Juges

Chapitre 11

Jephthé et sa fille

Les v. 1-11 introduisent le libérateur. Il porte la marque de cette infirmité constatée si souvent au cours de ce livre. Jephthé, le Galaadite, était «un fort et vaillant homme», mais d’origine impure, un fils de prostituée, qui avait lieu de rougir en pensant à sa mère. Cependant Dieu se sert de lui, bien plus, nous présente par son moyen quelques-uns des caractères de Christ. Rappelons-nous que l’histoire des croyants n’a de valeur que si elle reproduit un trait ou l’autre de l’image du Sauveur. L’histoire de Jephthé nous embarrasse et nous offre peu d’édification, si nous n’y cherchons pas ce qui manifeste le caractère de Dieu. La Parole qui nous montre, d’une part, l’homme naturel, entièrement éloigné de Dieu, nous décrit aussi toutes les faiblesses et les misères d’hommes de foi tels que Jephthé; mais Dieu nous donne plus que cela dans leur histoire, il nous présente Christ. Voilà ce qui les rend si intéressants pour nous. Nous découvrons aisément les défauts de nos frères; mais nous devrions nous intéresser davantage à la manière dont Dieu les pétrit et les façonne, pour susciter, malgré tout, des témoins à Christ. Jephthé, dont l’origine a quelque analogie avec celle d’Abimélec, est en contraste absolu avec cet homme impie. Abimélec cherche dès le début à s’élever et usurpe la place de la famille légitime de Gédéon. Jephthé, abstraction faite de son origine, l’aîné de la famille, est repoussé par ses frères: «Tu n’auras point d’héritage dans la maison de notre père; car toi, tu es fils d’une autre femme» (v. 2). Cela ne rappelle-t-il pas la parole: «Nous ne voulons pas que celui-ci règne sur nous» (Luc 19:14). «Et Jephthé s’enfuit de devant ses frères, et habita dans le pays de Tob» (v. 3). Jephthé se laisse dépouiller, s’abaisse au lieu de tenir tête aux méchants, abandonne tous ses droits, et s’en va dans un pays étranger. Mais Dieu sait le retrouver et le ramener sur la scène. Le moment arrive où ceux qui avaient chassé leur libérateur sont obligés de se jeter en suppliants à ses pieds. «N’est-ce pas vous», dit Jephthé aux anciens de Galaad, «qui m’avez haï et qui m’avez chassé de la maison de mon père?» (v. 7). Ce même sauveur qu’ils ont bafoué, ils sont obligés, comme jadis les frères de Joseph, de le reconnaître dans le pays éloigné et, faisant appel à lui dans leur détresse, lui demandent de devenir leur chef. Jephthé ne consent pas à prendre ce titre avant la victoire (v. 9). Il en sera de même de Christ, reconnu publiquement chef d’Israël par son triomphe sur leurs ennemis. Il est beau de voir dans cet homme, méprisé du monde, mais supportant son mépris, ce faible tableau du Messie, car on peut dire que c’est en représentant Christ qu’il fut estimé digne de conduire le peuple de Dieu.

Les fils d’Ammon étaient, en ce temps-là, ennemis jurés d’Israël. Les pires adversaires du peuple de Dieu descendent toujours des croyants selon la chair. Madian, que combat Gédéon, provient d’Ismaël, semence d’Abraham selon la chair; Moab et les fils d’Ammon sont sortis de Lot, Édom est le fils charnel d’Isaac. Il y en a d’autres, sans doute, tels que Jabin sous Barak, et les Philistins sous Samson, mais nous disons que nos ennemis les plus acharnés sont issus de nos manquements ou de notre chair. Ce qui s’oppose le plus au témoignage et à la vie spirituelle de l’Église, c’est l’amer produit de son infidélité, se réclamant du nom de Christ, mais dont l’existence idolâtre, étrangère à la vie divine, dont l’inimitié et les ruses, resteront jusqu’au bout l’humiliation, le châtiment et le piège du peuple de Dieu.

Les fils d’Ammon, profitant de l’état d’abaissement d’Israël pour s’élever contre lui, cherchent à le dépouiller du territoire qui lui appartient, de ses privilèges, et à se les approprier. Qu’avait donc profité au peuple son agenouillement devant les idoles d’Ammon? Il était tombé sous le jugement de Dieu et entre les mains des ennemis de l’Éternel. Si nous prenons place avec le monde, il nous dépouille, nous fait perdre la réalité de nos privilèges et s’en empare. Une terrible confusion en résulte. Le monde nous dit alors: J’ai autant de droits, je suis aussi bon chrétien que vous, car vous montrez la même activité que moi pour les choses de cette terre. «Israël a pris mon pays... Maintenant, rends-moi ces contrées en paix» (v. 13). Telle est la conséquence de notre propre infidélité.

Dans ces circonstances, un réveil produit des effets remarquables. Jephthé ne nie pas l’état d’abaissement du peuple, mais, parlant aux fils d’Ammon, remonte à l’origine des bénédictions d’Israël (v. 15-27). Loin de s’accommoder à cet état de choses, en acceptant le joug d’Ammon qui avait pesé pendant dix-huit ans sur le peuple, il se fonde sur les bénédictions premières d’Israël, au jour où ils sortirent d’Égypte pour entrer en Canaan. Il maintient les bénédictions sur lesquelles le peuple était établi. Nous marcherons, dit-il, selon les principes que Dieu nous a donnés au début et qui restent nôtres à toujours. Il voit le peuple, la famille de Dieu, tel que Dieu l’a reconnue au commencement, et dit: Notre combat n’est pas avec les fils d’Ammon, mais avec les Amoréens. Il en est de même pour l’Église. Sa lutte est avec les puissances spirituelles dans les lieux célestes (Éph. 6), comme celle d’Israël avec les Cananéens. Nous ne sommes pas aux prises avec les mélanges religieux sortis de la chair, sinon pour ne les reconnaître ni comme amis, ni comme ennemis, et pour ne les combattre que s’ils nous y obligent. Notre parole doit être celle de Jephthé: Nous garderons le pays que l’Éternel nous a donné (v. 24).

Jephthé ayant parlé de la sorte, une bénédiction nouvelle lui fut octroyée: «L’Esprit de l’Éternel fut sur lui» (v. 28). La puissance de Dieu se trouvait dans le chemin qu’il suivait. Ne pas nous conformer à la ruine, comme si Dieu pouvait l’accepter, et agir sur les principes que Dieu nous a confiés au commencement, tel est le chemin de la puissance, alors même que nous serions réduits au nombre de deux ou trois rassemblés à son nom.

«L’Esprit de l’Éternel fut sur Jephthé». Hélas! comme cela nous arrive souvent, la chair se montre aussi chez lui. Il ne se contente pas de la grâce et de la puissance divines. Ignorant le vrai caractère de Dieu, «il voue un vœu à l’Éternel» (v. 30), fait un arrangement avec Dieu, sur le pied d’une convention réciproque, et se liant devant lui sur un principe de loi, retombe dans la faute d’Israël au désert de Sinaï: «Si tu livres en ma main les fils d’Ammon, il arrivera que ce qui sortira des portes de ma maison à ma rencontre, lorsque je reviendrai en paix des fils d’Ammon, sera à l’Éternel, et je l’offrirai en holocauste» (V. 3 1).

Dieu, laissant Jephthé à la responsabilité et aux conséquences de son vœu, ne proteste pas, ni n’entre dans cet accord. Le ciel semble fermé à la voix du conducteur d’Israël. Cependant, l’Esprit de l’Éternel lui fait remporter la victoire.

Jephthé rentre à Mitspa dans sa maison, et voici, sa fille sort à sa rencontre avec des tambourins et des danses. «Elle était seule, unique». (v. 34). Ces mots nous rappellent plus d’un passage de l’Écriture. Dieu dit à Abraham: «Prends ton fils, ton unique, celui que tu aimes, Isaac». (Gen. 22:2). Mais Abraham sacrifie son fils «par la foi», sur l’ordre de Dieu, Jephthé offre sa fille par un acte volontaire, qui n’est qu’un manque de foi. Ces mots «seul, unique», nous rappellent encore un plus grand qu’Isaac. Comme Jephthé à ses débuts, sa fille reproduit ici d’une manière touchante quelques traits du caractère de Christ. Lorsque la foi manque chez le père, elle brille chez sa pauvre enfant. On la voit, cette fille seule, unique, vouée d’avance au sacrifice par un vœu téméraire (Christ le fut, au contraire, par le conseil défini et par la préconnaissance de Dieu), on la voit se soumettre, au lieu de se rebeller et de blâmer son père. «Mon père», dit-elle, «si tu as ouvert ta bouche à l’Éternel, fais-moi selon ce qui est sorti de ta bouche, après que l’Éternel t’a vengé de tes ennemis, les fils d’Ammon» (v. 36). Elle se soumet à cause de l’Éternel, pâle reflet, sans doute, de Celui qui dit: «Je viens pour faire, ô Dieu, ta volonté». Elle ne compte sa vie pour rien, en vue de la victoire: «après que l’Éternel t’a vengé de tes ennemis», et consent à être sacrifiée pour elle. Aucune pensée d’elle-même ne l’arrête. Belle abnégation de la foi qui ne regarde qu’à Dieu! Elle souffre encore d’une chose, bien cruelle pour toutes les femmes de foi en Israël. Leur désir était d’être mères d’une postérité qui pût entrer dans la lignée du Messie. Mais cette fille unique consent à être retranchée de la scène, comme une femme stérile. «Je descendrai sur les montagnes, et je pleurerai ma virginité, moi et mes compagnes» (v. 37). Quelque beau que soit ce dévouement, combien celui du Seigneur Jésus le dépasse! En vue du salut, lui, à qui tout appartenait, consentit à être retranché, «n’ayant rien». Abandonnant toutes ses prérogatives de Messie, tous ses droits comme Fils de Dieu et Fils de l’homme, il a renoncé à sa postérité, afin d’obtenir une meilleure victoire que lui seul pouvait remporter. Il a laissé sa vie, mais «il se verra de la postérité» et «l’Éternel fera subsister sa semence à perpétuité» (Ps. 89:30).

En vérité, cette fille d’Israël reproduit, bien faiblement sans doute, quelque perfection de la personne de Christ. Sa foi simple brille et se soumet à la volonté de Dieu. Elle consent à être offerte en holocauste, comme Celui qui fut sacrifié plus tard, non pas comme elle, pour confirmer la victoire, mais pour obtenir une meilleure délivrance. Prenons exemple sur la fille de Jephthé; apprenons à nous oublier, en nous offrant à Celui qui fut sacrifié pour nous, à mourir «dans la foi, n’ayant pas reçu les choses promises», sans obtenir un résultat apparent de notre travail, mais satisfaits d’avoir été la lettre de Christ au milieu des hommes, et ses représentants, à sa gloire et à l’honneur de Dieu!