Ézéchiel

William Kelly

Introduction

Nous ne savons que peu de chose du prophète dont nous allons étudier le livre, rien que quelques rares détails personnels donnés au cours de ses prophéties, et en relation avec elles. Nous apprenons qu’il était sacrificateur, fils de Buzi1; que sa femme mourut soudainement, en signe à Israël; qu’il habitait Thel-Abib sur le fleuve Kébar dans le pays des Chaldéens. Il mentionne Daniel, son contemporain, connu de son propre temps pour sa justice, au même titre que Noé et Job.

1 La tradition des Juifs selon laquelle Ézéchiel était serviteur de Jérémie, ou son fils (identifiant Buzi avec Jérémie) ne semble pas digne de crédit. Même Josèphe l’estime trop jeune pour cela au moment où il fut fait captif, car il commence à prophétiser en la 5° année.

Mais il n’y a guère d’écrits dans la Bible plus caractéristique, et aucun ne fournit autant d’images pour le dernier livre du Nouveau Testament, la plus vaste et la plus profonde des prophéties. Ézéchiel, Jérémie et Daniel sont les prophètes de la captivité; ils ont des points en commun sans doute, notamment la sympathie; mais ils sont différents dans leur ton, leur style et leurs buts, aussi bien que dans leur condition extérieure et les circonstances employées par Dieu comme cadre pour leurs prédictions.

Le sort de Jérémie a été d’être laissé avec les pauvres du pays, puis d’être emmené avec ceux qui, par manque de foi, s’enfuirent en Égypte, à la recherche d’une sécurité qu’ils auraient pu trouver s’ils étaient restés là où ils étaient, dans la soumission à leur maître Babylonien. Jérémie pleura et se lamenta jusqu’à la fin avec le résidu, bien-aimé mais indigne.

Le sort de Daniel fut d’être emmené captif la troisième année de Jéhoïakim, quand le solennel avertissement annoncé à Ézéchias fut exécuté par Nebucadnetsar; toutefois Dieu ne se laissa pas sans témoin à Babylone et montra où se trouvaient la sagesse et Son secret, même après avoir suscité les empires de Gentils et fait de son peuple Lo-ammi (Os. 1:9; 2:23).

Ézéchiel était un de ceux qui furent emmenés en captivité sous le règne suivant de Jéhoïakin1 fils de Jéhoïakim, quand le roi de Babylone dispersa tout ce qu’il y avait de meilleur dans le pays, y compris notre prophète. Il ne restait plus qu’une étape à franchir, le règne désastreux de Sédécias, pour que la colère de l’Éternel pût les chasser tous de sa présence à cause de leurs provocations répétées et de leur incurable rébellion. C’est en vue de ce temps qu’Ézéchiel prophétise au milieu des captifs en Chaldée; il passe par dessus les temps des Gentils, qui sont le sujet de Daniel, et s’arrête longuement sur la restauration finale d’Israël.

1 «La trentième année» (1:1) a beaucoup embarrassé les érudits. Or il semble clair que le point de départ des 30 ans est l’ère de Nabopolassar, père de Nebucadnetsar qui devint roi de Babylone en 625 av. J.C. à peu près au moment où Hilkija trouva le livre de la loi dans le temple (2 Chr. 34:15), découverte si féconde en bénédictions pour Josias et les justes en Juda. Il est fait allusion à ce dernier dans la paraphrase chaldéenne de Jonathan ben Uziel.

On est frappé de la sainte énergie, du zèle pour Dieu, de l’indignation et de l’autorité morale que le prophète manifeste en reprenant Israël. Il est emporté là où l’Esprit le conduit, comme dans le char majestueux de la gloire de l’Éternel, qu’il décrit avec la puissance irrésistible de ses roues et des ailes qui le surmontaient. Nulle part il ne flatte le peuple, et même en captivité il adresse à Israël les plus sévères remontrances pour les péchés dont ils ne s’étaient pas encore repentis, et qui avaient entraîné le peuple si bas. Le livre ouvert devant lui et mangé par lui, était écrit devant et derrière, avec des lamentations, des plaintes et des gémissements; le prophète devait dire au peuple rebelle toutes les paroles de l’Éternel; son front avait été rendu «comme un diamant plus dur que le roc». Lui et Daniel sont les seuls à être désignés du titre de «fils d’homme», hormis naturellement Celui qui est maître, et le plus abaissé des serviteurs, qui s’est approprié tous les titres de honte, de souffrances et de réjection, mais le jour viendra où eux aussi seront manifestés avec Lui en gloire..

Ceux qui s’occupent du cadre extérieur de la vérité dans ce livre ne manquent pas de remarquer le sens profond du pur et de l’impur, de la sainteté lévitique, des images du temple, des fêtes, des sacrificateurs et des sacrifices; le livre en est rempli, ce qui est bien naturel puisqu’il est écrit par un membre de la famille sacerdotale. Tous ces caractères qui le distinguent de manière évidente et incontestable, ne sont pas une imitation servile du Pentateuque; nous verrons que Dieu affirme Son droit à modifier, à omettre ou à ajouter, dans ce jour où le prophète Jérémie, contemporain d’Ézéchiel, déclare explicitement que l’Éternel établira une nouvelle alliance avec la maison d’Israël et avec la maison de Juda, alliance «non selon l’alliance que Je fis avec leurs pères, au jour où Je les pris par la main pour les faire sortir du pays d’Égypte, Mon alliance qu’ils ont rompue, quoique je les eusse épousés, dit l’Éternel. Car c’est ici l’alliance que j’établirai avec la maison d’Israël, après ces jours-là, dit l’Éternel: Je mettrai ma loi au-dedans d’eux, et je l’écrirai sur leur cœur, et je serai leur Dieu, et ils seront mon peuple; et ils n’enseigneront plus chacun son prochain, et chacun son frère, disant: Connaissez l’Éternel; car ils me connaîtront tous, depuis le petit d’entre eux jusqu’au grand, dit l’Éternel; car je pardonnerai leur iniquité, et je ne me souviendrai plus de leur péché (Jér. 31:31-34). Sans doute tout ce passage peut s’appliquer au chrétien aujourd’hui, car le sang de la nouvelle alliance est déjà versé, et est devenu nôtre par la foi; mais il sera appliqué à Israël et à Juda comme tels, par la grâce de Dieu, dans ce jour là, comme les versets suivants (31:35-40) le montrent clairement.

C’est en vain que les Rabbins raisonnent sur l’immuabilité de la loi donnée par Moise: leurs propres prophètes les démentent. C’est ainsi que le fameux D. Kimchi prend position contre la prétention absolue à l’immuabilité dans son commentaire sur notre prophète; Albo et Nachmanides le reconnaissaient également. Albo réfute même expressément l’usage que Maimonide fait de Deutéronome 12:32; il montre qu’au contraire, le vrai sens de l’avertissement donné par Moise a pour but d’empêcher les Israélites d’ajouter ou de retrancher quelque chose à la loi d’une manière arbitraire ou de leur propre volonté (voir Sepher Ikkarim, p. iii c. 16). Moise ne déniait pas à un prophète l’autorité de le faire, spécialement en vue du vaste changement qu’allaient introduire la présence d’un Messie régnant et la nouvelle alliance. Ézéchiel prédit quelques-uns de ces changements caractéristiques qui auront lieu quand Israël sera restauré et que la théocratie sera de nouveau en vigueur; nous en verrons les détails au fur et à mesure de l’étude de ce livre.

On s’est plaint de l’obscurité de notre prophète. Mais ce reproche n’est vraiment pas fondé, bien qu’il date déjà du temps de Jérôme, qui appelle ce livre «un labyrinthe des mystères de Dieu». Cette prétendue obscurité provient spécialement de deux choses: d’abord, comment un sujet décrivant le gouvernement de Dieu peut-il être simple? Sa hauteur, sa profondeur et sa largeur sont immenses, et si on peut dire, il faut se servir d’un instrument de mesure infiniment supérieur à tout ce qui existe pour la créature. Ensuite la plupart des gens dans la chrétienté, depuis Origène, ont adopté un système faux — l’alchimie spirituelle selon l’expression de Hooker — qui consiste à changer les espérances juives en prophéties concernant les bénédictions propres au chrétien. Rien d’étonnant dans ces conditions que ces gens n’aperçoivent les images qu’au travers d’un épais brouillard. Appliquons ses visions correctement, et nous les trouverons en général remarquablement explicites, et pleine de force. Il est absurde de supposer que des détails si minutieux et circonstanciés ne soient que de l’enrobage littéraire.

 

La structure du livre est évidente. La première moitié est formée de prophéties en ordre chronologique strict, avant la destruction finale de Jérusalem, quand Sédécias attira sur lui-même la juste punition de sa rébellion et de son parjure (ch. 1-24). Ézéchiel montre, au moyen de symboles magnifiques, suivis d’accusations les plus positives de péché, l’inutilité absolue de tout effort pour secouer le joug de Babylone, ce que Sédécias essayait de faire par le moyen de l’Égypte. Or bien qu’Il se servît de Nebucadnetsar, c’était bien l’Éternel qui jugeait Jérusalem, Lui qui siège entre les chérubins. Moralement il ne pouvait pas en être autrement. La sentence judiciaire sur le peuple, la ville, le temple et le roi est exposée dans cette première partie.

La seconde s’ouvre par une sorte de parenthèse formant transition, dans laquelle le prophète annonce sept objets de jugement parmi les nations voisines du pays, sans tenir compte de l’époque où ces peines seront subies et en les groupant selon une unité morale (ch. 25-32). Ensuite il revient à Israël, et ouvre le terrain individuel sur lequel Dieu agirait désormais envers lui (ch. 33); il dénonce d’abord les bergers et les princes coupables (ch. 34), puis l’inimitié de la montagne de Séhir (ch. 35), puis il garantit la restauration morale (ch. 36) et la restauration collective (ch. 37) de tout Israël, et la destruction de Gog et de toutes ses armées (ch. 38 - 39). Enfin il annonce le retour de la gloire de Dieu, avec le rétablissement du sanctuaire, des rites et de la sacrificature dans le pays enfin rendu saint, et la nouvelle répartition des 12 tribus comme nation sous le gouvernement du prince; car depuis ce jour-là le nom de la ville doit être Jéhovah-Schamma (ch. 40-48). Que ce soit en jugement ou en bénédiction paisible, c’est le jour de l’Éternel pour la terre, et non pas une promesse de bénédiction pour la chrétienté, comme le prétendent les allégoristes. Une telle doctrine, provenant des pères de l’Église ou des puritains, induit en erreur et donne des illusions. Ces tendances extrêmes se rejoignent dans une erreur commune qui enlève à Christ et à l’Église ce qui est une contrepartie à Sa gloire céleste, et que l’Esprit Saint a pour fonction d’accomplir ici-bas, et dont nous jouirons d’une manière parfaite quand le Seigneur sera venu, transformant nos corps à Sa ressemblance et nous faisant apparaître avec Lui dans la gloire céleste de ce jour.

Dire que cela c’est «judaïser», n’est que de l’ignorance pure et de l’incrédulité méchante. Il ne s’agit pas du tout de cela quand nous parlons des perspectives d’avenir d’Israël selon les prophètes. «Judaïser», c’est en réalité mélanger des éléments juifs avec l’évangile, et les imposer aux Chrétiens du temps actuel. Or la vérité sur laquelle nous insistons ici, c’est que les Chrétiens enlevés et glorifiés avec Christ, auront alors disparu de la terre. Par conséquent il s’agit du siècle à venir, et d’un autre appel, lorsqu’Israël sera greffé sur son propre olivier. S’attendre donc à l’accomplissement littéral des visions du prophète, c’est simplement de la foi, ce n’est pas judaïser: c’est même une sauvegarde contre cette tendance. Nous sommes d’autant plus préservés de mêler leurs espérances aux nôtres, que nous attendons vraiment leur accomplissement pour Israël. Le retour de Babylone ne répond en aucune façon aux prophéties de la fin; il prouve non pas l’imperfection des prophéties d’Ézéchiel, mais que ces glorieuses anticipations doivent encore trouver leur accomplissement. Le «tout Israël» (Rom. 11:26) attend encore son accomplissement quand le Libérateur viendra à Sion. Ézéchiel 20:33 est en parfait accord avec cela, car Jérémie et tous les prophètes enseignent le retranchement des apostats et des rebelles. Henderson a donc tort quand il dit que les différences entre l’ancien temple et celui décrit par Ézéchiel sont secondaires. Elles prouvent au contraire que, ou bien nous devons renoncer à l’inspiration du prophète, ou bien maintenir qu’il prédit un retour encore futur, avec un nouveau temple, des cérémonies modifiées, un nouveau partage du pays entre les douze tribus restaurées et bénies, après que leurs derniers ennemis auront été détruits par les jugements divins. Tout en étant un homme, Ézéchiel était prophète et nous sommes tenus de croire qu’il était inspiré, de sorte que ses écrits nous donnent la parole de Dieu, sans mélange et sans erreur.