2 Samuel

Chapitre 16

Amis et ennemis

Les circonstances que David traverse mettent a l’épreuve l’état des cœurs, aussi les divers caractères des hommes qui viennent au-devant du roi sont-ils, sous ce rapport, très instructifs pour nous.

Nous avons vu Itthaï, un cœur né d’hier pour David, et par cela même un cœur simple. Le roi dont il est devenu le serviteur, est tout pour lui. Avec un tel objet, l’on est toujours bien dirigé. Tsadok et Abiathar n’ont pas tort d’estimer que l’arche doit être avec le roi; ils ont une intelligence générale des pensées de Dieu, mais tiennent moins compte de Ses voies envers David. Ce dernier les leur enseigne lui-même en les renvoyant. Il doit compter entièrement sur Dieu pour être ramené, ayant mérité cette discipline; et même s’il était entièrement rejeté, David se soumettrait, car tout ce que Dieu fait est bon.

Hushaï a un autre caractère, aussi beau dans son genre que celui d’Itthaï et, de fait, ayant bien plus l’expérience des pensées de Dieu. Hushaï est «l’intime ami de David»; un grand amour les unit et ils n’ont pas de secrets l’un pour l’autre — et cependant Hushaï, à l’opposé d’Itthaï, consent à être pour un temps séparé de son ami. Cela lui coûte, à lui qui était venu au-devant de David lui exprimer toute sa sympathie, mais il choisit la meilleure manière de le servir et retourne à Jérusalem. Hushaï, avec un amour calme et profond pour son ami, a la connaissance que n’avaient pas même les souverains sacrificateurs, connaissance qui lui est du reste communiquée par David lui-même: «Tu annuleras le conseil d’Akhitophel». C’est dans l’intimité de Christ que nous recevons la communication de ses pensées.

Le chapitre 16 nous parle en premier lieu de Tsiba, prompt à l’action, prompt au service. Bâter les ânes, les charger de tout ce qui est nécessaire pour les compagnons de la fuite du roi, les rejoindre, rien ne lui coûte. Beau zèle, bel effet de la grâce dans le cœur, car rien ne l’obligeait à cet acte. Et cependant le cœur zélé manque de droiture, ou pour dire le moins, impute à Mephibosheth des motifs qui lui sont étrangers. Je ne crois pas qu’il mente sciemment; il ne dit pas que Mephibosheth lui ait communiqué ses desseins, mais constatant un retard dans les décisions de son maître, il lui prête des intentions qui, nous le voyons au chap. 19, étaient loin de son cœur. Rien n’est dangereux comme de prétendre lire dans les pensées des autres pour connaître leurs motifs. Une certaine acuité de jugement, jointe à une certaine connaissance du cœur humain, nous y porte facilement. Nos conclusions sont toujours peu charitables. Démêler les bonnes intentions étant d’un médiocre intérêt, nous insistons plutôt sur les mauvaises. Or Dieu se réserve le jugement de ce qui se passe dans les cœurs; Lui seul en connaît et en juge les secrets. Le Seigneur nous dit: «Ne jugez pas, afin que vous ne soyez pas jugés» (Matt. 7:1); ne nous exposons donc pas à être jugés nous-mêmes par les autres. C’est ce qui arrive plus tard à Tsiba, mis en présence de Mephibosheth. David, n’étant pas ici un type de Christ, manque, semble-t-il, d’une certaine clairvoyance. Il revient plus tard (19:29) sur sa décision; néanmoins il offre ici un bel exemple de Celui qui récompensera au centuple ce qui a été fait pour lui, quelle que soit la faiblesse de ses serviteurs: «Voici, tout ce qui est à Mephibosheth est a toi» (v. 4).

Après l’exemple du dévouement, nous trouvons celui de la haine. Dieu la permet, car elle fait partie de sa discipline envers David, mais ce fut aussi la part de Christ: «Ils m’ont haï sans cause» (Jean 15:25). Comment n’en serait-il pas de même pour ses disciples? Mais Lui seul pouvait dire: «Sans cause». Les motifs de haine de Shimhi étaient sans doute illégitimes, et David n’y avait nullement donné prise, mais le roi humilié tenait pour vrai le jugement de son ennemi. Shimhi calomniait David: «Sors, sors, homme de sang, et homme de Bélial! L’Éternel a fait retomber sur toi tout le sang de la maison de Saül, à la place duquel tu as régné, et l’Éternel a mis le royaume dans la main d’Absalom, ton fils et te voilà pris dans ton propre mal, car tu es un homme de sang» (v. 7, 8). Indigne calomnie! Être accusé de cette manière, lui qui avait épargné Saül dans la caverne et au milieu de son camp endormi, qui pour le mal ne lui avait jamais rendu que du bien, qui s’était montré juste, patient, saint dans toutes ses voies (1 Rois 15:5), ne se vengeant jamais, qui avait respecté en Saül l’oint de l’Éternel, qui avait honoré d’un chant de deuil la mort de son ennemi!

Toute son intégrité se soulevait contre une telle accusation — et cependant il était un homme de sang! Shimhi ne le savait pas, mais Dieu le savait. Ce méchant était un instrument divin pour rappeler sa faute à David: «Qu’il maudisse, car l’Éternel lui a dit: Maudis David!» (v. 10). David accepte la malédiction; son cœur brisé ne cherche ni défense, ni excuse, ni aucune compensation dans sa justice passée. Pour lui, c’est le jugement de Dieu, et son seul recours est la grâce: «Peut-être l’Éternel regardera mon affliction, et l’Éternel me rendra le bien pour la malédiction qui tombe aujourd’hui sur moi» (v. 12). N’est-il pas ici de nouveau le type frappant du résidu juif: l’intégrité, la justice pratique, et l’humiliation causée par le meurtre du Juste, dont ils avaient dit: «Que son sang soit sur notre tête et sur celle de nos enfants» — alliées dans un même cœur?

Abishaï, digne fils de Tseruïa, cherche à détourner David de l’humble soumission aux voies de Dieu en discipline. «Pourquoi ce chien mort maudit-il le roi, mon seigneur? Laisse-moi passer et lui ôter la tête». On ne peut attendre d’Abishaï qu’il se traite lui-même de chien mort comme Mephibosheth, ou comme David devant Saül. Quelque haïssable que fût Shimhi, lui et Abishaï se valaient aux yeux de Dieu. Le sentiment de notre indignité nous préserve de paroles outrageantes contre la race à laquelle nous appartenons. Un misanthrope est toujours un homme qui s’estime meilleur que les autres. Cependant l’occasion semblait justifier ces paroles. Dieu avait été méprisé, outragé. Ne fallait-il pas prendre son parti contre l’homme violent? C’est ce que fit Pierre lorsque la troupe du traître Judas emmenait son maître. Pierre avait-il raison quand il s’agissait d’un plus grand, d’un plus digne que David? «Remets ton épée en son lieu», lui dit Jésus, «car tous ceux qui auront pris l’épée, périront par l’épée» (Matt. 26:52). Les paroles d’Abishaï montrent encore une complète incapacité d’entrer dans les souffrances de David sous la discipline de Dieu, de comprendre à la fois son humble soumission et la résolution inébranlable qui le faisait marcher dans ce chemin. Comment la chair, dont la volonté, ennemie de Dieu, ne peut se soumettre à Lui, comment la chair comprendrait-elle une parfaite dépendance qui n’a d’autre volonté que celle du Père? Pierre nous en fournit de nouveau l’exemple. Le Seigneur, ayant montré à ses disciples qu’il fallait qu’il souffrît beaucoup de la part des anciens et des principaux sacrificateurs et des scribes, et qu’il fût mis à mort, «Pierre se mit à le reprendre, disant: Seigneur, Dieu t’en préserve, cela ne t’arrivera point!» Que lui dit le Seigneur! «Va arrière de moi, Satan, tu m’es en scandale; car tes pensées ne sont pas aux choses de Dieu, mais à celles des hommes» (Matt. 16:23). David dit à Abishaï: «Qu’y a-t-il entre moi et vous, fils de Tseruïa?» Leurs pensées ne pouvaient être produites que par la chair et provenaient de l’ennemi. David accepte le calice de la main de Dieu, comme Jésus plus lard en Gethsémané. «Peut-être», dit-il, «l’Éternel regardera mon affliction, et l’Éternel me rendra le bien pour la malédiction qui tombe aujourd’hui sur moi». Quelle parole! Soyons-en persuadés, Dieu est le Dieu de grâce, et la malédiction n’est pas plus le terme de ses voies envers ses bien-aimés, qu’elle ne le fut à l’égard de Christ?

Hushaï, accueilli par Absalom, ne s’oppose pas au conseil d’Akhitophel au sujet des concubines de David. Son intimité avec ce dernier lui est d’un grand secours, car il ne pouvait ignorer ce que Dieu avait dit au roi et il devait laisser cours au décret divin (12:11, 12). Akhitophel, croyant fortifier par ce moyen les mains d’Absalom (v. 21), ne faisait qu’accomplir la parole de Dieu, avancer la fin de ses voies, et hâter la restauration de celui qu’il pensait détruire. Ce méchant sera bientôt pris dans ses propres filets, et lui qui, pour faire le mal, ne semble pas avoir d’autre motif que de le faire, finit comme Judas auquel il ressemble, et cet «intime ami» qui avait levé le talon contre David (Ps. 41:10), s’étrangle et meurt.