Néhémie

Chapitre 5

Obstacles au dedans

Le chapitre 4 nous a montré la nécessité d’être armé pour accomplir l’œuvre du Seigneur, car, à chaque instant, on peut être appelé à combattre l’ennemi.

Le chapitre 5 nous fait assister à une scène très humiliante. Si le témoignage du peuple au dehors était accompagné d’une activité digne d’éloges, son témoignage au dedans laissait beaucoup à désirer et était entravé par des faits scandaleux. Où en étaient les rapports fraternels entre membres du peuple de Dieu? Trouvait-on du dévouement, de la pitié, des sympathies pour les pauvres, et l’amour se manifestait-il comme il l’aurait dû? Non; «il y eut un grand cri du peuple et de leurs femmes contre les Juifs, leurs frères» (v. 1). Un grand cri! des plaintes, des récriminations, parfaitement justifiées du reste!

Les pauvres demandaient du blé pour vivre (v. 2). Où était l’amour? Quand il aurait fallu que les riches, à l’exemple de, Christ, laissassent leurs vies pour les frères, les aidaient-ils dans les choses ordinaires de la vie? «Celui qui a les biens de ce monde, et qui voit son frère dans le besoin, et qui lui ferme ses entrailles, comment l’amour de Dieu demeure-t-il en lui?» (1 Jean 3:17), ou, comme il est dit encore: «Si un frère ou une sœur sont nus et manquent de leur nourriture de tous les jours, et que quelqu’un d’entre vous leur dise: Allez en paix, chauffez-vous et rassasiez-vous, et que vous ne leur donniez pas les choses nécessaires pour le corps, quel profit y a-t-il? De même aussi la foi, si elle n’a pas d’œuvres, est morte par elle-même» (Jacques 2:15-17).

D’autres disaient: «Nous avons dû engager nos champs, et nos vignes, et nos maisons, pour nous procurer du blé dans la disette» (v. 3). Qui donc avait profité d’eux, quand, souffrant de la faim, il leur fallait du pain? C’étaient leurs frères; et cependant la loi de Moïse le leur défendait. L’Israélite pouvait prêter aux nations, mais il ne devait pas tirer d’intérêt de son frère (Deut. 23:19-20; Exode 22:25). Ainsi l’amour du lucre leur avait fait commettre ce grand péché.

«D’autres disaient: Nous avons emprunté de l’argent sur nos champs et nos vignes pour le tribut du roi; et pourtant notre chair est comme la chair de nos frères, nos fils comme leurs fils; et voici, nous réduisons nos fils et nos filles à la servitude, et, parmi nos filles, il y en a qui sont déjà asservies, et il n’est pas au pouvoir de nos mains de les racheter, car nos champs et nos vignes sont à d’autres» (v. 4-5). Ce tribut du roi (Middah; Esdras 6:8; 4:20) était exigé d’eux. Il fallait que chacun empruntât à son frère sur ses champs et ses vignes — et ainsi, ne pouvant rembourser leur dette, non seulement la terre ne leur appartenait plus, mais ils devaient engager leurs enfants comme esclaves sans pouvoir les racheter, puisque les champs étaient aux mains de leurs frères. Quel sort misérable! Et comme cela nous prouve qu’un témoignage correct au dehors n’est pas une sécurité pour nous, qu’il peut même être un piège immense par rapport à notre vie pratique, car la satisfaction d’occuper une position de séparation du monde peut nourrir notre orgueil spirituel, et nous faire passer légèrement sur notre relâchement moral dans nos rapports avec nos frères. C’était aussi contre ce danger que Jérémie mettait le peuple en garde: «Ne mettez pas votre confiance en des paroles de mensonge, disant: C’est ici le temple de l’Éternel, le temple de l’Éternel, le temple de l’Éternel! Mais si vous amendez réellement vos voies et vos actions, si vous faites réellement la justice entre un homme et son prochain, si vous n’opprimez pas l’étranger, l’orphelin et la veuve… je vous ferai demeurer dans ce lieu» (Jér. 7:4-6).

Devant ce désordre, Néhémie fut très irrité. Il n’alla chercher conseil auprès de personne sur ce qu’il avait à faire, pas plus que la nuit où il fit le tour des murailles de Jérusalem. «Mon cœur», dit-il, «se consulta sur cela». Il savait en lui-même quel était son devoir, soit quant au témoignage public, soit quant à la vie morale de l’assemblée. Il ne craignit pas de démasquer les principaux devant une grande congrégation; le respect humain ne l’arrêtait pas quand il s’agissait de la vérité. C’est ainsi que Paul reprit Pierre devant tous à Antioche et lui résista en face, parce qu’il était condamné (Gal. 2:11, 14). Ici, Néhémie montre aux nobles et aux chefs que leurs frères, qui demeuraient parmi les nations, agissaient tout autrement et beaucoup mieux qu’eux. Ils avaient racheté leurs frères, vendus comme esclaves aux gentils, et eux voulaient les vendre! Et c’est à nous qu’ils se vendraient! Quelle honte!

Ne pouvons-nous pas tirer de ces choses une instruction pour nous-mêmes? Des frères, encore liés au monde de bien des manières, se conduisent souvent beaucoup mieux, par leur dévouement pour leurs frères, que d’autres qui insistent avec force sur la séparation extérieure. Si ces deux choses ne vont pas de concert, le témoignage chrétien n’a pas de valeur réelle. Mais n’oublions pas que le monde sera plus frappé d’un témoignage rendu sous la forme de l’amour fraternel, que sous celle d’une séparation extérieure. C’est pourquoi Néhémie dit aux principaux: «Ne devriez-vous pas marcher dans la crainte de notre Dieu, pour n’être pas dans l’opprobre parmi les nations qui nous sont ennemies?» (v. 9).

Sa position à lui, le dévouement sans réserve pour son peuple, le renoncement absolu à ses propres intérêts, permettaient à Néhémie de parler ainsi. Il avait mis d’accord sa conduite privée avec sa conduite publique. Il pouvait dire: «Moi, je n’ai pas fait ainsi, à cause de la crainte de Dieu. Et j’ai aussi tenu ferme, dans ce travail de la muraille, et nous n’avons acheté aucun champ, et tous mes jeunes hommes étaient rassemblés là pour l’ouvrage» (v. 15, 16). Il avait aussi le droit du gouverneur, c’est-à-dire d’être nourri aux dépens du peuple, mais il y avait complètement renoncé. De même aussi, l’apôtre Paul à Corinthe. Celui qui sert l’autel a le droit de vivre de l’autel, et il en est ainsi de tous les ministères, mais Paul n’avait rien accepté des Corinthiens, afin de servir d’exemple à cette chère assemblée, en danger de la part de ceux qui la dépouillaient. Néhémie, lui, dépensait son propre avoir pour nourrir journellement 150 Juifs et chefs, sans compter les hôtes de rencontre. Il était donc qualifié pour exhorter, bien plus, pour exiger que cet état de choses cessât.

Grâce à Dieu, il eut la joie de recevoir une réponse. Les exhortations atteignirent-elles profondément la conscience de ceux qui avaient péché? Nous ne saurions le dire. En tout cas, leurs paroles semblent un peu ternes pour des gens humiliés et contrits: «Nous les rendrons et nous ne leur demanderons rien; nous ferons ainsi, comme tu l’as dit» (v. 12). Mais, quoi qu’il en soit, ils obéissent, et ce simple acte d’obéissance produit de la joie en. Israël: «Et toute la congrégation dit: Amen! Et ils louèrent l’Éternel» (v. 13).

Néhémie se tourne alors vers Dieu, comme il le fera souvent dans la suite: «Souviens-toi en bien pour moi, ô mon Dieu, de tout ce que j’ai fait pour ce peuple!» (v. 19). Son cœur simple a la certitude que Dieu l’approuve; c’est avec une bonne conscience qu’il peut se tenir devant Dieu et devant les hommes. Il a abandonné tous ses droits de Thirshatha pour le service de l’Éternel et de son peuple, et il ne doute pas que Dieu ne l’ait pour agréable. Mais ce qui donne une telle autorité à ses exhortations, c’est qu’il peut dire en toute vérité: «Marchez selon le modèle que vous avez en moi».