Juges

Chapitre 4

Debora et Barak

Jusqu’ici le jugement de Dieu avait livré les Israélites infidèles entre les mains des ennemis du dehors1; une nouvelle infidélité porte pour le peuple des conséquences plus graves encore. Un terrible adversaire, Jabin, roi de Canaan, qui régnait à Hatsor (v. 2), asservit Israël et l’opprime avec neuf cents chars de fer. Au chap. 11 de Josué, nous trouvons un ancêtre de ce Jabin avec des chars de guerre et la même capitale. En ce temps-là, Israël, sous l’action puissante de l’Esprit de Dieu, comprit qu’il ne pouvait y avoir aucun rapport quelconque entre lui et Jabin. Il l’anéantit, après avoir brûlé ses chars au feu et détruit sa capitale. En effet, quelle relation le peuple de Dieu pouvait-il avoir avec le monde politique et militaire, dont le domaine devait être rayé de la carte de Canaan? Hélas! tout est changé maintenant; Israël infidèle est tombé sous le gouvernement du monde. On voit l’ennemi d’autrefois ressuscité de ses cendres, Hatsor réédifié dans les limites de Canaan, l’héritage du peuple devenu le royaume de Jabin! L’histoire de l’Église nous offre un fait semblable: d’abord, une position d’entière séparation du monde et, par conséquent, nulle pensée de souffrir que ce dernier prît une part dans le gouvernement de l’Assemblée. Un jour, l’état charnel de l’assemblée de Corinthe l’avait conduite sur cette pente. Quelqu’un d’entre eux, lorsqu’il avait une affaire avec un autre, était entré en procès devant les incrédules et non devant les saints (1 Cor. 6). «Ne savez-vous pas que les saints jugeront le monde?» dit l’apôtre; et, les reprenant, il ajoute: «Je parle pour vous faire honte!» Mais quel chemin l’Église a-t-elle suivi dès lors? Actuellement, c’est le monde qui la gouverne. «Je sais», dit le Seigneur à Pergame, «où tu habites, là où est le trône de Satan» (Apoc. 2:13). Même aux jours du grand réveil de la Réformation, on vit les saints recourir aux gouvernements du monde et s’appuyer sur eux. Aujourd’hui, les chrétiens persécutés, au lieu de se réjouir dans les souffrances pour Christ, revendiquent la protection des chefs et des puissants d’ici-bas. Le jugement sur le Hatsor de Josué, n’est plus qu’un souvenir. Israël a servi les dieux des Cananéens, après avoir pris leurs filles pour femmes, et donné ses filles à leurs fils (3:5-6). Cette alliance a porté ses fruits: Jabin opprime le peuple, forcé, bon gré mal gré, de souffrir son gouvernement.

1 J’en excepte les Philistins sous Shamgar, le court récit de la fin du chap. 3 n’étant qu’un épisode, comme le prouve le verset 1 de notre chapitre, où l’histoire générale est reprise, non pas à la mort de Shamgar, mais à celle d’Éhud.

Or ce n’est pas le seul caractère du pauvre état d’Israël en ces jours néfastes. Si le gouvernement extérieur du peuple était tombé entre les mains de son ennemi, qu’était devenu le gouvernement intérieur? Confié aux mains d’une femme! La parole de Dieu nous enseigne qu’au début, le gouvernement de l’Église fut remis à des anciens établis à cet effet par les apôtres ou leurs délégués, sous la conduite du Saint Esprit. L’ordre de l’assemblée et tout ce qui s’y rapportait tombait à leur charge et à celle des serviteurs. Aujourd’hui, sans parler de la pauvre imitation que les hommes ont faite de cette institution divine, quand l’infidélité de l’Église l’en avait privée, y aurait-il de l’exagération à dire qu’une tendance à placer tout ou partie du gouvernement entre les mains des femmes, semble s’accentuer de plus en plus parmi les sectes de la chrétienté? Et l’on s’en vante! Et des chrétiens osent écrire et chercher à prouver qu’il en doit être ainsi, que la chose est selon Dieu et prouve un état florissant de l’Église! Ils citent Debora à l’appui de leur dire. Voyons ce qu’était Debora.

Debora était une femme remarquable, une femme de foi, ayant le sentiment profond de l’état humiliant du peuple de Dieu. Elle voit une honte pour les conducteurs d’Israël, dans le fait que Dieu confie une position d’activité publique à une femme au milieu du peuple. Elle dit à Barak: J’irai bien avec toi; seulement ce ne sera pas à ton honneur dans le chemin où tu vas, car l’Éternel vendra Sisera en la main d’une femme» (v. 9).

Mais tout en ayant et en exerçant une autorité de la part de Dieu, à la confusion de ce peuple efféminé par le péché, Debora conserve dans ces circonstances, qui pourraient devenir pour elle un grand piège, la position divinement assignée par la Parole à la femme. Elle ne serait pas une femme de foi sans cela. Ce chapitre nous relate l’histoire de deux femmes de foi, Debora et Jaël. Or chacune garde le caractère donné de Dieu à la femme. Où est-ce que Debora exerce ses fonctions? La voit-on, comme d’autres juges, parcourir le territoire d’Israël ou se mettre à la tête des armées? Rien de semblable et ce n’est pas sans raison, me paraît-il, que la Parole nous dit: «Elle habitait sous le palmier de Debora...» «et les fils d’Israël montaient vers elle pour être jugés» (v. 5). Toute prophétesse et juge qu’elle était en Israël, elle ne quitte pas le domaine que Dieu lui assigne. C’est là où elle habite qu’elle fait appeler Barak, au lieu d’aller à lui.

Barak est un homme de Dieu et compté par la Parole parmi les juges d’Israël. «Le temps me manquera si je discours de Gédéon, de Barak et de Samson et de Jephté» (Héb. 11:32). Mais Barak est un homme sans caractère, sans énergie morale, sans confiance en Dieu. Ne vous attendez pas à voir, en un temps de ruine, les instruments que Dieu emploie posséder en leurs mains l’ensemble des ressources divines. Ce n’est pas seulement que le nombre des ouvriers est petit, mais combien les dons de l’Esprit sont peu accentués aujourd’hui, comme leur absence même est cruellement ressentie parmi les chrétiens! Son manque de caractère fait désirer à Barak d’être l’aide de la femme, alors que la femme, selon Gen. 2:18, était l’aide de l’homme. Il rabaisse le ministère que Dieu lui a confié, et ce qui est pire, il cherche à faire sortir Debora de sa position de dépendance comme femme. «Si tu vas avec moi, j’irai; mais si tu ne vas pas avec moi, je n’irai pas» (v. 8). «J’irai bien avec toi», répond-elle. Elle peut le faire, sans sortir de sa position scripturaire. En d’autres temps, les saintes femmes allaient avec le Seigneur Jésus, cheminaient avec lui, se faisant ses servantes pour pourvoir à ses besoins. L’acte de Debora était bon, mais le motif de Barak était mauvais, et Debora le reprend sévèrement (v. 9). Quel était au fond le motif de Barak? Il voulait bien dépendre de Dieu, mais non pas sans appui humain et visible. Le monde chrétien est rempli de telles âmes. La réalisation de la présence de Dieu est si misérable, la connaissance de sa volonté si faible, la marche si peu assurée, que, pour marcher dans le chemin de Dieu, on préfère se confier en cet intermédiaire plutôt que de dépendre uniquement et directement de Dieu. On a des «directeurs de conscience», dont on suit les avis, au lieu d’avoir le Seigneur, son Esprit et sa Parole pour guides. Que devient-on si le conducteur se trompe? tandis que Dieu, le Seigneur, son Esprit, sa Parole, sont infaillibles! La fidèle Debora n’engage pas Barak dans ce faux chemin; Barak porte les conséquences de son manque de foi.

Il monte avec son armée, et Debora avec lui. Héber, un de ces Kéniens dont nous avons parlé au chap. 1, avait trouvé bon de se séparer de sa tribu en ces temps troublés et était allé dresser sa tente ailleurs (v. 11). Or «il y avait paix entre Jabin, roi de Hatsor et la maison de Héber, le Kénien» (v. 17).

L’acte de Héber pouvait-il être un acte de foi? Je ne le pense pas. Il se séparait du peuple humilié, agissait comme s’il secouait de ses épaules la responsabilité du triste état d’Israël1. Bien plus, il était en paix avec l’ennemi avoué de son peuple, et il avait fait en sorte de ne pas être inquiété par Jabin. Mais une faible femme demeurait sous la tente de Héber. Celle-là ne voulait pas d’une sécurité achetée à ce prix et ne reconnaissait pas l’alliance avec l’ennemi de sa nation. Son cœur était sans partage avec Israël. Barak remporte la victoire, et Debora, la femme de foi, cette mère en Israël, n’y joue aucun rôle. L’armée de Sisera est défaite; le chef lui-même, obligé de s’enfuir à pied, arrive à la tente de Jaël, croyant y trouver une demeure hospitalière. Jaël le cache; il demande à boire de l’eau, elle lui donne du lait, une meilleure boisson. Elle ne le traite pas, dès le début, comme un ennemi et use de grâce envers lui, mais en présence de l’ennemi de son peuple, elle est impitoyable. Son instrument pour délivrer Israël ne vaut pas même celui de Shamgar, car elle n’a d’autres armes que les outils d’une femme qui garde la tente. C’est avec eux qu’elle porte le coup fatal à la tête de l’ennemi. Comme Debora, comme toute femme de foi, Jaël ne s’écarte en rien des limites de son domaine. Elle exerce son ministère vengeur dans l’intérieur de sa demeure avec les armes que la tente peut lui fournir et remporte la victoire dans cette étroite enceinte; car la femme aussi doit combattre l’ennemi, mais à la place et avec les armes spéciales que Dieu lui désigne. La foi brille ici chez les femmes. Jaël ne cherche pas un aide comme le fit Barak, elle ne dépend que de l’Éternel. Le secret de son action est entre elle et Dieu. Elle se sert de ses propres armes aussi bien qu’un homme saurait s’en servir; un seul tremblement de sa main aurait pu tout compromettre. Seule, car son mari, son protecteur naturel, est absent; seule, mais avec l’Éternel, elle combat sous sa tente, unie de cœur aux troupes rangées d’Israël. Aussi Debora, dans son cantique, dira d’elle: «Bénie soit, au-dessus des femmes, Jaël, femme de Héber, le Kénien! Qu’elle soit bénie au-dessus des femmes qui se tiennent dans les tentes!» (v. 24). Barak arrive, entre et voit la victoire de Jaël. Quel sentiment d’humiliation n’a pas dû éprouver ce capitaine, en voyant l’honneur rendu par Dieu à une femme dans un chemin où lui, chef et juge, n’avait pas voulu marcher!

1 C’est plus ou moins l’histoire de toutes les sectes de la chrétienté.

Oui, honneur à ces femmes! Dieu se servit d’elles pour réveiller les fils de son peuple au sentiment de leur responsabilité, car une fois réveillés, «ils retranchèrent Jabin, roi de Canaan». (v. 24).