Juges

Chapitre 19

Le lévite d’Éphraïm

Les chap. 17-18 nous ont présenté l’état religieux d’Israël et l’influence exercée sur lui par la classe pseudo-sacerdotale. Cette soi-disant sacrificature, religieusement corrompue, entretenait dans le peuple la corruption religieuse. Si les scènes qui commencent au chap. 17, appartiennent, comme nous l’avons vu, au temps qui précède les juges, leur transposition était nécessaire pour établir à nos yeux, comme en un tableau, la gradation solennelle du mal en Israël. C’est un peu la marche suivie par l’Esprit de Dieu dans l’évangile de Luc, où les faits sont groupés hors de leur date, pour donner une impression d’ensemble à certaines vérités morales.

Samson, le dernier des juges, invoquait encore l’Éternel en certaines circonstances mémorables de sa vie, le lévite de Juda ne l’invoque plus que sur la tête de ses images et de ses théraphim; le lévite d’Éphraïm, dont nous allons considérer l’histoire, ne l’invoque, hélas! plus du tout. L’Éternel semble ne plus exister pour lui; cependant cet homme est un lévite et fait partie d’une race mise à part pour le service de l’Éternel, de la sacrificature et de la maison de Dieu.

Au chap. 19, nous trouvons les rapports du lévite d’Éphraïm, non plus avec l’état religieux mais avec l’état moral du peuple. Ce dernier est pire encore que le premier. La femme que le lévite avait prise, le quitte après lui avoir été infidèle. Il court après elle, comme son cœur le mène et, faisant ce qui lui semble bon, s’unit à cette femme prostituée. Cela satisfait le père de cette dernière, qui voit dans l’action du lévite la réhabilitation de sa fille. Hélas! cet acte est aussi, sans qu’il s’en doute, la justification du mal et une sanction de la souillure, d’autant plus grave qu’elle a pour garant le caractère sacré de cet homme. Le père retient son beau-fils, car plus il reste, plus la réhabilitation devient publique et éclatante. Le monde nous montre son amabilité dans la proportion où nous servons ses intérêts; l’alliance avec la famille de Dieu ne lui est point contraire. Le lévite se laisse attarder dans ce chemin. N’ayant pas Dieu et n’ayant que sa conscience pour se diriger, il se laisse influencer par d’autres, manque l’occasion et tombe dans le malheur.

Cet homme qui s’allie à une prostituée ne voudrait pas entrer chez les Jébusiens. Il en est parfois ainsi du chrétien. Il craint de s’associer extérieurement au monde, tandis que chez lui les sources intérieures sont impures. On peut être très strict quant à sa marche publique, très relâché quant à la sainteté individuelle. «Nous ne nous détournerons pas vers une ville des étrangers, qui n’est pas des fils d’Israël» (v. 12). Le lévite est plus attaché à son peuple qu’à l’Éternel, ou plutôt ce dernier n’entre pas même en ligne de compte. Fuyant les Jébusiens par orgueil national plus que par piété, il semblerait à l’entendre que ce qui vient d’Israël ne peut être que bon, alors qu’Israël a déjà outrageusement abandonné l’Éternel. Ces principes n’ont pas changé et caractérisent autant notre ruine que celle de l’ancien peuple. On vante n’importe quelle secte de la chrétienté en contraste avec les nations idolâtres, quand déjà la chrétienté elle-même est devenue le repaire de toute corruption morale et religieuse. Le lévite va s’apercevoir qu’il n’est pas reçu au milieu d’un peuple auquel Dieu avait recommandé expressément de ne pas délaisser le lévite (Deut. 12:19). La profession corrompue n’offre pas d’abri au serviteur de l’Éternel (je ne parle pas ici du caractère moral de cet homme). On voit au v. 18, les sentiments que de pareils procédés font naître dans le cœur du lévite. «J’ai à faire avec la maison de l’Éternel, et il n’y a personne qui me reçoive dans sa maison». Un étranger isolé, qui séjourne au milieu de la corruption de Guibha et en a conscience, comme Lot de celle de Sodome, car il dit: «Mais ne passe pas la nuit sur la place» (v. 20), reçoit le voyageur dans sa maison. Alors une chose affreuse arrive. Les passions impures des hommes qui portent le nom de l’Éternel égalent en horreur celles de la ville maudite. De telles choses ont lieu en Israël, bien pires que l’histoire de Lot, car, comme les mouches mortes font puer le parfum, la corruption du peuple de Dieu est la pire des corruptions. Aussi ne voyons-nous pas des anges intervenant pour délivrer le juste. L’hôte du lévite parle comme Lot à la porte, acceptant un mal pour en éviter un pire. C’est nécessairement le principe d’action des croyants qui demeurent au milieu du monde. Dieu préserve cet homme de voir sa maison souillée par ces infâmes, mais lui ne voyait pas d’autre chemin. Le lévite livre sa femme à l’opprobre. Cette issue pouvait être évitée par un appel à Dieu, par le souvenir de sa protection aux jours d’autrefois. Ne pouvait-il pas, comme jadis, frapper ce peuple d’aveuglement? Mais nul cri d’angoisse ne monte vers lui; du cœur du lévite à l’Éternel il n’y a pas de chemin.

La misérable femme, revenue de sa prostitution première, sans repentance ni travail de conscience, meurt des épouvantables suites de ce qu’elle avait convoité jadis. Dieu laisse le mal s’accomplir, mais, comme les chapitres suivants nous l’apprendront, de ce mal atroce il va tirer sa gloire.

La parole de Dieu nous présente deux grands sujets. D’une part, ce qu’est Dieu; de l’autre, ce qu’est l’homme. Jamais Dieu ne cherche à voiler la condition de l’homme, car s’il le faisait, il ne serait pas le Dieu qui est lumière, et sa Parole serait faussée dans ses deux éléments. Quant à l’homme, Dieu nous le dépeint indifférent, aimable ou religieux selon la nature, violent ou corrompu, égoïste toujours, hypocrite, impie, apostat; sans loi, sous la loi, sous la grâce, et cela dans toutes les circonstances et à tous les degrés — comme aussi Dieu nous montre le travail de la grâce, sous toutes ses formes et à tous ses degrés, dans le cœur de l’homme. Nous obtenons ainsi un tableau divin de notre état, et nous sommes forcés de conclure que nous sommes sans ressource en nous-mêmes, et qu’il n’y a de ressource que dans le cœur de Dieu.