Juges

Chapitre 1er

Condition d’Israël à la mort de Josué (v. 1-16)

Les v. 1 à 16 du chap. 1° servent de préface au livre des Juges. «Et il arriva, après la mort de Josué...» Ces paroles sont le point de départ du livre tout entier. Il n’est pas encore proprement question du déclin, mais de ce qui le précède. Le récit qui va suivre est dominé par le fait que Josué, type de l’Esprit de Christ en puissance, n’était plus au milieu d’Israël. De même aussi, le temps d’activité sans mélange de l’Esprit de Dieu dura peu dans l’histoire de l’Église. Sans doute, comme au temps des «anciens dont les jours se prolongèrent après Josué» (2:7), la présence des apôtres mit une digue à l’invasion du mal, mais, dans l’un et l’autre cas, la présence et l’activité de certains principes délétères faisaient pressentir l’invasion prochaine du déclin, une fois l’obstacle enlevé.

En apparence, tout allait bien au milieu d’Israël. Les tribus prennent leurs positions en face d’un monde ennemi. Elles interrogent l’Éternel, pour savoir qui montera le premier contre le Cananéen. Dieu répond: «Juda montera; voici, j’ai livré le pays en sa main» (v. 1-2). Cette parole était très claire; Juda pouvait compter implicitement sur la fidélité de Dieu à sa promesse; mais déjà nous voyons la simplicité de foi lui manquer, et sa dépendance de l’Éternel avoir plus d’apparence que de réalité. «Et Juda dit à Siméon, son frère: Monte avec moi dans mon lot, et faisons la guerre contre le Cananéen; et moi aussi j’irai avec toi dans ton lot. Et Siméon alla avec lui» (v. 3). Juda semble se défier de ses forces, mais, au lieu de regarder au Dieu d’Israël pour trouver en lui sa ressource, il la cherche en Siméon, et manque en réalité de confiance en l’Éternel. Il est vrai qu’il ne s’allie pas aux ennemis de Dieu; s’il manque de foi, il recourt à son frère Siméon, rien qu’à son frère; et cependant, sous prétexte «d’avancer l’œuvre de Dieu», nous voyons déjà poindre le principe des alliances ou associations humaines volontaires qui est devenu le principe dominant actuel de toute activité dans la chrétienté. Dieu avait-il besoin de Siméon pour donner à Juda la part de son héritage?

Le résultat de cette action commune fut magnifique en apparence; Josué 19:9, nous apprend que «la part des fils de Juda était trop grande pour eux». Mais le lot des fils de Siméon ne fut pas le meilleur, car il fut pris de ce que Juda ne pouvait conserver; ils reçurent ainsi leur héritage du superflu d’un autre, à la dernière limite méridionale du pays d’Israël, aux confins qui regardent le désert. Ce n’est pas que Dieu désavoue l’une ni l’autre tribu, car il est dit (v. 4): «L’Éternel livra le Cananéen et le Phérésien en leur main»; mais le combat entrepris sur le pied d’une alliance humaine, se ressent plus ou moins de son origine et en porte le caractère. Les alliés saisissent Adoni-Bézek, et lui coupent «les pouces des mains et des pieds» (v. 6). Était-ce donc ce que Dieu commanda jadis et ce que Josué fit aux rois de Jéricho, d’Aï, de Jérusalem, de Makkéda, et à tous les rois de la montagne et de la plaine? Non certes; cette mutilation de l’ennemi est simplement dans l’ordre des représailles humaines. C’était aussi la coutume d’Adoni-Bézek (v. 7), d’humilier ainsi son ennemi tout en le gardant à sa cour, car sa présence rehaussait la gloire du vainqueur. De pareils faits se reproduisent dans l’histoire de l’Église. Que de fois elle a fait montre de ses victoires passées pour s’exalter à ses propres yeux et se faire valoir aux yeux des autres! L’ennemi humilié a souvent une conscience plus accessible que le peuple de Dieu prospère. Frappé par Juda, Adoni-Bézek reconnaît avoir mal agi envers les rois vaincus, et se courbe sous le jugement de Dieu.

«Et Juda s’en alla contre le Cananéen qui habitait à Hébron (or le nom de Hébron était auparavant Kiriath-Arba), et ils frappèrent Shéshaï, et Akhiman, et Thalmaï. Et de là, il s’en alla contre les habitants de Debir; or le nom de Debir était auparavant Kiriath-Sépher» (v. 10-11). Josué 15:14-15, rapporte à Caleb ce que notre chapitre attribue à Juda. C’est que, dans cette occasion, Caleb, par son énergie, sa persévérance et sa foi, imprima son cachet à toute sa tribu. Tel n’était pas le caractère des premiers jours de l’Église, où tous n’étaient qu’un cœur et qu’une âme et marchaient avec une même foi vers le but. La prépondérance de la foi individuelle ressortira d’une manière bien plus évidente au cours de l’histoire des juges, suscités pour délivrer Israël; nous la retrouvons dans les réveils que Dieu produit de nos jours. Humiliante pour l’ensemble, elle est encourageante pour l’individu. Quel honneur pour Caleb, que Juda ait remporté la victoire! N’oublions pas d’autre part, que chacun de nous peut aussi contribuer à donner un cachet de faiblesse à l’ensemble du peuple de Dieu. Ah! qu’il y ait aujourd’hui beaucoup de Caleb au milieu de l’Église infidèle!

L’histoire de cet homme de Dieu nous offre un autre encouragement. La fidélité individuelle fait souche et éperonne toujours, même aux plus mauvais temps de l’Église, l’énergie spirituelle chez d’autres. Othniel, témoin de la foi de Caleb, est poussé à agir de même. Il fait sous lui ses premières armes, et s’acquiert un bon degré, car il devient le premier juge d’Israël. Mais il ne lui suffit pas d’être de la famille de Caleb; il combat pour la jouissance d’une relation nouvelle, celle de l’époux avec son épouse, et reçoit Acsa pour femme. Le chap. 15 de Josué nous raconte ce fait dans les mêmes termes, car aux temps du déclin, comme aux jours les plus prospères de l’Église, la foi individuelle jouit des mêmes privilèges, aussi complets, aussi étendus dans un cas que dans l’autre. L’Église a été infidèle et a perdu le sentiment de sa relation avec Celui qui, par sa victoire, l’avait acquise pour lui-même, mais cette relation peut être connue et goûtée aujourd’hui dans sa plénitude par chaque fidèle.

Cette union apporte à Othniel une possession personnelle dans l’héritage de celui dont il est devenu le fils. Othniel a désormais un domaine à lui. Notre part ressemble à la sienne; nous réalisons notre position céleste, lorsque nous avons pris position vis-à-vis du monde et que nos cœurs sont attachés à la personne de Christ. Toutefois ce précieux domaine ne suffit pas à Acsa. Le champ du midi serait pour elle un champ stérile, si son père ne lui donnait les fontaines qui le fructifient. Acsa obtient les sources d’en haut et celles d’en bas, comme en d’autres circonstances le fidèle, traversant la vallée de Baca, d’une part la réduit en fontaines et voit de l’autre les sources du ciel la combler de bénédictions. Acsa est une femme avide, mais avide des bénédictions de Canaan. C’est une condition affreuse que celle d’un chrétien avide du monde, mais Dieu approuve et scelle de tout son plaisir un chrétien avide du ciel. Il répond à cette avidité par des sources abondantes, par des bénédictions spirituelles qui découlent sur nous et qui coulent de nous; il répond à l’avidité du monde par des châtiments, comme celui qui tomba sur Acan quand il convoita l’interdit.

Le v. 16, qui clôt cette première division du livre, nous parle des «fils du Kénien, beau-père de Moïse». L’histoire de cette famille sortie de Madian et alliée de Moise, est pleine d’intérêt. Lorsque Jéthro, après avoir visité Israël au désert, s’en fut retourné dans son pays (Ex. 18:27), Moïse demanda à son fils Hobab de «servir d’yeux» au peuple d’Israël, pour le conduire dans les campements du désert (Nomb. 10:29-32), et, malgré son refus, ses fils firent comme Caleb, et suivirent fidèlement les marches du peuple de Dieu (Jug. 4:11; 1 Sam. 15:6). Semblables à Rahab, ces enfants d’un étranger d’entre les nations, montèrent de Jéricho, la ville des palmiers (1:16; cf. Deut. 34:3), pour être associés au sort d’Israël. Ils firent comme Ruth, en s’attachant à Juda pour ne plus le quitter. Comme Othniel, ils s’allièrent à la famille de Caleb, et dans cette famille ils eurent plus spécialement pour chef le fidèle Jahbets, le fils de douleur, qui fit des demandes intelligentes au Dieu d’Israël, et à qui l’Éternel accorda ce qu’il avait demandé. (1 Chron. 2:50-55; 4:9-10). C’est des Kéniens que descendirent les Récabites (1 Chr. 3:55; 2 Rois 10:15; Jér. 35), et quand la Parole clôt leur histoire, elle les loue comme de vrais Nazaréens au milieu de la ruine d’Israël. Mais, hélas! ce résidu fidèle, sorti d’entre les nations, joue aussi son rôle dans le livre du déclin. Nous le constaterons au chap. 4, par l’exemple d’Héber, le Kénien. Je ne puis me défendre d’appliquer cette histoire des Kéniens à l’Église sortie d’entre les nations. Elle aussi a perdu son témoignage, mais, comme les fils de Récab parmi les Israélites, un résidu fidèle au milieu de la ruine peut marcher jusqu’au bout dans une sainte séparation du mal, en obéissant à la parole que son Chef lui a transmise.

 

Ce qui caractérise le déclin (v. 17-36)

Les versets que nous avons passés en revue signalent quelques rares symptômes de décadence au milieu d’un état encore florissant du peuple; ici nous voyons en quoi le déclin proprement dit consiste. Le déclin diffère de la ruine; cette dernière est la pleine maturité du déclin, telle que le chap. 2 nous la présente. L’une et l’autre reparaissent dans l’histoire de l’Église; il suffit, pour s’en convaincre, de lire les sept épîtres de l’Apocalypse. Éphèse abandonnant son premier amour, c’est le déclin; la ruine, c’est Laodicée, obligeant le Seigneur à la vomir de sa bouche.

En quoi donc consiste le déclin? Un mot, un seul mot le caractérise: la mondanité. Ce mot signifie la communauté de cœur, de principes ou de marche avec le monde. Pour découvrir l’origine de la décadence, il faut toujours remonter là. Certes ce «garde à vous» est intelligible. Qu’il serait facile à éviter, ce piège, si le cœur des enfants de Dieu était intègre devant Lui! Mais Israël, au lieu de déposséder les Cananéens, les craint, les supporte, s’établit avec eux; l’Église, vue dans son ensemble, s’allie avec le monde. Nous verrons plus tard les résultats désastreux de cette alliance; pour le moment, la parole de Dieu se borne à établir cette vérité, qu’Israël ne se sépara pas des nations en Canaan.

Un second principe ressort de notre passage. Le déclin est un fait graduel. D’une étape à l’autre, Israël en descend la pente jusqu’au moment solennel où l’ange du Seigneur quitte sans retour Guilgal pour Bokim. Ce qui est vrai d’Israël l’est aussi de l’Église (Apoc. 2-3), l’est encore des individus. Un chrétien, après avoir marché dans la puissance du Saint Esprit, s’il donne au monde une petite place dans son cœur, sera peu à peu envahi, subjugué par cet ennemi qu’il a cessé de combattre, et finira peut-être sa carrière dans l’humiliation cuisante de la défaite.

Les chap. 19-21 de notre livre, sont la narration d’événements qui précèdent historiquement le premier chapitre. Nous reviendrons à l’occasion sur ce détail, mais je le mentionne ici pour faire ressortir un troisième principe, en apparence contradictoire du second, c’est que l’état moral du peuple était dès l’origine entièrement perdu, avant que Dieu l’eût livré à ses ennemis. De même, dans l’histoire de l’Église, à peine le dernier apôtre eut-il quitté la scène, qu’un abîme effrayant se creusa entre les principes de l’Assemblée primitive et ceux des temps immédiats qui suivirent. Les chrétiens perdirent subitement jusqu’aux notions élémentaires du salut par grâce, de l’œuvre de la croix, de la justification par la foi1.

1 Voyez à ce sujet l’important traité: Christianisme et non Chrétienté, par J.N.D.

Ces deux principes, le déclin graduel et la déchéance subite, ont pour nous une grande portée pratique. Le premier nous met en garde contre la moindre tendance mondaine: le second nous montre que, ne pouvant rien fonder sur nous-mêmes et sur le vieil homme perdu, nous n’avons qu’à le tenir pour mort sur la croix, où le jugement de Dieu l’a placé en Christ, afin que nous dépendions entièrement de Dieu et de sa grâce.

Entrons maintenant dans le détail de notre passage.

«Juda s’en alla avec Siméon, son frère, et ils frappèrent le Cananéen qui habitait à Tsephath, et détruisirent entièrement la ville; et on appela la ville du nom de Horma», qui signifie: «entière destruction». Ce fait est remarquable et rappelle le livre de Josué. Juda rejette toute alliance, toute communion avec le Cananéen. Les villes fortes des Philistins sont conquises. «Et l’Éternel fut avec Juda». Mais pourquoi ce dernier ne prit-il possession que de la montagne? Pourquoi ne pas déposséder les habitants de la vallée? Hélas! il craint leurs «chars de fer». En apparence, défiant de ses forces, Juda s’était allié avec Siméon, et c’était, nous l’avons vu, se défier de Dieu en une mesure. La crainte de la puissance du monde suit le manque de confiance en la puissance de Dieu. N’avaient-ils pas jadis, en un jour de victoire, brûlé au feu les chars de Jabin? (Jos. 11:4, 6, 9). Dieu n’avait-il pas promis à la maison de Joseph, qu’elle déposséderait le Cananéen, quoiqu’il eût des chars de fer et qu’il fût fort? (Jos. 17:18). Qu’était-ce donc pour l’Éternel que des chars de fer? Lorsque notre confiance en Lui et en ses promesses est ébranlée, nous disons comme les espions envoyés par Moïse pour reconnaître le pays: «Nous y avons vu les géants, fils d’Anak ...; et nous étions à nos yeux comme des sauterelles, et nous étions de même à leurs yeux» (Nomb. 13:34).

Quel contraste chez Caleb! (v. 20). Ce dernier dépossède l’ennemi, et même les trois fils d’Anak, de tout son héritage. En un temps de déclin, la foi individuelle peut réaliser ce dont l’action collective est incapable.

Au v. 21, les fils de Benjamin ne dépossèdent pas le Jébusien, habitant de Jérusalem. Juda, en des jours prospères (v. 8), avait frappé cette ville au tranchant de l’épée et l’avait livrée au feu. Mais les troupes de l’ennemi vaincu sont habiles à se reformer et ne se tiennent jamais pour battues. Le relâchement d’Israël leur offre une occasion favorable, et c’est ainsi que «le Jébusien a habité avec les fils de Benjamin à Jérusalem jusqu’à ce jour».

L’histoire de la maison de Joseph (v. 22-26), rappelle celle de Rahab, au chap. 2 de Josué, mais avec une différence capitale: l’œuvre de foi est absente. L’acte de l’homme de Luz, livrant sa ville aux fils d’Israël, est d’un traître, non d’un croyant. Joseph l’amorce en lui promettant la vie sauve. Aussi retourne-t-il au monde, après sa délivrance, au lieu de s’associer, comme Rahab, au peuple de Dieu, et rebâtit-il, dans le pays des Héthiens, ce Luz que l’Éternel venait de détruire.

Nombreuses, hélas! sont les villes que Manassé ne dépossède pas. Remarquons ce mot: «Le Cananéen voulut habiter dans ce pays-là». Pour le croyant affaibli, la volonté du monde a plus de force que la parole et les promesses de Dieu. Lorsque Israël «fut devenu fort», il rendit, à la vérité, le Cananéen tributaire, mais c’était le dominer, non pas le déposséder. La chrétienté, devenue puissante et riche, fit de même envers le paganisme. Il pouvait convenir aux voies providentielles de Dieu envers le monde qu’il en fût ainsi, mais la foi n’y était pour rien.

Éphraïm et Zabulon laissent le Cananéen s’établir au milieu d’eux (v. 29, 30). Désormais, le monde fait partie du peuple de Dieu. Aser et Nephthali (v. 31-33), font un pas de plus; ils habitent au milieu des Cananéens. Israël est submergé par eux.

Un trait encore, et le tableau sera complet: «Les Amoréens repoussèrent dans la montagne les fils de Dan, car ils ne leur permirent pas de descendre dans la vallée» (v. 34). Le monde obtient enfin ce qu’il cherchait; il dépouille les enfants de Dieu de leur héritage. Satan a toujours pour but de nous priver des biens qui font notre joie et notre force, et n’y réussit que trop.

Souvenons-nous de cette gradation dans le déclin. Pauvre Israël! nous le verrons bientôt abandonnant le Dieu qui l’avait tiré du pays d’Égypte, se prosterner devant les faux dieux, et, comme conséquence de son idolâtrie, opprimé et mis au pillage par ses ennemis.

Mes frères! nous appartenons tous à la période du déclin. Il est trop tard pour le retour collectif de l’Église; remontons, du moins, individuellement ce chemin glissant. Prenons garde au monde; défions-nous de ses appâts les plus inoffensifs. Soyons, en ces temps de la fin, des fidèles à qui le Seigneur peut dire: «J’entrerai chez lui et je souperai avec lui, et lui avec moi» (Apoc. 3:20). Distinguons-nous par une sainte séparation du monde et une communion grandissante avec le Seigneur jusqu’au bout de notre carrière.