Ne sais-tu pas que les Philistins dominent sur nous?

Philippe Laügt

Juges 15

Il y a une grande différence entre le livre de Josué et celui des Juges. Dans ce dernier, la page glorieuse est tournée. Le déclin s'accentue. La force et, dans une grande mesure, la bénédiction collective ont disparu. C'est ce qui est advenu aussi à l'Église responsable. Dieu seul n'a pas changé. Sa puissance et sa miséricorde sont toujours à la disposition de la foi.

Il n'est plus question de Guilgal ici, ce lieu qui parlait du jugement de soi-même, si nécessaire pour être en mesure de combattre les combats de l'Éternel. L'Ange de l'Éternel, lassé d'attendre le retour du peuple, est monté à Bokim, le lieu des pleurs (Juges 2). Mais une véritable humiliation fait défaut. Elle ne se manifestera vraiment que bien plus tard (1 Samuel 7:2-6).

Si nous comparons la faiblesse présente de l'Église à son glorieux commencement, c'est bien l'humiliation qui nous convient aussi. Ce qui se passe dans ce livre des Juges rappelle notre propre déclin. On y voit toujours le même cycle. Le peuple abandonne son Dieu, qui, pour parler à sa conscience, le livre à ses ennemis. Après un laps de temps plus ou moins long, Israël reconnaît enfin ses fautes et crie à l'Éternel. Dans ses grandes compassions, Dieu, en peine à cause de leur misère, leur donne un juge qui les délivre.

Samson

Au chapitre 13, Israël entre dans la période la plus sombre de l'histoire que nous rapporte le livre des Juges. Une fois encore, ils font ce qui est mauvais aux yeux de l'Éternel et il les livre en la main des Philistins pendant quarante ans! (verset 1). Et dans cette situation, nous ne trouvons même plus les paroles rapportées jusqu'ici après chaque période d'éloignement: «Alors les fils d'Israël crièrent à l'Éternel». Il n'y a ni cri, ni retour! Ils manifestent une complète indifférence à l'égard de leur servitude. Dieu va toutefois préparer un instrument pour leur venir en aide, mais la délivrance ne sera que partielle. L'ange parlant de Samson à la femme de Manoah déclare: «Ce sera lui qui commencera à sauver Israël de la main des Philistins» (verset 5). Nazaréen depuis le ventre de sa mère — qui s'est appliquée à en garder les prescriptions (verset 7; cf. Nombres 6:1-8) —, Samson, parvenu à l'âge adulte, se révélera très contrasté dans son comportement. La Parole nous laisse le soin de discerner entre ce qu'il fait quand l'Esprit le saisit et ce qu'il est capable de faire lorsqu'il cède à ses convoitises. Il déchire le lion, figure de Satan, «comme on déchire un chevreau» (Juges 14:6), mais, par manque de prière et de dépendance, tombe sous les attraits d'une femme et dans le piège que l'ennemi lui tend par son moyen. Combien de fois au milieu du peuple de Dieu, ne voit-on pas de tels désastres! Une vie commence sous d'heureux auspices, mais le témoignage est finalement altéré ou même détruit par la convoitise de la chair.

C'est donc à des Philistins hélas! solidement implantés dans la terre d'Israël que Samson a eu constamment affaire. C'était la conséquence directe de l'égarement devenu continuel du peuple de Dieu. Pour les mêmes motifs, les «descendants» de ces Philistins ont maintenant aussi droit de cité au milieu de l'Église professante, à la veille de l'apostasie. Comment pouvons-nous discerner leur présence, pour nous en éloigner? Chaque fois que l'on cherche à introduire dans les choses de Dieu des principes que la chair peut comprendre ou approuver, ou que l'on enseigne pour entrer dans le Pays un autre chemin que celui qui passe par la Mer Rouge et le Jourdain (ces deux aspects de la croix), l'on est en présence de Philistins. On peut les reconnaître aussi par leur prétention à exercer des droits exclusifs sur la rafraîchissante fontaine de la parole de Dieu, dont ils cherchent à interdire l'accès, tels autrefois leurs ancêtres bouchant les puits d'Abraham. C'est encore leur activité qui peut engendrer de l'incertitude quant au pardon des péchés, la portée du sacrifice de la croix restant méconnue. Enfin, notons que dans la vie de Samson, ce sont des Philistines qui ont fait tomber ce nazaréen.

Dans le chapitre 15, sur lequel nous désirons nous arrêter, Samson est désormais en lutte ouverte avec les Philistins. Mais il va affronter un nouvel adversaire inattendu, ce sera Israël ou du moins Juda.

C'est un des aspects des souffrances qu'un croyant fidèle peut rencontrer au milieu d'une chrétienté décadente.

Dégâts causés aux Philistins (Juges 15:1-8)

Par sa faute, Samson fait à ses dépens l'expérience que le monde est toujours décevant pour un croyant. On peut travailler pour lui, dépenser tout son temps à son service, chercher à y prospérer, on ne trouvera qu'ingratitude et désillusion!

Samson se venge. La chair seule semble en jeu; on ne voit pas que l'Esprit de Dieu le saisisse. Trop souvent, des motifs d'inimitié personnelle, plus ou moins cachés, nous font agir. Or la colère de l'homme n'accomplit pas la justice de Dieu, qui seul connaît les cœurs (Jacques 1:20). Samson descend ensuite habiter dans une caverne au rocher d'Etam. Ce sera le moment le plus positif de sa carrière.

Lié par ses frères (Juges 15:9-13)

Les Philistins veulent s'emparer de lui. Ils ont compris qu'aucun compromis n'est plus possible avec lui. Ils montent en Juda et se répandent en Lékhi. Les hommes de Juda s'enquièrent: «Pourquoi êtes-vous montés contre nous?» Ils répondent: «Nous sommes montés pour lier Samson, afin de lui faire comme il nous a fait» (versets 9, 10). Leur but avoué, c'est de lier le nazaréen, de le rendre impuissant. Satan travaille toujours dans le même sens: au milieu du vrai christianisme, l'existence de contrefaçons sans vie montre clairement ses réussites. Juda n'a aucun désir d'être libéré du joug des Philistins, lequel n'a même plus à leurs yeux un tel caractère. Samson leur apparaît comme celui qui vient troubler la quiétude de leur esclavage! Vraiment, leur libérateur les embarrasse! Or cette servitude, annoncée dans la Parole, aurait dû être ressentie comme un jugement divin (Deutéronome 28:32, 33; Juges 2:13-15; Psaumes 106:41). Au contraire, cette tribu pactise avec l'ennemi et s'offre même honteusement à livrer Samson. Souvent, on retrouve la même attitude chez des chrétiens gagnés par la mondanité et désireux de vivre à leur aise dans le monde, acceptant sans honte de se conformer à son idolâtrie.

Plus tard, le Seigneur lui-même sera livré par son peuple entre les mains des nations. Ce peuple avait pourtant été l'objet de toutes ses compassions. Sans son consentement, nul n'aurait pu le lier; son dévouement parfait au conseil divin et son amour envers les hommes ont été les cordes puissantes et invisibles qui l'ont retenu sur la croix. Mais le triomphe apparent des méchants a été bref, les liens de la mort ne pouvaient le retenir. Crucifié en infirmité, il vit par la puissance de Dieu.

Ici trois mille hommes de Juda descendent à la caverne d'Etam, prêts à lier celui qui est une menace pour l'ennemi. N'y a-t-il pas des tendances semblables aujourd'hui? Quelqu'un sent-il sa responsabilité devant Dieu de mettre, par amour, ses frères en garde contre l'introduction de fausses doctrines ou contre la pénétration grandissante de la mondanité? Son message déplaît, dérange; il faut lui fermer la bouche. Et pourtant, nous avons tellement besoin d'être réveillés, de retrouver un amour fervent pour le Seigneur. La conduite de Juda dans cette circonstance montre où peut conduire un manque de séparation de cœur avec le monde. Écoutons les reproches qu'ils adressent à Samson. «Ne sais-tu pas que les Philistins dominent sur nous? Et que NOUS as-tu fait?» (15:11).

Être méconnu, jugé même nuisible, après avoir un peu servi ses frères, est difficile à supporter. Si tel était le cas, considérons le parfait modèle, notre bien-aimé Sauveur, l'amour et le dévouement personnifiés (Psaumes 109:4, 5; 35:12). Rien n'a pu faire obstacle au travail de sa grâce.

Ici, Samson surprend par sa douceur. Il ne touche pas à ces hommes ingrats. Etre seul avec Dieu lui a fait du bien. Il se laisse même lier et on le fait monter hors du rocher à la rencontre des Philistins.

Exploits avec une mâchoire d'âne (Juges 15:14-17)

Les Philistins poussent des cris à sa rencontre. Leur joie sera de courte durée. L'Esprit de l'Éternel saisit Samson, ses cordes deviennent comme de l'étoupe et ses liens coulent de dessus ses mains. Il se saisit d'une mâchoire d'âne, arme apparemment sans valeur, et frappe mille hommes. Puis, il jette la mâchoire; il ne la gardera pas. Elle pourrait devenir un piège pour lui. Israël pourrait en faire une idole comme de l'éphod de Gédéon. De même, gardons-nous d'exalter les faibles instruments que Dieu veut bien employer (1 Corinthiens 1:27).

Prière et réponse divine (Juges 15:18-20)

L'heure de la victoire peut souvent être suivie par la manifestation d'une grande faiblesse, d'où l'exhortation d'Éphésiens 6:13: «Après avoir tout surmonté, tenir ferme». Samson «eut une très grande soif et il cria à l'Éternel et dit: Tu as donné par la main de ton serviteur cette grande délivrance, et maintenant je mourrais de soif, et je tomberais entre les mains des incirconcis!» (verset 18). La circoncision est une figure de la mise de côté de la chair. La crainte exprimée par Samson est tout à fait justifiée: il était un nazaréen appelé à porter le caractère de séparation pour Dieu; cette crainte devrait remplir notre cœur. Il nous faut toujours veiller au jugement de nous-mêmes pour être en mesure de combattre les combats de l'Éternel.

C'est la première fois que l'on peut entendre Samson prononcer une humble et fervente prière. Et l'on peut remarquer que l'action de grâce est à la base de sa requête.

Comme pour son peuple au désert (1 Corinthiens 10:4), Dieu avait des ressources en réserve pour son serviteur défaillant. Il fend le rocher creux qui était à Lékhi et il en sort de l'eau. Ce rocher, une fois encore, n'est-il pas une belle figure de Christ? Hormis l'Affligé suprême, fait péché pour nous, a-t-on jamais crié à Dieu avec foi sans recevoir une réponse de sa grâce?

Samson boit à longs traits, sa soif est étanchée, son esprit lui revient, il vit. D'où le beau nom de cette source: En-Hakkoré: source de celui qui crie.

Chute et restauration (Juges 16)

Mais le péché non jugé prive bientôt le croyant de toute énergie spirituelle. La Parole nous enjoint de fuir les convoitises charnelles: elles font la guerre à l'âme (2 Timothée 2:22; 1 Pierre 2:11). Or Samson n'a pas mis sa vie en accord avec le don qui lui était confié. Il cède à ses passions et cultive la terrible illusion qu'il pourra encore se dégager (verset 20). Il fera finalement la terrible expérience qu'il n'a plus aucune ressource pour échapper à l'ennemi. L'Éternel s'est retiré de lui. Il a perdu la force liée à son nazaréat. Dès lors, il ne tarde pas à perdre et sa liberté et sa vue. Il est désormais un pauvre prisonnier aveugle, objet de dérision pour les Philistins, condamné à tourner sans fin la meule à Gaza, théâtre dans le passé de l'une des démonstrations de sa force. Est-il besoin de dire qu'un croyant peut tomber dans le même état et que cette scène si dramatique peut s'appliquer aussi, hélas! à l'Église de Dieu? Affaiblie par des alliances coupables, n'est-elle pas tombée au même niveau que le monde? Quel sujet constant de deuil pour tous les rachetés!

Mais il n'est pas trop tard pour se tourner vers Dieu. Dans sa grande misère, Samson crie et Dieu entend (Psaumes 50:15). Il prend toujours plaisir à user de grâce envers celui qui se repent. Et il le relève. Samson avait dit: «Que mon âme meure avec les Philistins!» (verset 30). Il en sera ainsi. Dieu se sert de cet homme brisé, à la faiblesse maintenant si apparente. Samson en a fini avec lui-même, mais il n'est plus esclave non plus de l'ennemi qui l'avait lié. Dieu met sa force à sa disposition, et lui accorde de remporter au moment de sa mort un grand triomphe sur ses ennemis, qui étaient aussi ceux du peuple de Dieu.

Ne traitons jamais le péché à la légère. Apprenons aux pieds du Seigneur, et sans qu'il soit besoin d'une chute retentissante, ce que signifie pratiquement: «Je suis crucifié avec Christ; et je ne vis plus, moi, mais Christ vit en moi» (Galates 2:20). La vigilance est de rigueur tout au long de notre vie. La grâce et la puissance divines sont indispensables pour mener à bien notre course, et en particulier pour être gardés de pactiser avec ce monde séducteur.

Puissant Sauveur, qui seul es notre vie,

Bénis tes saints, étrangers ici-bas.

Que, du péché fuyant la coupe immonde,

Aux vives eaux nous puisions le bonheur.