2 Rois

Chapitre 12

Joas, roi de Juda

L’état dont nous venons de parler ne dura pas. Le règne de Joas est un triste exemple, donné par la Parole, d’un heureux commencement dans la puissance de l’Esprit de Dieu et d’une fin où s’évanouit tout ce que le début avait fait espérer. Fait exceptionnel, les Chroniques nous exposent en détail l’infidélité finale de Joas, tandis que les Rois, sans doute pour établir le contraste entre le culte du vrai Dieu, rétabli en Juda, et la religion idolâtre d’Israël, ne nous parlent que du commencement heureux et béni de ce règne. Commençons donc par celui-ci, mais examinons d’abord ce qui, dans le caractère de Joas, put l’amener à renier complètement les principes qui caractérisaient le début de sa carrière.

Les premiers mots de notre récit nous renseignent à cet égard. «Joas fit ce qui est droit aux yeux de l’Éternel, tous les jours que Jehoïada, le sacrificateur, l’instruisit» (v. 2). Joas, élevé dès ses plus tendres années dans la loi de l’Éternel, gardé avec une pieuse sollicitude de toute tentation extérieure, par les soins de Jehoïada et de Jehoshéba, doué d’un caractère facile, brillant plus par la soumission que par l’énergie, subissant les bonnes influences tant qu’elles prévalaient, mais en danger, par manque de «vertu», de subir les influences mauvaises. — Joas s’était habitué depuis l’enfance à jouir de relations avec Dieu par un intermédiaire, sans éprouver le besoin d’une communion directe avec l’Éternel. Non que l’esprit d’initiative lui manquât; le courant de piété dans lequel il était engagé le rendait capable, à l’occasion, de reprendre le souverain sacrificateur lui-même (v. 7), mais la direction immédiate de l’Esprit de Dieu lui faisait défaut.

Les enfants des chrétiens offrent souvent ce spectacle. La foi de leurs parents guide leurs premiers pas, chose légitime et approuvée de Dieu. Ils montrent plus tard une foi réelle, mais non dépouillée de ses premières habitudes et regardant à l’homme plutôt qu’à Dieu lui-même. Leur conscience n’a pas été profondément exercée quant à l’état de péché de l’homme et à son éloignement naturel de Dieu. Ils croient ce qu’ils ont toujours cru, et cependant on ne peut douter qu’ils n’aient la vie. Leur conduite ne laisse rien à désirer et ils ont un véritable intérêt pour les choses de Dieu. La Parole ne leur est pas inconnue, et l’on voit un Joas rappeler même au souverain sacrificateur «le tribut de Moïse, serviteur de l’Éternel, imposé à la congrégation d’Israël pour la tente du témoignage» (2 Chron. 24:6). Mais l’heure de leur émancipation spirituelle n’a pas encore sonné, quand depuis longtemps cela aurait dû avoir lieu. Une connaissance et une piété réelles ne remédient pas aux relations directes de l’âme avec le Seigneur. Le chrétien doit les rechercher avant tout. Des milliers d’âmes pieuses restent à l’état d’enfance, dépendant de leurs parents d’abord, plus tard de leurs «conducteurs spirituels», au lieu de dépendre de Dieu et de la Parole. Que le conducteur disparaisse, leur piété disparaît avec lui; qu’il se détourne, leur âme se détourne après lui. Quelque aimables que soient certains traits de cette piété, puissions-nous en être gardés, surtout dans les temps fâcheux que nous traversons. Méditons souvent cette parole de l’apôtre, adressée aux «petits enfants»: «Vous avez l’onction de la part du Saint et vous connaissez toutes choses» (1 Jean 2:20, 26-27). Non pas que l’obéissance aux conducteurs doive faire défaut. Les chrétiens doivent obéir à leurs conducteurs et être soumis, parce qu’ils «veillent sur leurs âmes»; l’apôtre leur recommande aussi de se souvenir des conducteurs qui leur ont «annoncé la parole de Dieu», mais cela n’implique nullement qu’il leur faille être soumis à tous sans discernement, et encore bien moins qu’ils ne doivent pas, pour être gardés, chercher la communion directe et immédiate du Seigneur. Joas, lui, obéissait aux conducteurs indistinctement, qu’ils fussent Jehoïada ou les princes — et ce fut sa ruine.

Les conducteurs peuvent changer et faillir, Christ seul ne change pas: Il est le même, hier, aujourd’hui et éternellement; il est «le grand Berger des brebis». C’est à Lui que nous devons nous attacher. Telle est une des sérieuses instructions que nous offrent le caractère et la carrière de Joas.

Dès le début de son règne, une chose, en apparence secondaire, annonçait déjà le déclin: «Seulement les hauts lieux ne furent pas ôtés; le peuple sacrifiait encore et faisait fumer de l’encens sur les hauts lieux» (v. 3). Dès le règne de Salomon, la présence des hauts lieux était tolérée, non qu’elle fût au début, avant l’érection du temple, une idolâtrie manifeste. Salomon sacrifiait à Dieu sur le principal haut lieu de Gabaon (1 Rois 3:2-4); mais déjà le peuple, encouragé par l’exemple du roi, y voyait autre chose, et ses pensées superstitieuses ou idolâtres, montaient avec l’encens qu’on y faisait fumer. Par les hauts lieux, Roboam, fils de Salomon, laisse une idolâtrie éhontée s’emparer de son royaume. Dès lors, aucun des rois fidèles de Juda n’avait eu le courage de les abolir. Asa, dont «le cœur fut parfait avec l’Éternel, tous ses jours», ne les ôte pas (1 Rois 15:14). Josaphat, qui «marcha dans toute la voie d’Asa, son père; il ne s’en détourna pas, faisant ce qui est droit aux yeux de l’Éternel», les laissa subsister (1 Rois 22:43-44). Il n’est pas parlé des hauts lieux à propos d’Abijam, fils de Roboam, de Joram de Juda, et d’Achazia, parce que ces rois impies suivirent la voie des rois d’Israël et commirent de bien pires idolâtries que celle-là. Le même fait, mentionné au sujet de Joas, se renouvelle dans notre livre pour Amatsia, son fils, quoiqu’il fît ce qui est droit aux yeux de l’Éternel (14:3-4); pour Azaria (ou Ozias), fils d’Amatsia (15:3-4); pour Jotham, fils d’Ozias (15:34-35); tandis qu’Achaz, fils de Jotham, qui suivit la voie des rois d’Israël, se servit des hauts lieux pour son abominable idolâtrie (16:3-4). Avec Ézéchias et la première restauration véritable de Juda, les hauts lieux disparaissent enfin (18:4). L’impie Manassé, son fils, les rebâtit (21:3); Ammon, fils de Manassé, suit la voie de son père. Enfin Josias, lors de la seconde restauration, ne se contente pas de les ôter comme le pieux Ézéchias, mais les détruit de fond en comble, les souille et remplit d’ossements les lieux où ils étaient (23:8, 13, 14). Cette destruction fut si complète, qu’aucun des mauvais rois qui suivirent n’eut la possibilité de les réédifier. De fait, un seul roi en Juda, Josias, et cela vers la fin de l’histoire du peuple, a extirpé définitivement ce mal et ce danger permanent pour le peuple de Dieu. Ces temps de la fin, ces temps de ruine correspondant aux nôtres, nous donnent de tels exemples. Si, comme aux jours de Josias, le témoignage actuel de Dieu a beaucoup moins d’importance et d’étendue aux yeux des hommes, s’ils le considèrent même, selon leur expression, comme une quantité négligeable, il n’en est pas de même aux yeux de Dieu. Le témoignage d’un Ézéchias ou d’un Josias est enregistré dans son «livre de mémoire», et quand même ce témoignage ne met qu’une digue momentanée au cours du déclin et un retard à l’exécution du jugement, il fait ressortir le caractère de Dieu dans ce monde et sert de moyen de salut ou d’édification à bien des âmes.

Le premier souci de Joas fut le temple de l’Éternel, le lieu de la présence de Dieu au milieu de son peuple. Quand il y a un réveil de piété, cet objet négligé acquiert une valeur toute nouvelle. Les enfants de Dieu éprouvent le besoin de se grouper là où il a plu au Seigneur de faire habiter son nom, et de mettre en honneur par leur activité, leur dévouement et toute leur conduite, sa présence au milieu des siens.

«Et Joas dit aux sacrificateurs: Tout l’argent des choses saintes qui est apporté dans la maison de l’Éternel, l’argent de tout homme qui passe par le dénombrement, l’argent des âmes selon l’estimation de chacun, tout argent qu’il monte au cœur de chacun d’apporter dans la maison de l’Éternel, que les sacrificateurs le prennent, chacun de la part des gens de sa connaissance, et qu’ils réparent les brèches de la maison, partout où il se trouvera des brèches» (v. 5-6).

Comme nous l’avons dit plus haut, on voit ici chez Joas une connaissance exacte de cette loi de l’Éternel qui avait été «mise sur lui» à son couronnement. Bien des sommes devaient être employées, selon l’ordre du roi, à la restauration du sanctuaire. D’abord, «l’argent des choses saintes qui est apporté dans la maison de l’Éternel». Il comprenait tous les cas, mentionnés par Moïse, de dons volontaires et «d’esprit libéral» pour l’édification du sanctuaire (Ex. 35:5, 20-29; Nomb. 7). Dans cette catégorie peut entrer l’argent du butin (Nomb. 31:25-54). L’argent du rachat et du dénombrement constituait la seconde catégorie (Ex. 30:11-16; Nomb. 3:44-51). — Enfin, l’argent des âmes selon l’estimation de chacun, consistait en tout don volontaire et qui n’était prescrit par aucune loi ni ordonnance. Cela avait eu lieu à différentes reprises, comme nous le montrent quelques-uns des passages cités. La chose importante pour Joas était de remonter au «tribut de Moïse, serviteur de Dieu, imposé à Israël dans le désert» (2 Chron. 24:9), et de ne pas s’écarter de la parole de la loi, quand il s’agissait de remettre en honneur la maison de Dieu et tout ce qui s’y rapportait. Il en est de même de nos jours. Pas plus que pour Joas, il n’est question pour nous de recommencer à bâtir la maison, de refaire une nouvelle Église, mais seulement de réparer ses brèches et, pour cela, Dieu ne nous abandonne pas à notre initiative qui ne ferait qu’ajouter aux maux anciens des brèches nouvelles. Nous aussi, nous avons, dans la parole de Dieu, notre tribut de Moïse, l’indication de ce que Dieu attend de nous, et si nos cœurs sont «de bonne volonté», ils ne chercheront qu’une chose, les intérêts de Christ et de la maison de Dieu ici-bas.

Si Joas est à ce moment-là rempli de zèle, il ne le rencontre pas au même degré dans la sacrificature, et même chez le pieux Jehoïada qui en est le chef. Les sacrificateurs emploient à leur usage les dons qu’ils tirent des gens de leur connaissance (v. 8,9); non pas qu’ils n’eussent droit à vivre de l’autel, mais leurs intérêts primaient dans leur cœur ceux de l’Éternel et de sa maison, et leur conduite le démontrait. Ils vivaient des dons et la maison de Dieu gardait ses brèches. Jehoïada lui-même les laissait faire sans protester. On voit plus bas (v. 16), que des personnes sans caractère officiel, depuis ceux qui étaient préposés aux travaux jusqu’aux charpentiers et aux maçons, «agissaient fidèlement», bien plus que les sacrificateurs eux-mêmes. Exhortons-nous, d’après l’exemple de ces hommes, à montrer le même cœur à l’ouvrage et «toute bonne fidélité» dans le service qui nous est confié, afin «d’orner en toutes choses l’enseignement qui est de notre Dieu Sauveur».

D’autre part, ceux qui avaient l’argent en main, pour le distribuer aux ouvriers, ne montraient à leur égard aucune défiance, car ils reconnaissaient le désintéressement mis au jour par toute leur conduite. Ainsi régnait une heureuse communion entre tous, et rien ne venait entraver la marche régulière du travail. Un tel résultat se produit toujours quand les intérêts de la maison de Dieu, au lieu d’être relégués au second plan, sont considérés comme la chose capitale.

Malgré cela, les besoins des sacrificateurs n’étaient point oubliés. Certaines sommes (l’argent pour le délit et celui des sacrifices pour le péché) n’étaient point versées dans le coffre placé à l’entrée de la maison de l’Éternel, et restaient affectées à la sacrificature (v. 16); il était ainsi pourvu à tout avec ordre et mesure.

Entre les versets 17 et 18, s’intercale le récit de 2 Chron. 24:17-22, c’est-à-dire la chute de Joas, allant jusqu’au meurtre du prophète Zacharie, fils de Jehoïada. Il sera temps de méditer cette triste année finale d’un si beau règne, quand nous en viendrons aux livres des Chroniques; mais elle suffit pour anéantir les fruits du témoignage de Joas.

Hazaël, roi de Syrie, verge de Dieu, monte contre Jérusalem, après s’être emparé de Gath située au pied des montagnes de Juda et qui formait la clef du pays du côté des Philistins. Joas, pour payer sa rançon à Hazaël, lui envoie toutes les choses saintes de la maison de Dieu. Qu’était devenu son beau zèle pour tout ce qui appartenait à l’Éternel? D’après 2 Chron. 24:23-27, cela n’empêche pas même Hazaël de faire acte de présence à Jérusalem avec un petit nombre d’hommes, à la honte et à l’opprobre de la grande armée de Joas, sans force, parce qu’il avait abandonné l’Éternel, le Dieu de ses pères. Tous les chefs du peuple qui avaient incité le roi au mal et conspiré contre Zacharie, sont mis à mort, et ainsi s’accomplit la parole prononcée par le prophète mourant: «Que l’Éternel regarde et redemande!» Joas lui-même, laissé par l’ennemi «dans de grandes maladies», est tué par ses serviteurs, un Ammonite et un Moabite, qui conspirent contre lui, instruments inconscients de la justice divine qui vengeait aussi sur le roi le sang du fils de Jehoïada, selon la parole du prophète.