Thèmes de l'épître aux Philippiens

Jean Muller

L'assemblée à Philippes

Dans la province grecque de Thrace (en Macédoine), Philippes (une colonie romaine) a connu l'évangile par le service de Paul, au cours de son deuxième voyage missionnaire (Actes des Apôtres 16:9-40). Lydie, une femme grecque, puis le geôlier de la prison et sa famille, ont été les premiers convertis par la grâce, en face de la puissance de Satan, qui déchaînait les passions des nations contre l'apôtre et son témoignage. Première ville d'Europe à entendre l'évangile, Philippes a reçu à nouveau la visite de l'apôtre au cours de son troisième voyage (Actes des Apôtres 20:6).

Malgré leur grande pauvreté (2 Corinthiens 8:1, 2), les Philippiens étaient généreux, et n'oubliaient pas l'apôtre dans le besoin (Philippiens 4:15); ils manifestaient ainsi pratiquement la profondeur de leur affection pour lui, que Paul leur rendait.

Les quatre épîtres de la captivité de Paul

La mention répétée des «liens» de l'apôtre (1; 7:13, 14, 17) permet de placer l'épître aux Philippiens parmi celles qu'il a écrites de Rome, au cours de sa première captivité (vers les années 62, 63).

Les deux épîtres aux Éphésiens et aux Colossiens présentent la révélation la plus complète du mystère de Dieu touchant l'assemblée, corps de Christ. Celle aux Philippiens et celle à Philémon complètent admirablement le tableau pour montrer les effets pratiques de la connaissance des desseins divins dans la vie chrétienne ordinaire. Dans l'une (à Philémon) l'affection de l'apôtre se concentre sur un pauvre esclave fugitif que la grâce de Dieu lui avait confié, tandis que dans l'autre (aux Philippiens) le propre exemple de Paul montre l'expérience de la vie chrétienne normale (non pas idéale) sous la puissance de l'Esprit de Dieu; aussi cette lettre ne mentionne-t-elle pas le péché.

L'épître parle du pèlerinage du chrétien dans le monde (à l'image de la marche d'Israël dans le désert) et considère notre «propre salut» (2:12) comme un résultat à acquérir au terme du chemin1. Le fondement de notre foi reste évidemment la rédemption déjà accomplie par Christ, mais Paul envisage ici les chrétiens comme ressuscités et glorifiés devant Dieu, lorsque toutes les difficultés de la vie chrétienne ont été surmontées. L'assemblée sur la terre est déjà vue dans son déclin, à un moment où «tous cherchent leurs propres intérêts, et non pas ceux de Jésus Christ» (2:21). La stabilité demeure dans la personne de Christ, présentée comme notre vie (chapitre 1), notre modèle (chapitre 2), notre but (chapitre 3), notre joie et notre force (chapitre 4).

1 La Parole présente le salut comme celui de l'âme (pour la vie éternelle), de la course chrétienne, et du corps, au terme de celle-ci. Le premier est développé dans l'épître aux Romains, et les deux autres dans la présente épître.

Christ, notre vie (chapitre 1er)

«Pour moi, vivre c'est Christ» (verset 21)

1. Adresse de la lettre (versets 1, 2)

Paul (avec Timothée) se présente comme esclave de Jésus Christ (et non comme apôtre). Son expérience nous est donc en exemple, sans restriction. Il s'adresse à tous les saints à Philippes, en nommant les surveillants et les serviteurs, responsables d'une charge dans l'assemblée locale, à un moment où celle-ci était déjà privée des soins personnels de l'apôtre. L'assemblée est alors immédiatement et complètement rejetée sur Dieu, seule source de grâce et de force. Cette lettre a donc une importance spéciale pour nous.

2. Actions de grâces et prières (versets 3-11)

Le souvenir heureux que Paul conservait des Philippiens produisait en lui de la joie, dans la confiance que Dieu achèverait son œuvre en eux. Pour sa propre gloire, Dieu achève son œuvre:

  • dans la création (Genèse 2:1-3),
  • dans la rédemption, par son Fils (Jean 17:4),
  • dans les rachetés du Seigneur (Philippiens 1:6), et même
  • en jugement (1 Samuel 3:12).

Les Philippiens portaient Paul dans leur cœur; ils n'avaient pas eu honte de s'associer à lui, dans sa captivité comme dans la prédication de l'évangile. Onésiphore manifestera le même dévouement à l'occasion de la seconde captivité de l'apôtre (2 Timothée 1:16). Paul était profondément sensible à cette affection.

Comme il le fait aussi pour les Éphésiens et les Colossiens, Paul en prison prie pour les Philippiens, et demande quatre choses pour eux:

  • que leur amour abonde,
  • qu'ils discernent les choses excellentes, car l'intelligence spirituelle prend sa source dans l'amour,
  • qu'ils soient purs et gardés de broncher, et
  • qu'ils soient remplis du fruit de la justice (Hébreux 12; 11; Jacques 3:18), en demeurant attachés au Seigneur.

3. Les circonstances de l'apôtre (versets 12-14)

Sans murmures ni regrets, l'apôtre rapporte à Christ toutes ses circonstances et ses peines. Non seulement ses liens n'avaient pas empêché la propagation de l'évangile, ils avaient au contraire permis son entrée dans la forteresse inaccessible de l'empereur, la maison même de César (4:22). L'opposition du monde à Christ avait aussi donné du courage à d'autres frères pour annoncer la parole sans crainte.

4. Christ prêché par envie ou en vérité (versets 15-18)

Quelques-uns (mus par des motifs charnels, jalousie et envie) profitaient des liens et de l'absence de l'apôtre pour se mettre eux-mêmes en valeur en prêchant l'évangile. D'autres, heureusement, continuaient le travail de Paul avec fidélité, bonne volonté et vérité. Incapable d'intervenir directement, l'apôtre remettait tout à Christ; sa joie était de savoir Christ prêché, même s'il ne pouvait pas approuver tous les motifs ni tous les moyens employés.

5. Christ magnifié dans l'apôtre (versets 19-26)

Paul était assuré que Christ serait magnifié en lui, jusqu'au terme de sa vie sur la terre («par la vie»), et plus encore au-delà («par la mort»). Les prières des Philippiens et les ressources du Saint Esprit1 coopéraient à ce but. Christ vivait en lui (Galates 2:20), et Christ était sa vie (Colossiens 3:4). Paul le réalisait en pratique, de sorte que, pour lui, vivre c'était Christ (verset 21); dès lors, mourir devenait un gain, puisque le résultat de ce changement de domicile (déloger) serait d'être avec Christ, une bien meilleure part que de vivre sur la terre. S'il vivait, c'était pour Christ; et s'il mourait, c'était pour être avec Christ. Quelle part choisir? Désirer avec ardeur revêtir dès maintenant son domicile céleste (2 Corinthiens 5:2), ou rester ici-bas pour servir encore les saints à la gloire de Christ. Cette dernière option était meilleure pour les Philippiens, et Paul l'acceptait de cœur comme conforme à la volonté du Seigneur.

1 Le mot grec traduit par «secours» (verset 19) est rendu ailleurs par «fournissement» avec son sens initial d'action de fournir (Éphésiens 4:16) et correspond au verbe traduit par «alimenté» (Colossiens 2:19). Les dons de Christ, tête du corps, sont communiqués par le Saint Esprit aux membres sur la terre. Chacun coopère alors, dans sa mesure, au bien spirituel de l'ensemble du corps.

6. La conduite des Philippiens (versets 27-30)

Que Paul soit absent (comme lorsqu'il leur écrivait) ou présent au milieu d'eux (comme il le souhaitait ardemment), les Philippiens devaient se conduire d'une manière «digne de l'évangile». Il s'agit ici de la conduite1, plutôt que de la marche. La conduite du croyant doit être en pleine harmonie avec la bonne nouvelle de l'évangile, qui délivre l'homme de la puissance du péché pour lui présenter Christ comme vie, comme modèle, comme but et comme la source de toute joie et de toute force. Ailleurs, Paul présente d'autres mobiles d'une marche «digne». Le croyant doit marcher d'une manière:

  • «digne de Dieu» (1 Thessaloniciens 2:12). Les Thessaloniciens venaient de se tourner vers Dieu, qui les appelait «à son propre royaume et à sa propre gloire». Ils devaient maintenant marcher pour lui plaire.
  • digne de l'appel» (Éphésiens 4:1), c'est-à-dire du Saint Esprit. Le saint appel dont nous sommes appelés est une expression des desseins de Dieu (le thème de l'épître) et doit régler la marche des croyants sur la terre2.
  • «digne du Seigneur» (Colossiens 1:10). Le premier but d'une marche digne du Seigneur est de lui plaire en toutes choses. Comment ne pas penser au parfait modèle, Christ, qui a dit de son Père: «Moi, je fais toujours les choses qui lui plaisent» (Jean 8:29)? Cette marche digne du Seigneur se réalise dans la connaissance de la volonté de Dieu.

1 C'est plutôt ici la tenue morale du croyant que les actes de la vie. Le même mot est employé par Paul devant le sanhédrin pour caractériser sa propre conduite (Actes des Apôtres 23:1).

2 Cette marche est mentionnée sept fois dans l'épître aux Éphésiens: 2:2, 10; 4:1, 17; 5:2, 8, 15.

Les Philippiens devaient tenir ferme et combattre ensemble le même combat que l'apôtre, sans crainte des adversaires, que Dieu rendrait confus. Les souffrances endurées pour Christ sont un honneur qu'il confère à ceux qui le servent fidèlement.

Christ, notre modèle (chapitre 2)

«Qu'il y ait donc en vous cette pensée, qui a été aussi dans le Christ Jésus» (verset 5)

1. Une même pensée (versets 1-4)

L'apôtre était sensible au témoignage pratique de l'amour des Philippiens, qui lui avait apporté:

  • la consolation en Christ,
  • le soulagement de l'amour,
  • la communion de l'Esprit,
  • leurs tendres compassions.

Toutefois, des germes de division opéraient dans l'assemblée, en particulier les difficultés entre deux sœurs, Evodie et Syntyche. Aussi, la joie de Paul ne serait-elle parfaite que si les Philippiens manifestaient l'unité pratique dans leur vie collective sous les quatre aspects suivants, à savoir être:

  • d'une même pensée, empreinte de l'humilité de Christ,
  • d'un même amour: aimer comme Christ,
  • d'un même sentiment, d'un seul cœur et d'une seule âme (Actes des Apôtres 4:32),
  • occupés d'un seul et même objet, Christ.

Quatre obstacles pratiques s'opposent à cette unité:

  • l'esprit de parti, qui substitue l'autorité de l'homme à celle de Christ,
  • la vaine gloire, qui exalte l'homme et le moi, et qui vient des hommes et non de Dieu (Jean 5:44),
  • l'orgueil, à l'opposé de l'humilité, le vrai caractère de Christ,
  • l'égoïsme et l'absence d'égards pour les autres.

Le seul remède à ces maux est dans la mise de côté de soi-même, dans l'humilité et dans l'esprit d'abaissement pour servir. C'est ce que Christ, par contraste avec le premier Adam, a parfaitement manifesté dans son incarnation et dans son abaissement, avant son élévation.

2. L'exemple du Christ Jésus (versets 5-11)

Christ est en forme de Dieu (c'est la réalité profonde de son être inconnaissable), car Christ est Dieu, le «JE SUIS», «Jéhovah» de l'Ancien Testament. À l'instigation de Satan, Adam, créature humaine, a cherché à se rendre semblable à Dieu par un vol. Christ, au contraire, s'est anéanti comme Dieu pour devenir un homme, s'abaissant volontairement pour obéir jusqu'à la mort. Dans ce chemin glorieux de sa demeure céleste à la croix, l'apôtre signale sept étapes descendantes:

  • Dans sa position suprême, il accepte de faire la volonté de son Dieu pour accomplir le dessein divin (Hébreux 10:7),
  • comme Dieu, Il s'anéantit lui-même pour devenir un homme,
  • comme homme, Il prend volontairement la forme d'esclave,
  • il est fait à la ressemblance des hommes,
  • il est trouvé en figure comme un homme,
  • il s'abaisse lui-même pour obéir jusqu'à la mort,
  • à la mort même de la croix, le supplice infamant des malfaiteurs, infligé au seul homme innocent et juste.

 Mais celui qui s'abaisse sera élevé (Luc 14:11). Dieu lui-même élève son Fils, le vrai serviteur de l'Éternel (Ésaïe 52:13), en sept étapes ascendantes:

  • il l'a haut élevé,
  • il lui a donné un nom au-dessus de tout nom,
  • tout genou devra se ployer au nom de Jésus (le nom de son abaissement). Sa seigneurie sera reconnue par toutes les créatures, sans exception:
  • les êtres célestes, les saints anges de Dieu,
  • les êtres terrestres (tous les hommes) sauvés ou perdus1,
  • même les êtres infernaux2 (ceux qui sont au-dessous de la terre), c'est-à-dire Satan et les anges déchus, ceux pour qui est préparé le feu éternel (Matthieu 25:41).
  • Enfin, toute langue confessera Jésus Christ comme Seigneur (le nom de son élévation), à la gloire de Dieu le Père.

1 La destruction de ces vases de colère (le jugement final des rebelles) sera un témoignage à la puissance de Dieu.

2 Il n'y a pas de réconciliation pour eux; toutefois ils seront contraints de rendre gloire à l'Agneau (Apocalypse 5:13, 14).

3. La marche des Philippiens en l'absence de Paul (versets 12-15)

Les Philippiens avaient obéi aux instructions de l'apôtre lorsqu'il était parmi eux; ils devaient continuer d'autant plus en son absence, pour résister aux adversaires de l'extérieur, et retrouver l'unité et la paix intérieures, dans la contemplation du parfait modèle de Christ.

Ils devaient travailler en vue d'obtenir le salut de leur course chrétienne, pas celui de leur âme, qui est assuré à jamais. Ils devaient le faire avec crainte et tremblement, dans la conscience de l'aide divine. Il faut non seulement le vouloir, mais aussi le faire, la capacité pour l'accomplir, et Dieu produit les deux choses.

Loin des murmures et des raisonnements de l'homme, notre conduite doit être dans la lumière, avec un œil simple, de sorte que nous manifestions que nous sommes des luminaires pour le Seigneur au milieu des ténèbres morales du monde. C'est exactement ce que Christ a été, lui, le parfait modèle. L'apôtre illustre alors son exhortation par trois exemples: le sien, celui de Timothée et celui d'Épaphrodite.

4. L'exemple de Paul (versets 16-18)

Les Philippiens avaient consenti un sacrifice pour venir en aide à l'apôtre, et Dieu l'appréciait comme une offrande (4:18). Pourtant, Paul était encore en prison, et il envisageait même de subir le martyre pour son Maître. Ce sera d'ailleurs une proche réalité pour lui, lors de son second emprisonnement (2 Timothée 4:6). Par le sacrifice et le service de leur foi, les Philippiens (et l'assemblée en général) constituaient comme une offrande présentée à Dieu; Paul (par le sacrifice de sa vie pour Christ) se contentait d'être la libation de vin répandue sur ce sacrifice (Exode 29:38, 42). Ce serait ainsi le couronnement de son œuvre, un sujet de profonde joie pour lui, que même les Philippiens devaient partager.

5. L'exemple de Timothée (versets 19-24)

Cosignataire de la lettre, Timothée est pris comme deuxième exemple par Paul, pour souligner:

  • son unité de pensée avec lui,
  • sa sollicitude pour les saints, au milieu du mépris général des intérêts de Jésus Christ,
  • sa fidélité dans l'épreuve et dans le service de l'évangile,
  • son abnégation et son dévouement pour l'apôtre.

Paul se proposait de l'envoyer à Philippes.

6. L'exemple d'Épaphrodite (versets 25-30)

Auparavant, il leur envoyait Épaphrodite, son frère, son compagnon d'œuvre ou de travail (portant le même joug que lui, celui de Christ), son compagnon d'armes, mais leur messager et leur ministre pour répondre à ses besoins. Tombé gravement malade à Rome, Épaphrodite pense avec une vive affection aux Philippiens plutôt qu'à lui-même; et Dieu le guérit, pour la consolation et la joie de l'apôtre et des Philippiens. De tels hommes doivent être reçus et honorés dans les assemblées.

Le parfait modèle du Sauveur se reflète ainsi brillamment dans l'humilité de Paul, la sollicitude de Timothée et l'affection d'Épaphrodite.

À suivre