Joël

Henri Rossier

Introduction

Joël est exclusivement un prophète de Juda et de Jérusalem, différant en cela d’Osée qui, sans laisser Juda hors du cercle de sa vision, prophétisait au sujet d’Israël. Le dernier chapitre de notre prophète nous en fournit la preuve. Nous y trouvons le rétablissement des «captifs de Juda et de Jérusalem» (v. 1), les fils de Juda et de Jérusalem vendus aux étrangers (v. 6), et leur rendant la pareille (v. 8); le repeuplement définitif de Juda et de Jérusalem (v. 20). Partout le prophète insiste sur les bénédictions futures accordées à Jérusalem (2:32; 3:16, 17, 18, 19, 20); partout il mentionne le temple, la maison de l’Éternel (1:9, 13, 14, 16; 2:17) et la montagne de Sion (2:1, 15, 23, 32; 3:17). Telle est donc l’empreinte particulière de ce livre.

Cela est d’autant plus remarquable que, dans Joël, l’ennemi le plus en vue est l’Assyrien, dont l’invasion et la destruction finale remplissent tout le second chapitre de notre prophète1. Or l’Assyrien historique est l’ennemi des dix tribus et l’agent de leur ruine et de leur dispersion définitive. Vis-à-vis de Juda, ou plutôt de Jérusalem (voyez l’histoire d’Ézéchias), il joue le rôle d’un ennemi vaincu et ne réussit pas à s’emparer de la ville, tandis que le grand ennemi de Jérusalem et l’agent de sa ruine est Nebucadnetsar, roi de Babylone (voyez Jérémie). Or Babylone est entièrement passée sous silence dans notre prophète. Il faut en tirer la conclusion que l’Assyrien de Joël n’a pas de rapport immédiat avec l’Assyrien historique et ses invasions successives, avec cet Assyrien dont les attaques remplissent à son déclin, l’histoire des dix tribus et la prophétie d’Osée. Joël nous occupe donc d’un Assyrien prophétique dont l’Assyrien historique, lequel, du reste, semble avoir été encore un ennemi futur au temps de Joël, n’est qu’un pâle reflet. Gog, l’Assyrien prophétique, occupera sans doute les mêmes territoires que l’Assyrien d’autrefois, mais son domaine sera infiniment plus étendu, car ce grand et formidable ennemi de la fin réunira sous son sceptre presque toutes les nations de l’Asie, et c’est à lui, à Gog, que les prophéties nombreuses qui nous parlent de l’Assyrien historique nous reportent sans cesse. Comme donc le prophète Joël nous occupe exclusivement de Juda et de Jérusalem, le centre de sa prophétie nous présente l’Assyrien comme l’ennemi futur de Jérusalem. Ajoutons néanmoins qu’au chap. 3, toutes les nations sont comprises avec lui dans le jugement final des peuples.

1 «Tout le chapitre», selon la Bible hébraïque, où le chap. 3 commence au chap. 2:28 de nos versions ordinaires.

À cette seconde remarque s’en rattache une troisième: Un fait particulier distingue Joël de tous les autres prophètes. Ne traitant que d’un ennemi futur, il n’assigne aucune date historique à sa prophétie.

Nous n’y trouvons, en effet, ni la mention des rois sous le règne desquels Joël prophétise, comme on le voit dans la plupart des prophètes; ni même des allusions à certains événements qui font date dans l’histoire, comme en Ézéchiel, Abdias, Jonas, Nahum, Habakuk et Malachie. Sous ce rapport, Joël est isolé au milieu de tous les voyants. Nous ne savons pas quand eut lieu la calamité, mémorable cependant, dont le premier chapitre nous entretient. Le fameux tremblement de terre, autre événement, appartenant, comme celui-ci, à l’ordre des phénomènes naturels, a pour date les jours d’Ozias (Amos 1:1; Zach 14:5); mais les invasions successives des sauterelles à si brève échéance, et la famine qui les accompagna, ne sont mentionnées nulle part. On a prétendu que ces plaies étaient des figures des quatre invasions de l’Assyrien sur le territoire d’Israël, invasions auxquelles le prophète aurait assisté. Rien n’est moins prouvé, et nous ne craignons pas de dire que, s’il en était ainsi, le caractère de la prophétie de Joël en serait gravement altéré. Le prophète voit le jugement qu’il annonce se dérouler dans un avenir éloigné. Son regard visionnaire se porte d’une calamité inouïe, mais naturelle, et qui fait penser au jour de l’Éternel, sur des événements, cachés pour longtemps encore derrière le rideau de l’avenir, et dont cette calamité est l’image. Il tire le voile; il rapproche les événements actuels de ceux de la fin, mais il saute, pour ainsi dire, par-dessus les jugements d’Israël par l’Assyrien, probablement encore futurs de son temps, mais qui sont à la veille de se produire — par-dessus les voies multiples de Dieu dans le gouvernement de son peuple, voies décrites avec une grande richesse de détails dans le prophète Osée; pour arriver, d’un seul bond, en plein dernier jour, à la grande journée de l’Éternel.

En effet (et c’est ici notre quatrième remarque), toute la prophétie de Joël est restreinte au jour de l’Éternel et pourrait même porter ce titre. Nous aurons’ l’occasion de revenir en détail sur ce sujet dans le cours de cette étude. Il suffit de remarquer ici que le jour de l’Éternel est un jour de jugements manifestes et multiples, jugements sans lesquels l’accès aux bénédictions millénaires ne pourrait être ouvert. Ces jugements manifestes sont précédés de jugements providentiels qui, sans être le jour de l’Éternel, en donnent un avant-goût. Tel, le chapitre 1 de notre prophète, telle aussi la suite d’événements que le monde traverse au moment où nous écrivons ces lignes. Le but de tous les jugements de la fin est:

1° De glorifier le nom de Dieu qui a été déshonoré par la conduite des hommes, et ici en particulier d’Israël, son peuple terrestre.

2° D’abaisser l’orgueil des nations qui s’élèvent contre Lui (Abdias 15; Ésaïe 2:12-19), et d’apprendre la justice aux «habitants du monde» (Ésaïe 26:9). Aussi ce jour est-il terrible sur ceux qui ont péché contre l’Éternel (Soph. 1, 14-18). C’est un jour de destruction (Ésaïe 13:6-9), de vengeance (Ésaïe 61:2; 63:4; Jérémie 46:10), de colère (Soph. 2:2), de ténèbres (Amos 5:20). Ces jugements de la fin sont exercés par l’Éternel lui-même; c’est pourquoi ce jour est appelé le jour de l’Éternel. Or c’est le Christ qui est l’Éternel, car Dieu «a établi un jour auquel il doit juger en justice la terre habitée, par l’homme qu’il a destiné à cela, de quoi il a donné une preuve certaine à tous, l’ayant ressuscité d’entre les morts» (Actes 17:31). — Ces jugements atteignent la terre habitée tout entière (Apoc. 3:10), comme nous le voyons dans tout le cours de l’Apocalypse; seulement, quand nous abordons le prophète Joël, nous constatons d’emblée qu’ils ne dépassent pas, dans ce prophète, le cercle très restreint de Juda et de Jérusalem, et se meuvent dans le même cadre que les chapitres 12 à 14 du prophète Zacharie1.

1 Voyez le livre de Zacharie le prophète, par H. Rossier.

3° N’oublions pas toutefois que les conseils de l’Éternel ne se limitent jamais à ses jugements et vont toujours au-delà. Les jugements de Dieu au dernier jour ont pour troisième but de délivrer son peuple terrestre, Israël, lequel ne peut être affranchi que de cette manière du joug des nations qui le foulent aux pieds. Le terrible jour de l’Éternel aura pour résultat final d’amener les hommes qui auront traversé les jugements, dans la jouissance des bénédictions du règne millénaire de Christ. Il n’en est pas tout à fait de même dans le Nouveau Testament. On peut remarquer dans la deuxième épître de Pierre, qui traite spécialement de ce sujet, au chapitre 3:10-13, que «le jour du Seigneur» (identique au «jour de l’Éternel») dépasse le règne millénaire et nous conduit jusqu’à la dissolution de toutes choses, ce que l’Ancien Testament ne fait jamais. Dans cette deuxième épître de Pierre, le millénium n’est pas compté comme faisant partie du jour du Seigneur; on est libre de l’y intercaler, pour ainsi dire, comme une parenthèse, après laquelle le jour du Seigneur reprend son cours, et alors «la terre et les œuvres qui sont en elle» sont brûlées entièrement, pour faire place au «jour de Dieu», aux nouveaux cieux et à la nouvelle terre, «dans lesquels la justice habite» (2 Pierre 3:10-13). C’est donc à l’apparition du jour de Dieu que le jour du Seigneur prend fin dans le Nouveau Testament, tandis que dans l’Ancien Testament le jour de l’Éternel prend fin au millénium. Jamais la vision prophétique de l’Ancien Testament ne va jusqu’au jour de Dieu; et l’éternité n’y dépasse pas le règne millénaire de Christ sur la terre, appelé un règne éternel, par la simple raison que c’est l’Éternel qui règne.

Joël nous montre, mais d’une manière très restreinte, les trois buts des jugements de Dieu dont nous venons de parler. L’Assyrien seul y est la verge de Dieu contre Juda et Jérusalem qui ont déshonoré l’Éternel. Quand Son but est atteint, Dieu détruit cet ennemi, parce que la cognée s’était glorifiée contre Celui qui s’en servait (Ésaïe 10:15), et juge, du même coup, toutes les nations qui sont montées contre Jérusalem (Joël 3). Le peuple entre enfin dans la bénédiction finale par le chemin de la repentance.