2 Samuel

Chapitre 18

La mort d’Absalom et le cœur brisé de David

David passe le peuple en revue et le range sous Joab, Abishaï, et Itthaï, le Guitthien, seul jugé digne par le roi de conduire l’armée au même rang que les chefs accrédités depuis longtemps. Cependant Itthaï «était venu d’hier», un étranger sans liens avec le peuple de Dieu. Quel motif, dans ce moment critique, l’a fait élever à un poste d’une telle importance? Son attachement sans réserve pour David. De même, le Seigneur nous confie un service en vue, selon la mesure de notre amour pour Lui.

David voudrait sortir avec son peuple pour la bataille. Tous répondent: «Tu ne sortiras point». De part et d’autre ces sentiments sont selon Dieu. Au lieu de sortir jadis avec le peuple, David était resté à Jérusalem (11:1) et avait dû en porter les conséquences; il comprend maintenant que sa place est avec l’armée; mais le peuple a aussi raison, car il apprécie la valeur de David: «Tu es comme dix mille d’entre nous» (v. 3). Ce que la haine d’Akhitophel comprenait bien: «Je frapperai le roi seul... L’homme que tu cherches est autant que le retour de tous» (17:2, 3); l’amour du peuple le comprend bien mieux encore. Il y a des deux côtés la conviction que tout dépend de David; seulement, chez le peuple, c’est la foi, pour laquelle David, absent du champ de bataille, est tout autant que David présent. «Il est bon», disent-ils, «que, de la ville, tu nous sois en secours». David cède à leur prière: «Je ferai ce qui est bon à vos yeux» (v. 3, 4). C’est ainsi que le Seigneur Jésus agit envers nous. Comme jadis pour le centurion et la Syrophénicienne, il cède à la foi, se laisse faire violence, car il ne peut autrement que répondre à ce que sa propre grâce a produit dans le cœur.

Le peuple défile devant le roi. En présence de tous, David recommande aux chefs «d’user de douceur envers le jeune homme, Absalom» (v. 5). Quelle tendresse pour ce fils rebelle! — mêlée de faiblesse peut-être, mais qui nous fait penser à l’amour sans réserve du Seigneur pour ses ennemis. Ah! s’ils pouvaient revenir, se repentir à la onzième heure! Sa patience envers eux n’atteint-elle pas jusqu’aux dernières limites? Ce n’est que lorsqu’elle est absolument épuisée que Dieu verse sa colère dans la coupe où il ne reste plus rien de la miséricorde.

Ce qui suit n’a pas besoin de commentaires. Le fils impie est suspendu au bois pour sa malédiction et sa honte. La chevelure dont il se glorifiait est l’instrument de sa ruine. Cet homme qui, dès sa jeunesse, avant qu’il eût des fils (v. 18, conf. 14:27), avait érigé un monument «pour rappeler la mémoire de son nom», est enterré sous un tas de pierres inconnu dans la forêt d’Éphraïm, tandis que son monument, demeuré jusqu’à ce jour, rappelle son humiliation et son terrible jugement. Il en sera de même de l’Antichrist et de la Bête qui s’élèveront contre le Seigneur. Leur chute sera d’autant plus terrible qu’ils se seront exaltés jusqu’à Dieu (És. 14:12-20).

On voit la main de Dieu dans ce désastre, mais, chose effrayante, on y voit aussi la main meurtrière de Joab. Toujours il fait le mal. Il donne ici la mesure de son respect pour la volonté et la personne du roi. Son intérêt le porte à supprimer Absalom qui jadis humilia son orgueil (14:32, 33) et pourrait lui nuire un jour en le remplaçant par Amasa. Il tuera Amasa lui-même quand le meurtre d’Absalom n’aura pas produit les résultats désirés. Un homme du peuple avait plus de respect pour la volonté du roi, que le chef même de son armée (v. 12, 13).

La déroute est complète, Israël s’enfuit devant Juda victorieux. Akhimaats voudrait être le premier à porter la bonne nouvelle à David. Lui qui avait exposé sa vie pour l’avertir d’un danger menaçant, ne veut maintenant laisser à personne le privilège de lui annoncer son triomphe. Joab, toujours politique et sachant les sentiments du roi pour Absalom, cherche à l’en dissuader, mais en vain. Que cela lui nuise personnellement ou entrave sa carrière, peu importe à Akhimaats; la politique de Joab n’est pas la sienne. Quoi qu’il arrive, il veut, prosterné devant le roi, reconnaître le premier la dignité qui lui est rendue. C’est là que tend toute son énergie, car tout son cœur appartient à David. Peut-être a-t-il aussi la pensée d’amortir et d’adoucir le coup que la mort d’Absalom va porter au cœur de son maître bien-aimé; ce qui est certain, c’est qu’il n’a en vue que sa gloire. Il devance le coureur envoyé avant lui. Puissions-nous courir comme Akhimaats! courir, pour nous trouver les premiers aux pieds de notre Sauveur victorieux, sans nous laisser devancer par personne!

Lorsque Cush annonce la fatale nouvelle, le cœur de David est brisé d’une douleur inconsolable: «Mon fils Absalom! mon fils! mon fils Absalom! Fussé-je mort à ta place! Absalom, mon fils, mon fils!» (v. 33).

«Fussé-je mort à ta place!» David ne le pouvait pas. Cela était réservé à un seul qui mourut pour des impies, le seul qui fut compté parmi les transgresseurs et qui porta les péchés de plusieurs (És. 53:12). Mais David pouvait donner essor à sa douleur au sujet de la perte définitive de celui dont il avait si ardemment désiré le salut.

À tout ce deuil se mêlaient sans doute des sentiments humains, c’est pourquoi David dut avoir le cœur brisé. Tout en étant beaucoup, l’esprit brisé (Ps. 51:19) ne suffit pas. Avec un esprit brisé, la volonté propre ne peut agir. Avant d’avoir l’esprit brisé, David avait suivi sa volonté, qui l’avait conduit à l’adultère et au meurtre d’Urie. Un esprit brisé fait l’abandon de sa volonté pour dépendre de Dieu (15:25, 26; 16:10-12; 18:4). Il n’était pas nécessaire que l’esprit de Jésus fût brisé. Ne dit-il pas, en entrant dans le monde: «Me voici, pour faire, ô Dieu, ta volonté»?

Mais il faut tôt ou tard que notre cœur soit brisé, aussi bien que notre esprit. Dieu commence tantôt par l’un, tantôt par l’autre. Pierre, quand il pleura amèrement, avait réellement le cœur brisé et humilié, car le brisement de cœur ne va pas sans l’humiliation (Ps. 51:19). Pierre n’a l’esprit brisé que plus tard: «Quand tu étais jeune», lui dit Jésus, «tu te ceignais, et tu allais où tu voulais; mais quand tu seras devenu vieux, tu étendras les mains, et un autre te ceindra, et te conduira où tu ne veux pas» (Jean 21:18).

Souvent le cœur ne se brise pas en une fois; celui de David le fut en trois occasions: à la cour d’Akish, quand il vit qu’il avait déshonoré le Seigneur et que lui-même était dans la poussière (Ps. 34:19); après la perte de son enfant (Ps. 51:17); enfin, dans notre chapitre. Ici l’humiliation était déjà complète, et cependant il fallait encore que les affections naturelles fussent consumées et réduites en cendres, pour que des affections divines occupassent seules le cœur de David. Dieu n’obtient ce résultat que par ce moyen. Ce n’est que dans un cœur brisé que le Seigneur peut occuper toute la place.

Le cœur de Christ fut aussi brisé, mais d’une manière toute différente du nôtre. Son amour méconnu, voilà ce qui lui brisait le cœur. Plus cet amour se montrait, plus la haine s’élevait contre lui. «L’opprobre m’a brisé le cœur» (Ps. 69:21). Il n’avait pas besoin, comme nous, de ce brisement pour être dépouillé. Il était l’amour même, mais son cœur humain était brisé par l’impossibilité de montrer cet amour en face de la haine de l’homme, dont la seule réponse à tant de grâce était l’opprobre et l’ignominie de la croix. Et malgré cela, le cœur brisé du Sauveur a supporté la malédiction et tout le poids du jugement de Dieu, afin de sauver ceux qui l’injuriaient et lui crachaient au visage. .

Mais n’oublions pas que pour nous un brisement continuel est nécessaire. Chaque fois que Dieu veut montrer en nous quelque nouveau caractère de Christ, il brise notre cœur pour le faire apparaître. Il en fut ainsi de l’apôtre Paul. La lumière et la vie de Jésus, sortant d’un vase brisé, réchauffaient et vivifiaient l’âme de ses frères.

Désormais Dieu n’a plus besoin de briser David. Le soleil enfin se lève radieux; son cœur est rempli d’une grâce qui sort de sa cruelle épreuve, et il va devenir pour d’autres le dispensateur de cette grâce divine.