2 Samuel

Chapitre 14

Joab

Nous avons remarqué plus haut que le premier livre des Chroniques garde le silence sur les événements qui nous occupent. Dans notre récit, David n’est plus qu’incidemment le type de Christ, mais représente plutôt le résidu restauré, traversant la tribulation sous la culpabilité de la mort du Juste. Cependant toutes les expériences de David dans ces chapitres sont aussi pour nous d’une application immédiate, parce que, placés comme lui dans une position de responsabilité, nous sommes des objets de discipline comme lui.

Le chap. 14 nous montre comment Joab réussit à gagner le cœur de David. Nous avons déjà remarqué que Joab ne fait jamais une chose qui ne lui soit utile. S’il a embrassé la cause de David, ce n’est pas par affection, quoiqu’il fasse preuve d’un certain attachement à son maître, mais parce qu’il estime le parti de David le plus propre à satisfaire ses vues ambitieuses. Elles n’allaient pas jusqu’à la royauté; il était assez avisé pour savoir que l’accès au trône lui était fermé; son ambition se bornait à être généralissime, ministre de la guerre, conseiller du roi. Si quelque obstacle à ses desseins se dressait devant lui, il était prompt à le surmonter et un crime ne l’arrêtait pas.

Avant tout, Joab cherchait à se rendre indispensable. Le meilleur moyen était de se faire le serviteur des faiblesses du roi. Quand David se débarrasse d’Urie en le remettant aux mains de Joab, ce dernier n’a pas une parole de reproche; il agit sans hésitation. David coupable a gagné un complice discret, mais qui, par sa discrétion même, est devenu son maître. La réputation du roi dépend désormais de Joab. Seulement les plans de ce dernier sont déjoués par l’intervention divine. Dieu parle, David se reconnaît coupable; la lèpre, au lieu de rester cachée, est publiquement manifestée et reconnue dans l’humiliation et dans les larmes, non seulement devant Dieu, mais devant les hommes.

Ainsi tous les plans de Joab sont déjoués, tous ses intérêts lésés; il ne peut plus dominer son maître par son crime secret: il lui faut s’y prendre autrement pour regagner son influence. Au moment de s’emparer de Rabba, déjà privée de la source d’eau qui l’alimente, Joab fait dire à David: «Maintenant assemble le reste du peuple et campe contre la ville, et prends-la, de peur que moi je ne prenne la ville et qu’elle ne soit appelée de mon nom» (12:28). Quel désintéressement! Mais ne regagne-t-il pas ainsi son ascendant sur le cœur du roi? David obéit; nous avons vu, dans le chapitre précédent, que sa victoire sur Rabba n’est pas en faveur de son instinct spirituel, mais Joab redevient indispensable et retrouve l’ascendant qu’il avait perdu.

À la fin du chap. 13, le roi languissait après Absalom. C’était une fâcheuse faiblesse. Absalom était un meurtrier; la loi de l’Éternel ne permettait pas à David de languir après lui. Le meurtrier tombait entre les mains du vengeur du sang, et l’expiation ne pouvait être faite que par le sang de celui qui l’avait versé (Nomb. 35:33). David l’avait montré pour l’Amalékite, pour Baana et Récab. Absalom, rentrant de son exil volontaire, la sentence devait être exécutée. L’épargner, c’était ajouter une désobéissance à une transgression. Le fait d’avoir épousé Maaca, fille de Talmaï, roi de Gueshur (Absalom s’était réfugié chez son grand-père), était une transgression de David. Talmaï était un des rois cananéens épargnés par l’infidélité du peuple (Jos. 13:2-3); tout mariage avec eux était interdit à Israël (Ex. 34:15, 16). Bien avant que cette interdiction fût prononcée, le sens spirituel d’Abraham lui en avait fait une loi (Gen. 24:3). David s’était servi de la puissance souveraine pour enfreindre cette ordonnance, au lieu d’obéir à la loi.

Tous ces faits humiliants auraient dû imposer silence aux affections de David; mais Joab veille, intéressé à ce que le roi ne suive pas le simple chemin de l’obéissance. «Joab, fils de Tseruïa, s’aperçut que le cœur du roi était pour Absalom» (v. 1). Il n’est pas homme à n’en pas profiter et prépare une intrigue indigne, pour amener David à rappeler le fugitif à Jérusalem. Les paroles qu’il met dans la bouche de la femme thekohite portent à supposer chez Joab l’arrière-pensée que David pourrait désigner Absalom comme son successeur: «Ils ont dit: Livre celui qui a frappé son frère, afin que... nous détruisions aussi l’héritier» (v. 7). «Pourquoi as-tu pensé ainsi contre le peuple de Dieu?» (v. 13). «L’homme qui veut nous exterminer, moi et mon fils ensemble, de l’héritage de Dieu» (v. 16). En vérité, on peut voir dans les paroles de cette femme, que Joab avait la pensée de se ménager pour l’avenir une position auprès d’Absalom, qui lui serait certainement reconnaissant de l’avoir ramené à la cour.

Et Joab avait l’audace, pour accomplir cette machination, de se porter garant, auprès du roi, des pensées de Dieu: «Dieu ne lui a point ôté la vie, mais il a la pensée que celui qui est chassé ne demeure plus chassé loin de lui!» (v. 14).

En tout cela David était excusable, sans doute, si nous pensons aux sentiments naturels d’un père pour son fils, mais coupable comme serviteur de Dieu. L’Éternel lui avait désigné, par la bouche du prophète (12:24, 25), celui de ses fils sur lequel reposait son choix; c’était Salomon, fils de Bath-Shéba, que Dieu avait appelé «Jedidia, le bien-aimé de l’Éternel». Joab se rendait compte que le cœur de David caressait en secret, sans se l’avouer peut-être clairement à lui-même, la pensée d’avoir Absalom pour successeur. Entre la parole positive de Dieu et les insinuations intéressées de Joab, le roi pouvait-il hésiter? Il aurait dû comprendre qu’Absalom, malgré tous ses avantages extérieurs (v. 25-27), quoiqu’il fût un homme plus beau et peut-être tout aussi imposant que Saül, ne pouvait être l’homme des conseils de Dieu. Il avait vu son frère Éliab, dont même un Samuel pensait: «Certainement l’oint de l’Éternel est devant lui» (1 Sam. 16:6), mis de côté, malgré sa belle apparence, pour lui faire place, à lui, le pauvre gardeur de brebis. C’est une chose sérieuse de nous laisser diriger par nos affections naturelles, quelque légitimes qu’elles soient, et non par le jugement spirituel que Dieu nous a donné.

Ce n’est certes pas qu’à cette époque tout ne fût que faiblesse chez le roi bien-aimé. Il y avait dans son cœur une corde divine que l’on ne faisait jamais vibrer en vain. Joab le savait bien et ne manque pas de s’en servir. L’appel à la grâce trouvait toujours un écho chez David; la Thekohite vient donc plaider pour la grâce, auprès de lui. Le roi cède, oubliant, que la grâce n’est pas seule en cause; Dieu est aussi un Dieu juste, et l’on ne peut exalter sa grâce aux dépens de sa justice. Le conseil de Joab, suivi par David, le conduit à un abus de la grâce, d’autant plus sérieux que ses sentiments naturels étaient en jeu. C’est comme le miel dont le mélange avec les sacrifices était interdit (Lév. 2:11). La grâce ne doit donner aucune place aux sentiments, aux liens humains, à la douceur de la nature humaine. Tel ne fut pas le cas de David. Cédant à son amour paternel, il ne discerne pas suffisamment l’œuvre de l’ennemi, quoiqu’elle ne pût lui échapper entièrement: «La main de Joab n’est-elle pas avec toi dans tout ceci?» (v. 19). La femme avoue: «Joab a fait cela» (v. 20); et le roi dit à Joab: «Voici, j’ai fait cela» (v. 21). Il prend maintenant la responsabilité de ce que Joab a voulu faire. L’ennemi, Absalom, est reçu à Jérusalem, et quel ennemi!

Cependant David ne veut pas que le coupable se présente devant lui. Joab accepte la décision de son maître. Une fois, deux fois, il refuse de voir Absalom qui le fait appeler, sentant qu’il est de son intérêt d’être avec le roi. Absalom, dans son emportement, fait mettre le feu au champ de Joab, usant de violence envers celui qui, après avoir plaidé sa cause, était allé le chercher à Gueshur et l’avait ramené à Jérusalem, comptant s’en faire un obligé. Joab, poussé par ses intérêts, vient s’enquérir auprès d’Absalom des raisons de son acte, et il lui faut, contre son gré, intercéder auprès de David pour qu’il consente à revoir son fils.

En Absalom, Joab a trouvé son maître. Dieu permet toutes ces choses. Il s’est déjà servi des ruses, de l’habileté, de la méchanceté, de la cruauté de Joab, pour accomplir ses desseins; il va se servir d’Absalom dans le même but, et ses voies ne seront, en définitive, que grâce envers David. Mais Joab est obligé d’obéir à celui qu’il pensait dominer. Il ne l’oubliera pas. Absalom est devenu un obstacle à ses vues, une puissance sur laquelle il ne peut plus compter et qui se tourne contre lui. Quand le moment sera propice, Joab tuera Absalom.