L'autorité dans l'Église

Nicolas Robert (1996)

La question des anciens dans l'Église n'est pas nouvelle; mais l'état actuel de la chrétienté incite une nouvelle fois à l'examiner à la lumière de la parole de Dieu. Le danger est grand d'adopter dans l'Église de Christ une attitude qui corresponde à deux dérives aussi fausses l'une que l'autre: le clergé ou l'anarchie. 

1. Pouvoir et autorité

Ce qui est en cause aussi bien dans le clergé que parmi les contestataires, c'est le pouvoir (ou l'absence de pouvoir) de l'homme. Parler de l'homme quand il s'agit de l'exercice de l'autorité dans l'Église, c'est appliquer à celle-ci les principes du monde. En effet, la notion de pouvoir est étrangère à la sphère ecclésiastique, parce qu'elle présuppose une sorte d'institution juridique, d'établissement de la domination, que refuse la Parole (1 Pierre 5:3; Matthieu 23:8, 9). Nous éviterons donc le terme de pouvoir et utiliserons celui d'autorité. Le pouvoir s'institue par la force, l'hérédité ou des voies démocratiques, tandis que l'autorité est attachée au caractère moral de la personne. D'autant plus que le pouvoir, dans la Parole, est souvent celui de Satan (Colossiens 1:13), d'un usurpateur (Simon en Actes des Apôtres 8:19), ou alors celui de Christ comme roi dans un temps qui n'est pas le nôtre (Apocalypse 12:10). L'autorité peut s'exercer aussi bien dans les églises locales que dans l'Église entière; nous nous arrêterons sur le premier volet d'abord et traiterons le second lorsque nous parlerons des dons (section 4).

L'autorité de l'église

Il n'est jamais question dans la Parole de «l'autorité de l'église», mais seulement de l'autorité de Christ. Christ est le chef (la tête) de l'Église et aucun homme ne bénéficie d'aucune délégation d'autorité comme c'était le cas à l'époque où les apôtres vivaient. Il est vrai que cette autorité est manifestée dans la pratique par des hommes, réellement réunis en assemblée au nom de Christ qui est au milieu d'eux (Matthieu 18:20). Si ces hommes ne sont pas d'accord ou tolèrent le mal, l'autorité de Christ ne peut plus se manifester par eux (18:19). Elle ne peut s'exercer que dans une assemblée où l'on est soumis à Christ qui seul la possède. 

L'autorité dans l'église

En dehors de l'action collective, n'y a-t-il pas des chrétiens qui ont une autorité personnelle sur d'autres? Cela existe aujourd'hui dans la chrétienté, mais est-ce conforme à la Parole? On trouve aujourd'hui des évêques, un pape, des prêtres, des pasteurs élus… Qu'en dit la Bible? Plus précisément, comment envisage-t-elle l'exercice d'une autorité dans les relations individuelles? Pour établir cela, il nous faudra d'abord voir ce qu'elle présente quant aux diverses formes d'autorité attachée à un homme. 

Pierre

À Pierre fut confiée l'autorité de lier ou de délier (Matthieu 16:19) et celle de paître les brebis du Seigneur (Jean 21:17). Cette double autorité formait une partie du ministère d'apôtre. Or ce ministère ayant disparu avec la fin de la mise en place des fondements de la foi (1 Corinthiens 3:10), la première partie de cette autorité est revenue à l'Église seule, dans la mesure où celle-ci se soumet à Christ (c'est déjà l'enseignement de Matthieu 18, 16-20). La seconde partie demeure, et elle est confiée à des hommes. C'est sur ce point que nous nous arrêterons particulièrement. 

2.  Ceux qui ont de l'autorité

Les hommes ayant autorité portent, dans la Parole, plusieurs noms: anciens1 (Actes des Apôtres 14:23; 15:2; 20:17; 1 Timothée 5:17; Tite 1:5; 1 Pierre 5:1); évêques ou surveillants (Actes des Apôtres 20:28; 1 Timothée 3:1; Tite 1:7); conducteurs (Hébreux 13:17); «ceux qui sont à la tête parmi vous dans le Seigneur» (1 Thessaloniciens 5:12; Romains 12:8); «ceux qui tenaient la première place parmi les frères» (Actes des Apôtres 15:22); des gouvernements (1 Corinthiens 12:28), des pasteurs (Éphésiens 4:11). Certains termes, s'ils ne se rapportent pas spécifiquement à l'exercice de l'autorité, l'impliquent néanmoins (docteur, prophète…). Tous ces noms sont-ils équivalents? Quelques-uns désignent la même fonction, mais pas tous.

1 Ou presbytre dans l'Église primitive, qui est devenu prêtre

3.  Les anciens

Une charge locale

Les termes d'ancien et de surveillant semblent faire référence à une activité identique, puisque la Parole les emploie indifféremment en Actes des Apôtres 20:17 et 28 et en Tite 1:5 et 7, pour désigner les mêmes personnes. «Ancien» est le nom de la fonction, «surveillant» concerne la tâche de l'ancien, qui en effet doit «paître» le troupeau, le «surveiller», autrement dit veiller sur lui, comme un berger. Cette fonction d'ancien est locale et s'exerce donc dans une assemblée donnée. On voit Paul et Barnabas en établir «dans chaque assemblée» (Actes des Apôtres 14:23) et par conséquent, on ne saurait voir les anciens de telle ou telle assemblée prendre en charge les affaires d'une autre. Toutefois, selon le principe de l'unité du corps, des contacts entre anciens de diverses assemblées peuvent avoir lieu. Mais une décision ne saurait bien entendu être prise dans ces circonstances, ces contacts n'ayant pas le caractère de réunion d'assemblée et concernant un ensemble plus vaste que celui d'une assemblée locale. En outre, on ne trouve jamais d'ancien seul dans l'exercice de sa charge. Il est question des «anciens de l'assemblée» (Actes des Apôtres 20:17) et Paul demande à Tite d'établir «des anciens dans chaque ville» (Tite 1:5).

Barsabbas et Silas, parmi «ceux qui tenaient la première place parmi les frères» (Actes des Apôtres 15:22), étaient sans doute aussi des anciens à Jérusalem, mais ce n'est pas cette fonction qu'ils exercent là. La charge d'ancien peut être associée à un don, comme nous le verrons plus loin: ces deux frères étaient prophètes (verset 22); ils ont exhorté et fortifié les frères à Antioche.

Les Thessaloniciens s'étaient depuis peu tournés des idoles vers Dieu. Et cette conversion récente au moment où Paul leur écrit empêchait ces chrétiens d'avoir déjà des anciens à proprement parler, puisque ceux-ci doivent être convertis depuis un certain temps (1 Timothée 3:6). Pourtant Paul leur demande de connaître ceux qui travaillent parmi eux et qui sont à la tête parmi eux dans le Seigneur (1 Thessaloniciens 5:12).

Être ancien est ce que l'on appelle une charge. Celle-ci dépend de l'état de celui qui y est appelé. Il faut moralement être dans un état particulier pour l'exercer. Les épîtres à Tite (1:6-9) et à Timothée (1 Timothée 3:1-7) le précisent. 

Le caractère d'ancien

L'ancien doit être:

- irréprochable (cela est dit deux fois), ou irrépréhensible (1 Timothée 3:2). Cela ne signifie pas sans péché, car nous péchons tous (1 Jean 1:10), mais il faut que ce que l'ancien propose aux autres chrétiens ne l'accuse pas lui-même. Il doit être crédible dans ce qu'il dit: un menteur ne peut exhorter les autres à ne pas mentir. 

Il doit correspondre à des critères sociaux précis:

  • être monogame,
  • père d'enfants fidèles à la Parole, sobres et soumis,
  • hospitalier. 

Il doit manifester des vertus morales précises:

  • être capable d'écouter les autres (non adonné à son sens),
  • sachant se dominer en tout (non colère, continent, non adonné au vin, réfractaire aux empoignades),
  • sage,
  • aimant le bien,
  • juste,
  • n'aimant pas l'argent. 

Il doit montrer des vertus spirituelles:

  • être converti depuis un certain temps (1 Timothée 3:6), pour que sa charge ne lui monte pas à la tête,
  • en communion avec Dieu (piété),
  • ferme en ce qui concerne les vérités de la Parole,
  • capable d'enseigner, mais sans nécessairement le faire systématiquement (capable d'enseigner ne veut pas dire être docteur ou prophète).

On voit donc que la charge d'un ancien suppose qu'il remplisse un nombre important de critères. La responsabilité humaine est ici en question; par conséquent, comme tout ce qui dépend de l'homme, la charge d'ancien peut manquer. Rien dans la Parole ne nous permet d'affirmer qu'il y aura des anciens jusqu'à l'enlèvement de l'Église.

Cette charge consiste donc à veiller sur les chrétiens locaux: veiller à l'harmonie de leurs relations en ramenant à sa place celui ou celle qui en sort, encourager celui ou celle qui reste en deçà de ce que Dieu lui demande, en conseillant, en avertissant… Être ancien, c'est aussi veiller au respect de la Parole… En résumé, c'est exercer une autorité pour rapprocher des âmes de Christ. Quel discernement et quelle communion avec Dieu sont nécessaires! On comprend alors mieux que la liste des qualités requises soit longue. Il s'agit d'être «les modèles du troupeau» (1 Pierre 5:3). 

Les limites de la charge

Cette charge a aussi ses limites: elle doit concerner l'aspect spirituel de la vie de l'assemblée locale, non les problèmes familiaux ni les affaires matérielles (1 Pierre 4:15), à moins qu'il ne s'ensuive un mauvais témoignage. L'ancien, ici encore, a besoin de beaucoup de discernement, tant ces domaines se touchent.

Enfin, cette charge ne doit pas être remplie avec un état d'esprit qui la considérerait comme un travail ou un labeur. Pas de contrainte, pas de gain honteux (5:2) — qu'il s'agisse d'argent ou de considération. Cela élimine évidemment tout clergé, toute catégorie de personnes intermédiaires entre l'homme et Dieu, et rémunérées pour cela. L'ancien accomplit sa charge de bon gré, parce qu'il est heureux que Dieu la lui ait donnée. 

Devenir ancien

«Si quelqu'un aspire à la surveillance, il désire une œuvre bonne» (1 Timothée 3:1). Ce n'est pas le désir qui est bon, mais la surveillance. Toutefois il est bon que pour de bons motifs une âme désire cette charge. Et à ce moment-là, comment cela se passe-t-il?

Certains milieux chrétiens procèdent à une élection ou désignent celui qui aura cette charge. Ce n'est pas ce que demande la Parole. Elle exclut la désignation par l'assemblée. Paul dit à Tite d'établir des anciens (Tite 1:5). Si celui-ci avait à le faire, c'est bien parce que les assemblées locales ne le pouvaient pas, sinon pourquoi ne l'auraient-elles pas fait? La conclusion est claire: une assemblée ne peut pas nommer des anciens.

Reste l'idée que nous aurions des Tite parmi nous, capables de nommer des anciens. Le pouvoir qu'avait Tite lui avait été donné par Paul. Cette idée de la transmission d'un pouvoir est largement répandue dans la chrétienté et particulièrement dans l'Église romaine. Elle ne prend pas en compte les deux faits suivants.

1° Nous n'avons plus aujourd'hui d'apôtres; leur service s'est achevé à la fin du premier siècle. Bien qu'ils aient souvent parlé de leur départ prochain, ils n'ont donné dans leurs écrits aucune directive pour désigner des successeurs (2 Pierre 1:15; Actes des Apôtres 20:32; 2 Timothée 4:6). Aucun homme n'est donc aujourd'hui habilité à nommer des anciens.

2° Ceux qui étaient à la tête des églises locales et qui ont usurpé la place de Christ à la tête de l'Église se sont très rapidement corrompus quant à la doctrine, et souvent quant à la morale. Comment auraient-ils pu assurer une transmission valable?

Enfin, pour être complet, il faut dire que l'idée d'une désignation des anciens par un conseil d'anciens est tout à la fois non scripturaire et déraisonnable; car alors il faut se poser la question: qui a nommé les membres du conseil? 

Non pas nommer mais reconnaître

Nommer des anciens est donc un acte étranger à la Parole. Celle-ci n'en parle que dans le cas particulier des apôtres ou de Tite. Le reste du temps, elle demande non de nommer mais de connaître ou reconnaître les anciens (1 Thessaloniciens 5:12). Autrement dit, le chrétien aujourd'hui doit prendre cette position d'humilité qui consiste à reconnaître chez un frère, si elles y sont, les qualités de l'ancien et à se soumettre. Nommer requiert une autorité qui, nous l'avons vu, fait défaut. Et même si cette autorité existait, le morcellement actuel de l'Église et son piètre état spirituel empêcheraient toute nomination. Il ne nous est pas possible aujourd'hui de revenir à ce qu'était l'Église du premier siècle. Mais si l'autorité pour choisir fait défaut, l'action de l'Esprit demeure (Actes des Apôtres 20:28) et nous devons en reconnaître les fruits.

Reconnaître les anciens quand il y en a, et non les nommer, est la seule attitude conforme à la Parole. Cela demande beaucoup d'humilité de la part de ceux qui exercent cette charge et du discernement de la part des membres du troupeau. Mais cette charge est une responsabilité qu'il est aussi possible que nécessaire d'assumer. Et obéir aux anciens est une condition de la santé des assemblées locales (1 Pierre 5:5), «afin qu'ils fassent cela avec joie, et non en gémissant, car cela ne vous serait pas profitable» (Hébreux 13:17). L'autorité dans l'église locale émane donc de la personne sans qu'il y ait nomination, et on s'y soumet en regardant la qualité des fruits spirituels que cette personne a produits. 

4. Les dons

 Un don est différent d'une charge: il ne dépend pas de critères dans la conduite, mais il provient directement du Seigneur et de l'Esprit (1 Corinthiens 12:11; Éphésiens 4:8). Celui qui le reçoit est alors responsable d'en user pour le bien de tous, dans la dépendance du Seigneur. De plus, le don est pour le corps tout entier et n'est donc pas attaché à une seule assemblée. Enfin, comme il ne dépend pas de l'homme, nous pouvons être sûrs que Christ n'en laissera pas manquer son Église. Le don est là pour «le perfectionnement des saints» (Éphésiens 4:12). La charge a le même but mais de façon plus limitative, puisqu'elle s'occupe fondamentalement de l'ordre dans l'assemblée locale. Bien entendu, quelqu'un qui a un don peut être aussi un ancien, et inversement; mais ce n'est pas nécessaire. Et l'erreur de l'Église a été très tôt de confondre les deux, si bien que les dons se sont peu à peu perdus dans les charges. 

Parmi les dons, certains ont un rapport avec l'autorité:

- Le gouvernement2 (1 Corinthiens 12:28): il s'agit là du don qui consiste à indiquer quelle est la voie que le Seigneur demande à son assemblée de suivre. C'est celui qu'avaient les fils d'Issacar en 1 Chroniques 12:37 (ils «savaient discerner les temps pour savoir ce que devait faire Israël»). Celui qui a ce don de grâce n'a été nommé pour cela par personne et n'a de compte à rendre qu'à Christ. Sachons reconnaître ce don quand il existe et sachons nous soumettre aux conseils qu'il prodigue.

1 Un mot qui vient de la même racine grecque que le mot gouvernail.

- Le pasteur (Éphésiens 4:11): il a un rôle assez semblable à celui de l'ancien ou du surveillant, mais il agit dans l'Église entière.

- Le docteur et le prophète: il s'agit là de dons d'exposition de la Parole, d'enseignement, ou d'application de la Parole à une circonstance précise. Dans ce cas, celui qui parle n'a pas d'autorité en lui-même, mais il est «oracle de Dieu» (1 Pierre 4:11); il convient de se soumettre à ce qui est dit. Puissions-nous désirer avec ardeur les dons spirituels (1 Corinthiens 14:1), pour que le corps soit en bonne santé! 

5.  Les conducteurs

 Le caractère de conducteur est celui d'un homme qui a annoncé la parole de Dieu et donné l'exemple. Le fruit de son service est magnifique et ce dernier dépasse la simple charge d'ancien. Un conducteur possède un don puisqu'il annonce «la parole de Dieu» (Hébreux 13:7) mais il a, comme l'ancien, à veiller sur les âmes (verset 17). Il a donc aussi une charge. Les conducteurs ne sont pas officiellement établis, mais les croyants sont appelés à les reconnaître en leur obéissant.

Soumettons-nous à ce que dit la Parole de Dieu; bien des difficultés seront évitées, et nous trouverons individuellement et collectivement le repos.