, nous ne pouvons la comprendre que par le Saint Esprit. Il nous fait connaître et saisir les conseils les plus secrets, les pensées les plus profondes de Dieu. C'est pourquoi il est dit: «L'Esprit est la vérité» (1 Jean 5:6). «L'Esprit de vérité… vous conduira dans toute la vérité» (Jean 16:13). Il rend témoignage à Christ et à son œuvre. La vérité est donc, en trois mots, ce que Dieu est, ce que Dieu dit et ce que Dieu pense; et, en un seul mot, la vérité, de quelque côté qu'on l'envisage, c'est Christ.

C'est là ce qui rend la vérité si absolument importante et nécessaire. Sans la vérité, nous sommes sans Christ ici-bas. On a dit très inconsidérément que «l'amour est le sentier qui conduit à la vérité et la corde qui nous lie à elle». Cela n'est vrai en aucune manière: CHRIST est la vérité qui manifeste l'amour, et le chemin qui y conduit. «Je suis», dit Jésus, «le chemin, et la vérité, et la vie; nul ne vient au Père que par moi.» Il est le chemin qui conduit au Père, à Dieu manifesté en amour; la vérité qui fait connaître cet amour; la vie par laquelle nous pouvons en jouir et qui nous lie au Père (Jean 14:6). L'Assemblée du Dieu vivant n'est pas, comme l'a fort bien dit un frère, la colonne et l'appui de l'amour, mais de la vérité. C'est la vérité qu'il s'agit pour elle de maintenir, de défendre, pour laquelle il s'agit de combattre. Il nous faut un Christ complet. Celui qui, par la foi, a reçu la vérité, connaît aussi l'amour. On voit donc que, pour le croyant, ces deux choses sont inséparables. Si je marche dans les ténèbres, je n'ai pas plus le Dieu d'amour que le Dieu de lumière; je n'ai pas la vérité; je n'ai pas Christ et j'en parle sans le connaître.

Après cette définition indispensable, revenons à la vérité comme troisième signe de l'amour fraternel et comme ne pouvant en être séparée. L'amour fraternel selon les pensées de Dieu est toujours l'amour dans la vérité. Quand l'apôtre Jean aime les frères, une dame élue, un Gaïus, c'est toujours «dans la vérité» (2 Jean 1; 3 Jean 1). C'est avec la vérité que l'amour se réjouit (1 Corinthiens 13:6).

Du moment que l'on donne à l'amour fraternel le pas sur la vérité, on a de fait, involontairement sans doute, abandonné Christ, et avec lui le premier amour. L'amour fraternel a perdu son vrai caractère, l'amour n'est plus vrai. Souvenons-nous de ce passage: «Ayant purifié vos âmes par l'obéissance à la vérité, pour que vous ayez une affection fraternelle sans hypocrisie, aimez-vous l'un l'autre ardemment, d'un cœur pur» (1 Pierre 1:22). C'est donc l'obéissance à la vérité qui conduit à un amour fraternel vrai et cet amour n'est pas hypocrite, ne se couvre pas d'un vêtement d'emprunt pour se donner l'apparence de ce qu'il n'est pas.

Avant de terminer, je voudrais encore toucher un point capital de ce sujet. C'est la vérité qui doit caractériser les saints dans un temps de déclin, comme celui où nous vivons. On est souvent blâmé de nos jours de mettre tant d'importance à la doctrine, et c'est précisément sur elle que la parole de Dieu insiste devant l'apostasie grandissante. Lisez ce que nous pouvons appeler les épîtres de la fin, c'est-à-dire celles où l'apostasie est déjà pressentie, et mûrit pour le jugement: la seconde épître à Timothée, la seconde épître de Pierre, celle de Jude, la deuxième et la troisième épître de Jean. Qu'est-ce que ces écrivains inspirés recommandent constamment aux saints comme leur sauvegarde en ces temps fâcheux? La doctrine, la foi (qui n'est autre, dans ces passages, que l'ensemble de la doctrine chrétienne saisie par la foi), la vérité, et tous ces termes sont identiques (2 Timothée 1:13; 2:2, 15, 24, 25; 3:10, 14-17; 4:2-4; 2 Pierre 1:19; 3:1, 16; 2 Jean 9, 10; Jude 3, 20, etc.). Toutes ces recommandations se résument dans ce grand mot: la vérité. S'il est vrai que nous avons à marcher dans l'amour, nous avons au même degré à marcher dans la vérité. C'était ce que faisaient les enfants de la dame élue (2 Jean 4). La grâce, la miséricorde et la paix étaient avec les saints dans la vérité et dans l'amour (verset 3). Ne pas demeurer dans la doctrine du Christ, c'est-à-dire dans la vérité, c'était ne pas avoir Dieu. Y demeurer, c'était avoir le Père et le Fils (verset 9). — Les frères avaient rendu témoignage à la vérité de Gaïus, c'est-à-dire à sa fidélité à la vérité (3 Jean 3), et en faisant ainsi, ils rendaient témoignage à son amour (verset 5). En recevant les frères, on coopérait avec la vérité (verset 8). Démétrius avait le témoignage de la vérité elle-même (verset 12). En 1 Jean, où l'amour fraternel et la justice pratique sont si particulièrement mis en lumière comme les attributs de la vie éternelle dans le croyant, l'apôtre écrit aux petits enfants parce qu'ils connaissent la vérité (2:21), et au chapitre 3, verset 18, il dit: «Enfants, n'aimons pas de parole ni de langue, mais en action et en vérité»; or c'était ce que l'apôtre faisait lui-même (2 Jean 1; 3 Jean 1). — Nous ne pouvons assez faire ressortir que la connaissance de la doctrine ou de la vérité révélée dans la Parole est inséparable de la connaissance de Christ, et que si l'une est laissée de côté, l'autre, c'est-à-dire Christ, est ignoré. Négliger la vérité, c'est comme si l'on coupait la source principale d'une rivière. La rivière baisse et bientôt se dessèche. Peut-être des affluents secondaires pourront-ils y maintenir encore quelque humidité, mais le lit rempli de pierres et de cailloux est à sec; les bords, jadis riants, quand ils étaient baignés par les eaux, sont nus ou envahis par les ronces, la végétation verdoyante a disparu. Il en est ainsi de l'âme individuellement, et de l'Église elle-même quand elle abandonne la vérité pour l'amour fraternel. Il en est du reste absolument de même quand elle prétend maintenir la vérité sans l'amour. Elle n'est plus cet arbre planté près des ruisseaux d'eau qui rend son fruit en sa saison et dont la feuille ne se flétrit point.

A bien plus forte raison cette influence néfaste se fera-t-elle sentir si, au lieu de couper la source, on y verse des matières empoisonnées. Tous les êtres vivants qui peuplent la rivière meurent à ce contact. Peut-être quelque voyageur robuste, en s'abreuvant de cette eau aussi loin que possible de son origine, sera-t-il pour un temps plus ou moins à l'abri de ses ravages, mais les faibles y succomberont et lui-même sera tôt ou tard infecté.

Plus qu'un mot pour montrer que, dans ses fruits, la vérité est inséparable de l'amour, et que, sans la vérité, l'amour ne peut en porter. En Éphésiens 4:32 et 5:2, 8, 9, notre marche chrétienne doit reproduire les voies et le caractère de Christ. Il nous faut pour cela posséder sa nature. Or dans le premier de ces deux passages, cette nature est amour, et dans le second, lumière. Nous pouvons, en vertu de cette nature, être imitateurs de Dieu et de Christ, marchant dans l'amour comme des enfants bien-aimés, et dans la lumière comme des enfants de lumière. Au chapitre 4, verset 32, l'apôtre énumère les fruits de l'amour: la bonté, la compassion, le pardon. Au chapitre 5, verset 9, il énumère les fruits de la lumière: la bonté, la justice, la vérité. Le premier fruit de l'amour est donc la bonté, et le premier fruit de la lumière est aussi la bonté. Mais allons plus loin. En Éphésiens 5:9, les autres fruits de la lumière sont la justice et la vérité. En 1 Corinthiens 13:6, ils sont les fruits de l'amour qui ne se réjouit pas avec l'injustice, mais se réjouit avec la vérité. On voit donc que, dans la vie pratique, séparer ces deux choses, l'amour et la vérité, c'est perdre le fruit de l'un aussi bien que de l'autre. Combien cela doit nous pousser à de sérieuses réflexions!

Conclusion

Pour terminer, tirons en quelques lignes les conclusions de ces pages:

Le premier amour est l'amour de Christ, reçu dans le cœur, et base de toute l'activité chrétienne. Cet amour est la source même de l'amour fraternel. Mais il n'y a ni premier amour, ni amour fraternel sans l'obéissance, car c'est ainsi qu'ils se manifestent. Cette obéissance est l'obéissance à la vérité, c'est-à-dire à toute la pensée de Dieu, manifestée en Christ et en sa Parole, et communiquée par le Saint Esprit. Sans la vérité, l'amour fraternel serait de l'hypocrisie, ou bien des sentiments aimables appartenant à la nature déchue. Sans l'amour fraternel, la vérité ne serait qu'un vain mot, puisque la vérité, c'est Christ manifesté en amour.

Cher lecteur! si tu traverses le conflit dépeint dans le premier paragraphe de ce petit écrit, ne poursuis, je t'en supplie, qu'une chose: marche dans l'amour, dans l'obéissance à la Parole, et dans la vérité, sans jamais subordonner l'une de ces choses à l'autre. Que ton amour pour Christ garde la fraîcheur du premier amour et te fasse cultiver avec soin l'amour fraternel! Que ce dernier soit vrai, sans mélange d'hypocrisie, se plaisant avec la vérité et ne se séparant jamais de l'obéissance! Si tu suis ce chemin, le Seigneur te fera peut-être rencontrer des saints fidèles qui cherchent à glorifier le Seigneur d'après les mêmes règles, et marchent humblement avec leur Dieu. Alors, au milieu de la dispersion croissante du peuple de Dieu, quand tous les signes extérieurs de son rassemblement font défaut, quand de plus en plus l'iniquité et l'apostasie lèvent la tête, le Seigneur sera pour les siens comme «un petit sanctuaire» (Ézéchiel 11, 16), centre du rassemblement, ne fût-ce que de deux ou trois qui se seraient retirés de l'iniquité pour marcher dans l'amour et dans la vérité.