L'heure est venue

Bernard Paquien (1996)

Les paroles du Seigneur Jésus rapportées par les évangiles sont sobres mais puissantes; elles suscitent notre émotion. Parmi les expressions qu'il a employées pour évoquer ses souffrances et sa mort, il en est une qu'il répète plusieurs fois, et qui nous touche particulièrement: «l'heure est venue».

Ces simples mots, replacés dans leur contexte, évoquent quelques-unes des gloires de Christ que nous retrouvons en Philippiens 2: son anéantissement — c'est le grand mystère de la piété, Dieu «étant fait à la ressemblance des hommes», le maître du temps qui, «n'ayant ni commencement de jours, ni fin de vie», s'est soumis au temps —, son obéissance, son renoncement à ses droits intrinsèques, son dévouement, son amour pour le Père et sa détermination pour le glorifier.

Son heure n'était pas encore venue

Une première fois cette expression est employée pour désigner l'heure de sa révélation au monde en tant que Fils de Dieu et Roi d'Israël. C'est lors des noces de Cana (Jean 2: 1-11).

Les Écritures éclairent la naissance du Seigneur, puis l'épisode de sa vie de jeune garçon qui, à douze ans, interroge les docteurs de la loi dans le temple, et ensuite son ministère, dans lequel il entra alors qu'il «commençait d'avoir environ trente ans» (Luc 3: 23). Mais toute une partie de sa vie demeure cachée.

Il était «le fils du charpentier», selon l'expression de Matthieu 13: 55, et «le charpentier», selon Marc 6: 3, que son peuple ne voulait pas considérer comme le Fils de Dieu. Il était pourtant «sur toutes choses Dieu béni éternellement» (Romains 9: 5), le Créateur de l'univers, le Sauveur d'Israël et du monde. Lors des noces à Cana, le vin manque. Marie, sa mère, s'avance certainement trop, en pensant qu'il va suppléer à cet imprévu. Elle entend alors de Jésus une parole qui pourrait nous paraître dure: «Qu'y a-t-il entre moi et toi, femme? Mon heure n'est pas encore venue» (Jean 2: 4). Dans une obéissance sans faille à son Père, il ne voulait pas entrer dans son ministère avant le temps.

Plus loin, l'évangéliste note par deux fois: «son heure n'était pas encore venue». Il le dit en anticipant le moment où, dans le jardin de Gethsémané, la foule, envoyée par les principaux sacrificateurs et les anciens du peuple, viendrait avec des épées et des bâtons, Judas en tête, prendre Jésus pour le juger et le crucifier.

La première fois, c'est lors de la fête des tabernacles, à l'occasion de laquelle ses frères l'avaient invité à se montrer au monde. Jésus refuse, puis il monte comme en secret et enseigne dans le temple. Immédiatement, les Juifs cherchent à le contredire; et parce que la vérité les blesse — il vient de leur dire: «nul d'entre vous n'observe la loi» —, ils rétorquent, à court d'arguments: «tu as un démon», puis cherchent à le prendre. Mais «personne ne mit la main sur lui, parce que son heure n'était pas encore venue» (Jean 7: 30).

La deuxième fois, nous trouvons cette déclaration dans des circonstances assez semblables. Jésus dit aux pharisiens: «vous ne connaissez ni moi ni mon Père». Blessés dans leur orgueil, ils veulent se saisir de lui, mais l'évangéliste rapporte à nouveau: «personne ne le prit, parce que son heure n'était pas encore venue» (Jean 8: 20). N'avait-il pas dit lui-même à ses frères avant de monter en cachette à Jérusalem: «mon temps n'est pas encore venu» (Jean 7: 6)?

Jésus sait que les pharisiens cherchent une occasion pour le prendre, et il sait aussi l'heure et les circonstances de son arrestation. Mais, jusqu'au bout il demeure maître de la situation; il domine entièrement la scène de ce monde.

L'heure s'est approchée

Christ domine aussi bien les événements que le temps. Il sait l'heure qu'il est à l'horloge de Dieu. «Au temps convenable, Christ est mort pour des impies» (Romains 5: 6). L'accomplissement de la juste exigence de Dieu d'un sacrifice définitif pour le péché, le Seigneur en connaissait le moment exact. C'est ce «temps de mourir» dont parle Ecclésiaste 3: 2, que nous ne connaissons pas pour nous-mêmes, mais dont Christ était parfaitement maître. Alors il se rend avec ses bien-aimés disciples dans le jardin où il avait coutume de se recueillir pour prier, en ce lieu où ses ennemis viendraient le lier. Et pendant qu'il prie, les méchants dans la ville préparent leurs armes et fomentent leur horrible machination.

Trois fois Jésus répète les mêmes paroles de supplication. Trois fois il vient vers les disciples qu'il trouve endormis. La troisième fois, il les réveille et leur dit: «Dormez dorénavant et reposez-vous; voici, l'heure s'est approchée, et le Fils de l'homme est livré entre les mains des pécheurs» (Matthieu 26: 45; Marc 14: 41).

Cette heure terrible s'approche et Jésus désire en être délivré. Devant lui sont les coups, les crachats, un procès truqué, les douleurs du supplice infamant de la crucifixion, et, souffrance suprême, l'abandon de Dieu. Il dit à ses disciples: «Mon âme est saisie de tristesse jusqu'à la mort». «Et il priait que, s'il était possible, l'heure passât loin de lui… toutefois non pas ce que je veux, moi, mais ce que tu veux, toi!» (Marc 14: 34-36). Il s'était écrié, peu auparavant: «Maintenant mon âme est troublée; et que dirai-je? Père, délivre-moi de cette heure; mais c'est pour cela que je suis venu à cette heure. Père, glorifie ton nom» (Jean 12: 27, 28). Obéissance absolue et parfaite de Christ, apprise par les choses qu'il a souffertes!

L'heure est venue

Cette heure est celle de la solitude la plus complète. Le Psaume 102 et d'autres passages l'évoquent. Lorsque la croix s'approche, Jésus dit aux siens qui l'avaient suivi jusque là: «Voici, l'heure vient, et elle est venue, que vous serez dispersés chacun chez soi, et que vous me laisserez seul; — et je ne suis pas seul, car le Père est avec moi» (Jean 16: 32).

L'heure, son heure, est venue. Vient aussi celle de Satan qui semble triompher en faisant prendre Jésus et en le faisant crucifier: c'est l'heure aussi des méchants: «c'est ici votre heure, et le pouvoir des ténèbres» (Luc 22: 53). En fait, Christ domine tout; et il le démontre en renversant ses ennemis sans un geste (Jean 18: 6).

Le Seigneur allait laisser les siens. Mais il veut que pendant le temps de son absence, ceux-ci manifestent quelque chose des caractères de son cœur, et en particulier qu'ils mettent en pratique ce commandement nouveau qu'il leur donne: «Comme je vous ai aimés, que vous aussi vous vous aimiez l'un l'autre» (Jean 13: 34; cf. 15: 12). Or son amour est infini, ce qui donne la mesure de celui que nous devrions éprouver pour nos frères. L'amour de Christ pour les siens allait manifester son plus haut degré. «Or, avant la fête de Pâque, Jésus, sachant que son heure était venue pour passer de ce monde au Père, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu'à la fin» (ou: mit le comble à son amour) (Jean 13: 1).

Elle est magnifique cette scène dans laquelle nous voyons Jésus laver les pieds de ses disciples. Mais ne perdons pas de vue l'application que nous sommes appelés à en faire, car le Seigneur ajoute: «Je vous ai donné un exemple, afin que, comme je vous ai fait, moi, vous aussi vous fassiez… Si vous savez ces choses, vous êtes bienheureux si vous les faites» (Jean 13: 15, 17).

Pour Christ, «l'heure était venue pour passer de ce monde au Père». Précédemment, il avait indiqué aux siens combien il allait souffrir, ce qu'ils n'avaient pas compris. «Dès lors Jésus commença à montrer à ses disciples qu'il fallait qu'il allât à Jérusalem, et qu'il souffrît beaucoup… et qu'il fût mis à mort, et qu'il fût ressuscité le troisième jour» (Matthieu 16: 21). Mais quand la croix approche, Christ ne voit plus seulement cela. Son cœur — qui n'a jamais été troublé — est tout entier tourné vers Dieu. Aussi laisse-t-il entrevoir ici ce que représente pour lui l'interruption de la communion avec son Père, épreuve suprême qu'il traversera pendant les trois heures de ténèbres de la croix.

Avant de s'offrir lui-même en sacrifice, le Seigneur pense aux siens et aux générations qui vont suivre. Il institue un mémorial de ses merveilles (Psaumes 111: 4), le repas du souvenir. C'est la Pâque qui se prépare et le véritable Agneau pascal va être sacrifié. «Et quand l'heure fut venue, il se mit à table, et les douze apôtres avec lui. Et il leur dit: J'ai fort désiré de manger cette pâque avec vous, avant que je souffre» (Luc 22: 14, 15).

Jusque-là, Jésus demeurait avec ses disciples. Ils n'avaient pas besoin de se souvenir de lui. Mais, à l'heure où il allait les quitter, il leur indique la manière de se souvenir de lui: «Faites ceci en mémoire de moi». Cela se passait à un moment précis: la nuit où il fut livré.

Enfin, le cœur du Seigneur est tourné vers la gloire. «L'heure est venue pour que le fils de l'homme soit glorifié» (Jean 12: 23). Il a glorifié Dieu dans sa marche parfaite sur la terre, il va le glorifier dans sa mort sur la croix. Il est lui-même glorifié moralement et officiellement par Dieu (Jean 13: 31; 1 Pierre 1: 21). Quelle gloire pouvons-nous contempler dans le vainqueur de la mort, dans le ressuscité! «Nous voyons Jésus, qui a été fait un peu moindre que les anges à cause de la passion de la mort, couronné de gloire et d'honneur» (Hébreux 2: 9).

Que toujours, à la contemplation d'un Christ glorifié, soit associée en nous la pensée de cette heure terrible des souffrances de l'Agneau!