Esther

Introduction

Les événements dont le livre d’Esther nous entretient, s’intercalent entre le 6ème et le 7ème chapitre d’Esdras, c’est-à-dire entre le règne de Darius (fils d’Hystaspe) et celui d’Artaxerxès (surnommé Longue-Main). La lacune qui sépare ces deux règnes est comblée par le règne d’Assuérus (autrement dit Xerxès. A. C.485-465), fils de Darius et père d’Artaxerxès. C’est donc sous Assuérus (Xerxès) que se passent les faits contenus dans ce récit inspiré.

Chaque écolier connaît la puissance, les richesses de Xerxès, le rôle joué par lui, dans sa lutte avec la Grèce, au cours des guerres médiques, et comment, la sixième année de son règne, vaincu à Salamine par la flotte de ses adversaires, il s’enfuit et retourna dans son pays; mais il est utile de rappeler que, pour comprendre la Parole, même ces connaissances élémentaires ne sont pas nécessaires; il nous suffit d’un passage de Daniel (10:20 à 11:2) pour nous renseigner sur ce que nous devons en savoir. Il est, en revanche, important de retenir ici, que des événements qui remplissent de leur bruit l’histoire du monde, comptent à peine dans le livre inspiré. Dieu ne les mentionne que lorsqu’ils interviennent de manière ou d’autre dans l’histoire de son peuple, ou qu’ils préfigurent des événements prophétiques, des contestations entre peuples, dont Israël sera l’objet (Dan. 11). Il arrive même que la Parole ne nous rapporte le choc puissant des nations que pour nous faire assister à la délivrance d’un seul de ses bien-aimés (Gen. 14). Cette vérité est pour nous d’une grande importance. Les conflits entre les nations de nos jours nous préoccupent souvent à un si haut degré, que notre âme en perd la communion avec le Seigneur. Prenons la Parole pour mesurer leur valeur, pesons les faits à la balance du sanctuaire; comme ils nous sembleront petits en face des conseils éternels de notre Dieu! Les plus grands bouleversements des plus grands empires qui semblent ébranler le monde sur ses bases, ne pèsent pas plus qu’un fétu dans les balances de Dieu, à moins que son peuple ne soit en cause, que ce soit en jugement sur lui, ou en vengeance sur ses adversaires (Deut. 32:8). On en voit un exemple dans le Nouveau Testament: la tâche prodigieuse du recensement de toute la terre habitée, par le plus grand des Césars, n’a d’autre résultat que d’amener la naissance d’un petit enfant à Bethléhem; et, à la fin des temps, les luttes gigantesques des plus grands capitaines et de leurs armées innombrables, disparaissent comme un souffle à l’apparition d’un seul homme. Dans l’Ancien Testament, le bouleversement du monde par l’Assyrien et toutes ses victoires, n’ont d’importance qu’en tant qu’ils sont la verge de Dieu contre Israël infidèle; la victoire de Babylone sur l’Assyrie, qu’en tant qu’elle accomplit les mêmes desseins de Dieu à l’égard de Juda.

Le livre d’Esther confirme ce que nous venons de présenter. Les guerres médiques qui ébranlèrent, pendant tant d’années, le monde d’alors, y sont tout simplement supprimées. Il n’est pas plus question, dans ce livre, de la victoire des Grecs (Javan), que de la défaite des Perses. De tels événements ont préparé de loin la ruine de la Perse, second empire universel, qui n’a pas mieux administré ce que Dieu lui avait confié que ne l’avait fait Babylone, le premier empire, mais ils ne concernent pas le peuple de Dieu.

Un trait très particulier du livre d’Esther n’a échappé à personne. Le nom de Dieu en est absent. La raison de cette omission est incompréhensible pour les Juifs, car un endurcissement partiel est venu sur eux, et ils ne comprennent pas la pensée de Dieu dans leurs propres Écritures. Nous verrons que cette suppression est la condamnation absolue de ce peuple, et c’est précisément ce qu’il ne veut pas reconnaître. Bien que le livre d’Esther ait encore aujourd’hui, pour les Juifs, une importance capitale parmi les livres saints, et continue à être lu solennellement lors de la fête des Purim, le sentiment des auditeurs pendant cette lecture se manifeste par des imprécations contre Haman, sa femme et ses fils, mais n’a nullement le caractère d’un jugement d’eux-mêmes. Ils comprennent si peu l’omission du nom de Dieu, que la Version grecque des Septante, faite par des Juifs alexandrins, semble avoir eu autrefois pour but de remédier à ce qu’ils considéraient comme une lacune, par de nombreuses additions apocryphes, où le nom de Dieu est très souvent mentionné.

Pour expliquer celle omission si remarquable, jetons un premier regard sur les circonstances où se trouvaient les Juifs dans le livre d’Esther.

Lors de l’édit de Cyrus, à la fin des 70 années de captivité, un nombre considérable de Juifs, voyant dans cet édit l’accomplissement de la parole de Dieu, rentra dans son pays, sous la conduite de Zorobabel. Esdras en ramena d’autres plus tard. Cette émigration comportait 42 360 personnes. Sans doute, à plus d’une reprise, des individus remontèrent à Jérusalem, de Babylone ou d’autres lieux de l’empire, pour adorer, ou pour apporter des présents (voyez, par exemple, Zach. 6:9-10); mais, d’une manière générale, soit indifférence pour Jérusalem et le temple, soit amour de ses aises, soit intérêt, ou pour toute autre cause, une grande partie de Juda et de Benjamin resta dans les provinces persanes où elle s’était établie. Les premiers répondaient aux pensées de Dieu en remontant à Jérusalem, les autres ne semblaient pas apprécier l’humiliation de leur condition servile, et restaient où ils étaient. Il va sans dire que nous exceptons de cette seconde catégorie des personnages, tels que Daniel, Esdras, Néhémie, Mardochée, que leurs fonctions officielles tenaient sous la dépendance immédiate du monarque persan. Ceux qui étaient remontés, sans être reconnus de Dieu comme nation, car la sentence qui les avait déclarés Lo-Ammi n’était pas révoquée, se trouvèrent dans des relations individuelles, et même collectives avec l’Éternel, malgré l’absence complète de relations nationales avec Lui, et il se plaisait à entretenir ces relations avec eux, en leur faisant connaître ses pensées par des conducteurs, des docteurs et des prophètes, afin de soutenir leur foi et de ranimer leur courage. Le but de Dieu était de les préparer à recevoir leur Messie, et, s’ils le recevaient, de les rétablir comme nation et de les appeler de nouveau mon peuple. Nous savons comment tous ses desseins de grâce envers Israël furent interrompus par le rejet du Christ; comment, à la suite de ce rejet, l’Église fut formée par le Saint Esprit, comment enfin la restauration d’Israël fut renvoyée aux temps futurs décrits par les prophètes. Malgré tout, les débuts de la restauration de Juda et de Benjamin furent particulièrement bénis, comme en témoignent Esdras, Néhémie, et les prophètes Aggée, Zacharie et Malachie.

L’état du peuple qui avait préféré rester dans le pays de sa captivité, était, en revanche, des plus fâcheux. S’ils jouissaient d’une prospérité extérieure, ils étaient non seulement Lo-Ammi, comme leurs frères restaurés en Palestine, mais ils étaient privés de tout rapport quelconque avec Dieu. Dieu leur était caché; il avait détourné sa face. Un voile uniforme de tristesse et d’abandon pesait sur ce peuple. On ne trouvait chez lui ni énergie de foi (puisqu’elle ne s’était pas montrée lors de l’édit de Cyrus), ni même jouissance de relations individuelles avec Dieu. Le soleil d’Israël s’était couché. Ils n’avaient plus même de lampe pour guider leurs pas dans la nuit qui les avait envahis. Tandis que d’autres étaient remontés vers la lumière, ou plutôt s’étaient rapprochés d’elle en retournant à Jérusalem, ceux-ci restaient assis dans les ténèbres de l’ombre de la mort. Pas un rayon de la face de Dieu ne venait la percer à cette heure. Cela explique comment, religieusement, dans le livre d’Esther, tout est plongé dans une ombre mystérieuse. La vie journalière continue, mais le ressort de cette vie est détendu, plus que cela, détruit.

Mais que voit-on, en outre chez le peuple? Les Écritures, qui jouent un si grand rôle dans les livres d’Esdras et de Néhémie, sont complètement absentes. Aucune des fêtes, instituées par la loi de Moïse et dont la célébration est habituelle au résidu remonté à Jérusalem — aucune fête, disons-nous, sinon les Purim, solennité entièrement nouvelle, quand la délivrance du peuple eut lieu. Les sacrifices, la sacrificature, le service, tout a disparu, ou, du moins, a entièrement cessé d’être mentionné, car nous savons qu’un grand nombre de sacrificateurs et de lévites n’était pas remonté à Jérusalem, lors de l’édit de Cyrus ou en d’autres occasions. Si les communications de Dieu avec le peuple manquent complètement, celles du peuple avec Dieu sont tout aussi absentes. Pas une fois la prière n’est mentionnée. Au plus fort de leur détresse, ils prennent le sac et la cendre, le jeûne est ordonné, mais jamais une prière ou une supplication. Je ne dis pas, notez-le bien, qu’il ne pût y avoir ces choses chez les fidèles, mais il n’en est jamais question. Tout ce que l’on voit chez eux, c’est la sollicitude pour la nation et, à l’approche du coup final, la détresse et une suprême angoisse, avec une faible pensée, suggérée par la foi, que le secours pourra venir «d’autre part». Leur position donc se résume à ceci: ciel fermé, aucune relation nationale ou individuelle avec Dieu, bien différents en ceci du peuple sous Esdras ou Néhémie. Ils sont laissés dans l’abandon, dans la servitude, courbés sous le joug pesant des nations, extérieurement sans Dieu et sans autre chose qu’une faible espérance. Ils vont, ils viennent, ils vivent, ils trafiquent, méprisés, haïs du très grand nombre, se faisant petits pour échapper à une attention hostile, malheureux, mais habitués au joug, gardant, au milieu de leur abjection, le souvenir de leur grandeur passée, n’étant pas soutenus, comme ceux qui sont remontés à Jérusalem, par leur affection pour l’autel, pour le temple, pour les murailles de Jérusalem, ayant sans doute parmi eux une partie du sacerdoce, comme on le voit dans le livre d’Esdras, mais sans objet pour s’exercer. Leur malheur n’a pas même le soulagement de s’exprimer au dehors, sauf quand leur terrible sort est décrété. Si j’avais un mot pour exprimer cet état, je l’appellerais l’indifférence des malheureux. Voyez-les, sans patrie, sans capitale, n’ayant pour cité que Suse, la capitale des gentils, sans prince, sans sacrificateur avec l’éphod, les urim et les thummim, par lesquels il pourrait consulter l’Éternel (le résidu de Palestine en avait du moins l’espérance: Esdras 2:63), mais aussi sans idoles et sans théraphim (Osée 3:4). C’est le désert moral. Je parle de l’impression que ce livre a pour but de produire, car le second livre des Psaumes, qui nous place prophétiquement au milieu des mêmes circonstances, nous montre qu’à défaut de l’Éternel, leur foi s’adresse à Dieu.

Cette absence complète de relations avec Dieu attire sur ce résidu de la captivité le mépris du monde auquel il est asservi. La parole caractéristique du deuxième livre des Psaumes, où nous voyons le résidu de Juda chassé de Jérusalem et demeurant au milieu des nations, cette parole: «Où est ton Dieu?» s’applique d’une manière toute particulière aux circonstances du livre d’Esther. «On me disait tout le jour: Où est ton Dieu?» «Mes adversaires m’outragent comme un brisement dans mes os, quand ils me disent tout le jour: Où est ton Dieu?» dit l’âme abattue du résidu qui marche «en deuil à cause de l’oppression de l’ennemi.» (Ps. 42.) Et de même, dans le prophète Joël: «Ils sont le proverbe des nations. Pourquoi dirait-on parmi les peuples: Où est leur Dieu?» (Joël 2:17). Mais cet abandon même, ce vide produit autour d’eux, joint au danger de mort qui les menace d’un moment à l’autre, les fait crier à ce Dieu qui leur cache sa face: «Beaucoup disent: Qui nous fera voir du bien? Lève sur nous la lumière de ta face, ô Éternel!»1.

1 Ce fait seul nous indique déjà, et nous allons y revenir, que le livre d’Esther est un livre typique. Nous en serons toujours plus convaincus, en étudiant le caractère des personnages qui y sont dépeints: Assuérus, Vasthi, Esther, Haman, Mardochée. Cela est d’autant plus remarquable que les livres d’Esdras et de Néhémie, quoique remplis d’instruction pour le temps présent et pour tous les temps, n’ont pas ce caractère typique. C’est pourquoi aussi le livre d’Esther n’aurait pu être joint au livre d’Esdras, dans lequel, historiquement, il devrait s’intercaler; sans parler du fait, que, traitant de la dispersion des juifs parmi les nations, il transporte le résidu sur un tout autre terrain.

Ainsi Dieu est caché, et si Dieu l’est, tout le reste l’est aussi. La lumière du monde a disparu; la nuit est venue, en laquelle personne ne peut travailler. Cette lumière peut luire au milieu des ruines de Jérusalem, d’une manière avare, pour ainsi dire, mais elle luit là où la conscience est réveillée, là où des âmes, comme celle d’Esdras, confessent la coulpe du peuple, s’en repentent et s’en humilient. Ici rien de semblable. Le monde peut resplendir de tout son éclat terrestre, mais Israël est assis dans les ténèbres. La grande lumière, dont parle le prophète, ne reluira qu’à l’apparition première du petit enfant de Bethléhem.

Aux jours d’Esther, le peuple asservi se cache: Mardochée, serviteur du roi tout-puissant, ne révèle sa race que forcé à expliquer son attitude vis-à-vis d’Haman. Esther, sur l’ordre de Mardochée, cache son origine et n’ose la déclarer, ce qui serait sa perte. Elle est un peu comme les 7000 hommes, inconnus au temps de l’apostasie d’Israël et du culte infâme de Baal. Seulement, dans le livre d’Esther, le peuple n’est pas caché devant une idolâtrie triomphante. Les souverains perses avaient en horreur les faux dieux et pratiquaient la religion de Zoroastre qui répudiait entièrement les idoles — fausse religion sans doute, mais non grossièrement idolâtre, comme celle des Chaldéens. Cette religion reconnaissait un Dieu suprême, Ormuzd, Dieu du bien, avec ses bons génies, et un second Dieu, le Dieu du mal, Ahriman, éternel comme le premier, en lutte à puissance égale avec lui, cherchant toujours, avec ses mauvais génies, à séduire les hommes, mais dont la puissance devait avoir une fin et laisser le triomphe au Dieu du bien. Cet Ahriman est le diable qui a réussi à «séduire les hommes en leur apportant des fruits à manger», et en les privant par là des avantages dont ils jouissaient. On voit dans tout cela, avec des erreurs grossières quant à la nature de Dieu, un écho altéré des traditions orales primitives, Dieu nous en ayant donné la réalité originelle dans sa Parole. Assuérus n’avait guère que ce trait commun — sa religion — avec Cyrus, Darius, son père, et Artaxerxès, son fils.

Au milieu de cette scène, dans ce froid brouillard qui enveloppe les captifs — et c’est le fait capital du livre d’Esther — une Providence cachée veille sur eux. Tout ce récit en est la preuve, et nous aurons ample occasion de le faire remarquer quand nous en aborderons les détails. C’est que Dieu est fidèle et que, s’il est obligé de cacher sa face, il ne peut se renier lui-même. Ses promesses sont sans repentance, et, même quand il les passe entièrement sous silence, il s’en souvient parfaitement. Il ne peut déclarer ce caractère aussi longtemps que le peuple porte le poids de son jugement gouvernemental, dont la sentence est en voie d’exécution. S’il agit autrement vis-à-vis du peuple remonté à Jérusalem, c’est en vue de la venue de Christ au milieu d’eux, comme les trois derniers prophètes en témoignent; ici, dans le livre d’Esther, rien de semblable; mais, dans le silence, Dieu reste le même, et Dieu est amour. Il n’est pas seulement le Dieu saint; il reste ce qu’Il a toujours été, un Dieu dont les entrailles sont émues de compassion envers ce peuple coupable. De là les soins incessants de sa providence.

Nous pouvons considérer la providence de Dieu sous deux aspects. Sous le premier aspect, les hommes ont journellement devant les yeux le spectacle public, la manifestation indiscutable de cette providence, comme dit l’apôtre: «Dieu ne s’est pas laissé sans témoignage, en faisant du bien, en vous donnant du ciel des pluies et des saisons fertiles, remplissant vos cœurs de nourriture et de joie» (Actes 14:17). Le second aspect est celui d’une providence cachée dans ses voies et dans son but, en sorte que les hommes ne peuvent la voir que par son résultat final. C’est ainsi qu’un Moïse — et de tels exemples sont fréquents — sauvé des eaux par des voies providentielles, introduit de la même manière à la cour du Pharaon, devient le libérateur de son peuple. Nous rencontrons à chaque instant, dans le livre d’Esther, ce dernier caractère de la providence. En restant cachée, elle dirige les événements, et la foi seule la sait à l’œuvre et compte sur elle. C’est pourquoi aussi, il faut la foi pour comprendre ce livre. Nous y trouvons, en résumé, la Providence secrète agissant au milieu des plus terribles dangers qui puissent assaillir le peuple sous la colère gouvernementale de Dieu — pour lui donner du repos par la vengeance sur ses ennemis et pour introduire le règne de paix.

Il est encore un caractère important du livre d’Esther, sur lequel nous devons insister. Un des traits les plus merveilleux de l’Ancien Testament — et nous comprenons ici non seulement les écrits prophétiques, mais la loi, les livres historiques et, en un mot, tous les autres écrits — c’est, ou bien de présenter les principes moraux qui sont de tous les temps, et dépassent entièrement la période dans laquelle ils ont été composés; ou bien aussi, de préfigurer des événements à venir et des personnages futurs. Le fait dont nous parlons peut être plus ou moins évident selon les divers écrits, mais il est constant. Même quand Dieu se cache, comme dans le livre d’Esther, on sent qu’il choisit les acteurs et l’on distingue, derrière la scène, l’Ouvrier souverain, façonnant mystérieusement le type des événements et des personnages à venir. Pour ceux qui étudient la Parole avec prière, ce fait que nous trouvons des types, même dans un livre comme celui d’Esther, est, comme nous le verrons, d’une haute importance. Quand nous considérons ce récit, il donne à notre esprit une impression familière. Tel événement, tel personnage, portent la pensée vers des choses futures souvent méditées. Les faits s’enchaînent, les personnes se présentent ou s’associent d’une manière caractéristique. Telle allusion, tel nom indifférent au lecteur superficiel, prend tout à coup une valeur inattendue, s’éclaire d’une lumière soudaine. Et ce n’est pas un des moindres attraits du livre divin, de nous faire découvrir une pensée courant comme une eau souterraine et silencieuse, inconnue du vulgaire, qui foule le sol sans se douter de sa présence, jusqu’au moment où, l’Esprit de Dieu lui donnant une issue, elle jaillit tout à coup, comme la source artésienne, aux yeux de ceux qui en contestaient l’existence.

Il en est ainsi du livre d’Esther. En apparence, rien qui prête moins à l’édification que cette histoire, quand on s’en tient à la surface. À cause de cela, plusieurs y ont intercalé des pensées, très utiles en d’autres occasions, mais qu’elle ne comporte pas. D’autres seraient tentés de lui préférer les livres d’Esdras et de Néhémie, si pleins de principes édifiants, appliqués à nos circonstances actuelles, mais ne présentant pas de types prophétiques, parce que ces derniers sont contenus dans les prophètes contemporains, Aggée, Zacharie et Malachie. Mais, je le répète, lorsque nous percevons le murmure du courant souterrain, que de mystères ne découvrons-nous pas? La puissance divine concentrée en une personne; l’homme libérateur, élevé à la royauté et couronné; l’ennemi juré de celui qui représente le peuple, jugé et condamné; l’épouse gentille répudiée; l’épouse juive sortie de sa captivité et devenant la femme du grand Roi; le résidu passant à travers une grande tribulation, jusqu’à l’intervention du Libérateur; — la paix et la joie succédant à cette délivrance!

Chose étonnante, l’opposition des hommes contre Christ s’attaque très particulièrement à ce livre, en apparence si conforme aux principes qui régissent le monde. C’est que ceux qui le combattent y sentent vaguement l’existence d’un secret qu’ils ne peuvent ni voir, ni connaître, et que cependant ils haïssent.

Des circonstances spéciales expliquent pourquoi ces choses sont présentées, d’une manière si secrète et avec des types, en apparence si incomplets; pourquoi ces types peuvent rester ignorés même du lecteur croyant, mais sans intelligence spirituelle. Le peuple, comme nous l’avons déjà dit, n’existe plus; tout lien qui l’attachait à Dieu est brisé: le Maître de la moisson dort. Quand nous assistons ici à la grande tribulation, à la «détresse de Jacob», le caractère de ceux qui la traversent est bien différent de ce que nous rencontrons d’habitude dans les Psaumes et les prophètes. Nous n’avons pas, dans le livre d’Esther, le spectacle d’un résidu repentant et intègre, reconnaissant qu’il a mérité son châtiment, et criant à Dieu des lieux profonds avec la conscience qu’il n’échappera pas, si Dieu prend garde à ses iniquités. Ici, au contraire, tout lien avec Dieu étant rompu, le peuple qui n’est plus «bien-aimé», n’entrevoit aucune possibilité de délivrance. Un seul homme, Mardochée, qui va en être l’instrument, sait qu’elle viendra. Autres que les sentiments exprimés dans le livre d’Esther, sont ceux du résidu remonté à Jérusalem sous Zorobabel et Esdras. Tout en étant Lo-Ammi, il a la conscience de ses rapports avec l’Éternel. Aussi, dans le livre d’Esther, la détresse est-elle plus grande et plus poignante, quoique ce soit proprement le résidu, demeurant à Jérusalem, qui, dans les temps prophétiques, sera mis à mort ou subira le martyre. Ici, disons-nous, la détresse est plus angoissante, fait pousser des cris «grands et amers», et cependant, en fin de compte, pas un cheveu de leur tête ne tombe dans le pays étranger. Leur condition est celle de la femme poursuivie par le dragon, en Apoc. 12:16; tandis que celle du résidu, resté en Judée et à Jérusalem, nous est indiquée au v.17 de ce même chapitre. Dans ce dernier cas, nous rencontrons une foi active, un profond sentiment du péché, la repentance, l’espérance qui s’exprime dans les Psaumes par les mots: «Jusques à quand?», l’attente de l’apparition du Messie. Dans le premier cas, l’angoisse terrible d’une destruction qui semble prochaine et inévitable, est encore aggravée par le sentiment qu’ils ont, de faire partie de Juda et de Benjamin; et, devant leur perte imminente, ils n’ont aucune certitude, mais cependant, malgré tout, une lueur d’espoir. «Peut-être…», «Qui sait…», dit Mardochée1.

1 Consultez pour la grande tribulation: Jér. 30:4-11; Daniel 12:1; Matt. 24:21-22.

Historiquement, le résidu resté en Perse, dans le livre d’Esther, appartient aussi bien à Juda que ceux de ses membres qui sont rentrés en Palestine1.

1 Il en sera de même dans les temps prophétiques de la fin. Les uns resteront à Jérusalem, les autres fuiront parmi les nations (Matt. 24:15-19).

La Parole ne nous présente donc pas ici deux résidus de Juda, mais le résidu de Juda, dans deux situations différentes: l’une correspondant au degré de foi et d’obéissance que le peuple avait montré pour retourner dans son héritage et rebâtir le temple, l’autre, à son indifférence et à son infidélité. Seulement Dieu se sert des circonstances du peuple resté en Perse, pour nous donner, dans le livre d’Esther, une idée de l’extrême détresse future d’Israël. Le vaisseau désemparé a perdu son gouvernail, sa boussole, ses mâts et ses voiles; il est ballotté ça et là dans la nuit, poussé vers des récifs qui, en un instant, vont le briser et l’engloutir. Point d’espoir, point de secours! Et pendant ce temps, une main mystérieuse prépare la délivrance par un événement qui abat les flots en courroux et «conduit le navire au port qu’il désirait». Et ce port, c’est la grâce qui introduit le peuple en paix dans la joie et la gloire du royaume. Ainsi, toute l’histoire prophétique d’Israël est résumée, en type, dans ces quelques pages du livre d’Esther: la nation rejetée et asservie; l’épouse juive, esclave d’abord, puis reçue en grâce, et reine des nations; la grande tribulation, pendant laquelle aucun cheveu de leur tête ne tombe dans le pays étranger; le jugement atteignant leurs adversaires; le règne de paix introduit!

Le livre d’Esther est donc l’histoire de la dispersion future de Juda parmi les nations et, dans un sens, nous pourrions l’appliquer à la dispersion qui a suivi la mort de Christ jusqu’à nos jours; mais ce récit, comme nous l’avons dit, va beaucoup plus loin que l’époque actuelle; il aborde en type l’histoire du résidu de Juda, dispersé dans un jour futur parmi les nations, tandis qu’une partie d’entre eux continuera son témoignage à Jérusalem. Tous seront profondément éprouvés dans leur conscience, mais la Parole ne mentionne pas ce travail moral dans le livre d’Esther, afin de concentrer notre attention sur les rapports interrompus entre le peuple et Dieu, sur la profondeur de leur détresse, et sur la grandeur de la grâce qui opère leur délivrance.