Matthieu

Chapitre 15

La tradition

(v. 1-11). — De nouveau les scribes et les pharisiens cherchent à trouver en défaut les disciples de Jésus et, par conséquent, le Seigneur lui-même (voir chap. 12). Ils lui demandent pourquoi ses disciples transgressent la tradition des anciens en mangeant du pain avec des mains non lavées.

Les traditions sont des récits ou des ordonnances, transmis oralement ou par écrit, d’une génération à l’autre, auxquels leur ancienneté a acquis une certaine autorité, humaine et non divine, quoiqu’on puisse leur accorder, bien à tort, le même crédit qu’aux Écritures. C’est ce qui avait lieu au milieu des Juifs; c’est ce qui a lieu aussi dans l’Église romaine. Hélas! aujourd’hui, dans le protestantisme, on ne craint pas d’appeler «tradition» la parole de Dieu, qu’on rabaisse à ce niveau-là. N’admettez jamais cette expression pour désigner les Écritures, en tout ou en partie, car la Bible est la parole de Dieu dans son entier.

Le Seigneur montre aux pharisiens que non seulement ils plaçaient la tradition au niveau des Écritures, mais qu’ils transgressaient celles-ci par leurs traditions. La loi disait: «Honore ton père et ta mère»; et: «Que celui qui médira de père ou de mère, meure de mort» (Matthieu 15:4). Mais les pharisiens disaient, se basant sur la tradition: «Quiconque dira à son père ou à sa mère: Tout ce dont tu pourrais tirer profit de ma part est un don, — et il n’honorera point son père ou sa mère». Ils enseignaient donc au peuple que, si l’on faisait des dons pour le temple, on était dispensé de faire autre chose pour ses parents; ils annulaient de cette manière le commandement de Dieu. Tout cela est de l’hypocrisie; c’est vouloir paraître pieux, religieux, tout en négligeant ce qui est dû à Dieu et à ses proches. Aussi Jésus rappelle aux pharisiens cette prophétie d’Ésaïe à leur égard: «Ce peuple m’honore des lèvres, mais leur cœur est fort éloigné de moi; mais ils m’honorent en vain, enseignant comme doctrines des commandements d’hommes» (Matthieu 15:9). Puis il leur montre la véritable souillure, celle qui vient du cœur et qui sort de la bouche, mais non le fait de manger du pain avec des mains non lavées.

Dans ce qui précède, le Seigneur nous donne d’importants renseignements. Le seul moyen d’honorer Dieu, c’est de reconnaître l’autorité de sa Parole et d’y conformer notre vie dans une obéissance implicite. Dans l’innocence, Adam n’était astreint qu’à un seul commandement; il avait, non à faire quelque chose, mais à s’abstenir. Sa désobéissance a tout gâté et a perdu l’homme. Ensuite, Dieu donna sa loi à Israël, qui, ne se connaissant pas, la reçut en disant: «Tout ce que l’Éternel a dit, nous le ferons, et nous écouterons» (Exode 24:3-7). Mais le peuple, par sa désobéissance, déshonora Dieu plus encore que les Gentils; car le cœur naturel ne se soumet pas à la loi de Dieu, il ne le peut pas. Néanmoins, l’homme, dans son orgueil, a toujours la prétention de rendre à Dieu ce qui lui est dû. Dans ce but, il ravale la mesure divine, diminue ses exigences, les accommode à ce qu’il aime, conserve certaines formes de la vérité, de manière à pouvoir accomplir ce qu’il appelle sa religion, et avec ce manteau d’apparente piété, qui calme plus ou moins sa conscience, il peut donner libre cours à sa volonté propre. Extérieurement il paraît servir Dieu; mais comme Ésaïe l’a dit: «Ce peuple m’honore des lèvres, mais leur cœur est fort éloigné de moi... enseignant comme doctrines des commandements d’hommes».

Tel est le caractère de toute religion charnelle, de quelque nom qu’on la désigne. Elle remplace les exigences de Dieu par des formes qui satisfont la chair en la laissant libre de faire sa volonté, avec la prétention de servir Dieu. Aussi on comprend que le Seigneur appelle hypocrites les chefs d’un tel système, car c’est là l’hypocrisie par excellence.

De cela découle aussi la négligence à l’égard de ses parents, devoir le plus sacré après ce que nous devons à Dieu. Si l’on ne craint pas de frustrer Dieu de ses droits, on ne craindra pas non plus de manquer à l’égard de ses parents. Sans la crainte de Dieu, impossible d’accomplir les obligations morales qui nous incombent. Les enfants manqueront vis-à-vis de leurs parents, les serviteurs vis-à-vis de leurs maîtres, les ouvriers vis-à-vis de leurs patrons, les hommes vis-à-vis de l’autorité. C’est ainsi qu’avec une forme chrétienne le monde est arrivé à l’état décrit en 2 Timothée 3:1-5: «Sache ceci, que dans les derniers jours il surviendra des temps fâcheux; car les hommes seront égoïstes, avares, vantards, hautains, outrageux, désobéissants à leurs parents, ingrats, sans piété, sans affection naturelle, implacables, calomniateurs, incontinents, cruels, n’aimant pas le bien, traîtres, téméraires, enflés d’orgueil, amis des voluptés plutôt qu’amis de Dieu, ayant la forme de la piété, mais en ayant renié la puissance».

L’origine de tout cela est l’abandon de Dieu et de sa Parole, et, vous le voyez, avec la forme de la piété.

La piété filiale est tout particulièrement recommandée dans la Bible, déjà sous la loi (voir les passages cités par le Seigneur dans les versets qui nous occupent). L’apôtre Paul, dans l’épître aux Éphésiens, exhorte les enfants à l’obéissance, il cite le même passage que le Seigneur et ajoute: «C’est le premier commandement avec promesse, afin que tu prospères et que tu vives longtemps sur la terre» (Éphésiens 6:1-3). C’était une promesse en rapport avec les bénédictions d’Israël, qui étaient matérielles; mais celles qui appartiennent aux chrétiens, infiniment plus excellentes, sont spirituelles, et la jouissance, au lieu de se confiner à notre courte existence terrestre, en sera éternelle. En Colossiens 3:20, l’apôtre appuie son exhortation en disant que c’est agréable au Seigneur. En 1 Timothée 5:8, il dit encore: «Si quelqu’un n’a pas soin des siens et spécialement de ceux de sa famille, il a renié la foi et il est pire qu’un incrédule». Comment un enfant pourra-t-il aider ses parents, prendre soin d’eux, si, dans sa jeunesse, il ne leur a pas obéi? L’obéissance prouve, mieux que n’importe quoi, l’affection pour ses parents. Combien on voit dans les familles, même chrétiennes, d’événements douloureux qui proviennent de l’insoumission à l’autorité de Dieu, représentée, pour les enfants, par leurs parents. Désobéir à ses parents, c’est désobéir à Dieu. Ne pas se soumettre à ce que Dieu a dit, c’est vouloir être plus sage que lui, c’est s’élever au-dessus de lui pour faire sa volonté propre, perverse et corrompue. C’est aussi s’exposer aux plus graves châtiments. «L’œil qui se moque d’un père et qui méprise l’obéissance envers la mère, les corbeaux du torrent le crèveront et les petits de l’aigle le dévoreront» (Proverbes 30:17).

Que Dieu garde tous les enfants qui liront ces lignes dans une sainte frayeur de désobéir à Dieu en manquant vis-à-vis de leurs parents par la désobéissance ou par tout autre acte irrespectueux, de peur qu’ils ne soient ainsi conduits dans une voie d’iniquité et de malheur!

 

La source de toute souillure

(v. 12-20). — Les disciples rapportèrent à Jésus que les pharisiens avaient été froissés de ses paroles. Il ne pouvait en être autrement, car le Seigneur atteignait leur conscience en dénonçant ouvertement le grand mal qui les caractérisait. Ils voulaient paraître purs au-dehors, en observant des traditions qui leur donnaient une apparence de sainteté, et le Seigneur leur disait que ce n’est pas la souillure extérieure qui souille l’homme devant Dieu, mais celle qui vient du cœur, que tout homme porte au-dedans de lui.

Jésus répond aux disciples: «Toute plante que mon Père céleste n’a pas plantée sera déracinée. Laissez-les; ce sont des aveugles, conducteurs d’aveugles: et si un aveugle conduit un aveugle, ils tomberont tous deux dans une fosse». Il est impossible de voir son propre chemin et de conduire les autres, si ce n’est à la lumière de la parole de Dieu, reçue avec toute son autorité. La prétention d’être guide spirituel tout en mettant de côté les Écritures, même partiellement, n’aboutit qu’à l’égarement et à la perdition pour le conducteur et son troupeau. Ces conducteurs se sont établis eux-mêmes dans leurs fonctions; ils seront déracinés: Le Seigneur dit: «Laissez-les». Si quelqu’un ne se soumet pas à la parole de Dieu, à quoi bon discuter? «Laissez-les».

Pierre demande à Jésus d’exposer aux disciples la parabole des v. 10 et 11. Ils ne comprenaient pas encore quels étaient la source et le véritable caractère de la souillure devant Dieu, tellement ils avaient l’habitude de ne considérer que la souillure extérieure, dont on se purifiait par les lavages ordonnés par la loi, mais ce n’étaient là que des types et figures de la réalité, telle qu’elle est aux yeux de Dieu. Ce qui souille c’est le péché, et le péché vient du cœur naturel. Lorsqu’il se manifeste en paroles ou en actes quelconques, l’homme est souillé.

Le v. 19 donne une liste affreuse de tout ce qui peut sortir du cœur. Combien il faut prendre garde à cette source de corruption, afin que ses manifestations ne nous souillent pas! En tête de liste viennent les mauvaises pensées, ces actes du cœur que personne, si ce n’est Dieu, ne voit, origine de tous les péchés grossiers énumérés ensuite, qui déshonorent Dieu, avilissent et détruisent l’homme. Si Caïn avait jugé la pensée de haine qu’il avait conçue à l’égard de son frère, il ne l’aurait jamais tué. C’est pourquoi la Parole dit: «Quiconque hait son frère est un meurtrier» (1 Jean 3:15). Il est de toute importance de veiller sur son cœur. Salomon ne dit-il pas: «Garde ton cœur plus que tout ce que l’on garde, car de lui sont les issues — ou résultats — de la vie»? (Proverbes 4:23). Nous avons grand soin de ne rien mettre de souillé dans notre bouche; ayons un même soin de ne rien laisser sortir par elle des choses impures qui nous souilleraient, puisque Jésus dit que ce n’est pas ce qui entre dans l’homme qui le souille, mais ce qui sort de la bouche. La bouche est l’instrument, le cœur la source; ne mettons donc pas cet instrument au service du mal.

 

La femme cananéenne

(v. 21-28). — Jésus se retira ensuite dans le voisinage de Tyr et de Sidon. Là, comme ailleurs, la puissance du diable se faisait sentir; mais là aussi se trouvait, chez une pauvre Gentile, la foi en la puissance et en la bonté du Seigneur. Une femme cananéenne, voyant Jésus, s’écrie: «Seigneur, Fils de David, aie pitié de moi; ma fille est cruellement tourmentée d’un démon». Le Seigneur ne réplique rien; et aux disciples, qui veulent se débarrasser de cette femme en lui disant: «Renvoie-la, car elle crie après nous», il dit: «Je ne suis envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël». Elle rend néanmoins hommage à Jésus en disant: «Seigneur, assiste-moi». Il lui répond: «Il ne convient pas de prendre le pain des enfants et de le jeter aux chiens». Et elle dit: «Oui, Seigneur; car même les chiens mangent des miettes qui tombent de la table de leurs maîtres».

Si le Seigneur paraît indifférent à l’appel de cette femme, c’est afin qu’elle prenne la place qui convient à tout pécheur devant Dieu, comme n’ayant aucun droit, aucun mérite, pour recevoir ensuite une pleine réponse de la part du Dieu d’amour. Bien qu’elle appartienne à une nation qu’Israël aurait dû détruire lors de son entrée en Canaan, elle s’était adressée à Jésus comme au Fils de David, celui qui, sous ce titre, apportera la bénédiction à Israël, et sous le règne duquel les ennemis du peuple seront détruits. C’est pourquoi Jésus, venu en grâce, ne pouvait lui répondre comme Fils de David, mais, quoique venu à son peuple pour l’accomplissement des promesses, il était le Sauveur du monde, l’expression de l’amour de Dieu pour tout pécheur, dès que la foi fait appel à cet amour. En outre, au-dessus des distinctions de races et de dispensations, elle reçoit du Dieu de grâce ce que le Fils de David ne pouvait donner à une Cananéenne: «Jésus, répondant, lui dit: Ô femme, ta foi est grande; qu’il te soit fait comme tu veux. Et dès cette heure-là sa fille fut guérie». Certainement il y avait plus que des miettes qui tombaient de la table des Juifs; comme peuple, ils refusaient les mets de la table en entier, et ce refus a été le salut du monde (voir Romains 11:11, 12).

Quelle perfection dans la manière d’agir du Seigneur! Venu à Israël comme Messie, il maintient son caractère vis-à-vis des étrangers à ce peuple; mais comme Dieu en grâce visitant sa créature déchue, il ne repousse aucun de ceux qui viennent à lui en prenant la place où le péché a placé l’homme, où tous sont égaux, indignes de tout sauf du jugement. Le fils prodigue dit: «J’ai péché contre le ciel et devant toi; je ne suis plus digne d’être appelé ton fils». C’est alors que le Père le fait revêtir de la plus belle robe. Mephibosheth, aux pieds de David, s’écrie: «Qu’est ton serviteur, que tu aies regardé un chien mort tel que moi?» (2 Samuel 9:8). C’est là que David le prend pour le faire asseoir à sa table. Quel amour merveilleux! C’est parce qu’il y a des pécheurs perdus, sans aucune ressource de leur côté, qu’un Sauveur parfait est venu accomplir l’œuvre en vertu de laquelle Dieu peut faire grâce à tous.

 

Seconde multiplication des pains

(v. 29-39). — Après avoir quitté la contrée de Tyr et de Sidon, Jésus vient en Galilée où se trouvaient les pauvres, les méprisés des Juifs de Judée, mais au milieu desquels s’était levée une grande lumière (Matthieu 4:15, 16). S’étant assis sur une montagne, «de grandes foules vinrent à lui, ayant avec elles des boiteux, des aveugles, des muets, des estropiés, et beaucoup d’autres; et elles les jetèrent à ses pieds, et il les guérit», ce qui les amena à glorifier le Dieu d’Israël. Le Seigneur répond aux besoins de son peuple là aussi où se trouve la foi; il ne laisse pas sans réponse ceux qui ont des besoins, comme il le fit avec les pharisiens de Jérusalem, incrédules et hypocrites.

Accomplissant encore ce qui était dit de l’Éternel au Psaume 132: «Je rassasierai de pain ses pauvres», Jésus appelle ses disciples et leur dit: «Je suis ému de compassion envers la foule, car voici trois jours déjà qu’ils demeurent auprès de moi, et ils n’ont rien à manger; et je ne veux pas les renvoyer à jeun, de peur qu’ils ne défaillent en chemin». On voit, ici encore, de quelle manière le cœur du Seigneur prend connaissance de tous les besoins. Il a compté les jours que la foule était avec lui, et lui, qui a jeûné pendant quarante jours, sait combien le jeûne est pénible. Jamais il ne renvoie à vide ceux qui viennent auprès de lui. Il nous est précieux de savoir que Jésus est toujours le même envers chacun, aujourd’hui comme alors; la gloire qui l’environne ne lui fait oublier aucun de ses bien-aimés.

Oublieux de la scène rapportée au chapitre 14:13-21, les disciples disent à Jésus: «D’où aurions-nous dans le désert assez de pains pour rassasier une si grande foule?» Le Seigneur ne leur dit pas, comme au chapitre précédent: «Vous, donnez-leur à manger». Il demande: «Combien avez-vous de pains?» Ils répondent: «Sept, et quelques petits poissons». Après avoir commandé aux foules de s’asseoir sur la terre, il rend grâces, rompt les pains et les donne aux disciples qui les distribuent aux foules. Le repas terminé, ils ramassent sept corbeilles pleines des morceaux qui étaient de reste. Ceux qui avaient mangé étaient quatre mille hommes, sans compter les femmes et les enfants.

Dans la précédente multiplication des pains, il y avait cinq pains, douze corbeilles de reste et cinq mille hommes. Ici, il y a sept pains, sept corbeilles et quatre mille hommes. Le nombre douze, dans les Écritures, est employé plutôt en rapport avec l’administration confiée à l’homme: douze tribus, douze disciples. La première multiplication rappelle la responsabilité de l’homme, ce que le Seigneur confiait aux disciples: «Vous, donnez-leur à manger». Ils avaient pour cela de faibles ressources, mais plus que suffisantes, puisque le Seigneur les leur fournissait. Dans notre chapitre, le Seigneur agit selon sa puissance divine; c’est le côté de Dieu qui est présenté; c’est pourquoi il y a sept pains et sept corbeilles, sept dans les ressources et sept dans les restes, le nombre sept signifiant la perfection; le nombre quatre indique quelque chose de complet.

On voit, par ces détails, combien la parole de Dieu est parfaite dans toutes les expressions qu’elle emploie. S’il y a des choses qui nous sont incompréhensibles, c’est parce que nous sommes trop ignorants en présence des perfections de la révélation divine.