2 Corinthiens

Henri Rossier

Chapitre 1er

Vous connaissez, chers amis, les circonstances extérieures qui ont donné lieu à cette épître. L’apôtre avait écrit d’Éphèse une première lettre aux Corinthiens, après avoir appris le désordre qui régnait parmi eux et auquel son cœur était d’autant plus sensible, qu’ils étaient tous ses enfants dans la foi. L’Esprit de Dieu s’est servi de ces circonstances pour instruire tous les chrétiens sur l’ordre qui convient à la maison de Dieu. En effet, pour connaître l’organisation de l’Assemblée et nous y conformer, nous n’avons qu’à lire la première épître aux Corinthiens. Après leur avoir adressé sa lettre, l’apôtre avait envoyé Tite vers eux pour s’informer de leur état. Une grande porte était ouverte à son activité dans la Troade, mais, dans son inquiétude, il avait abandonné cette œuvre pour se rendre en Macédoine à la rencontre de Tite. Ce dernier lui ayant apporté de bonnes nouvelles des Corinthiens, l’apôtre leur écrivit cette seconde épître. Il était venu une première fois en personne auprès d’eux, puis une deuxième fois par sa première épître; il était prêt à venir personnellement vers eux une troisième fois, mais en attendant il les visitait une troisième fois par cette seconde lettre (12:14; 13:1). Sa deuxième visite personnelle à Corinthe est, sans aucun doute, relatée dans les versets 2 et 3 du chap. 20 des Actes, mais c’est la seule mention qui en soit faite.

Je donne ces détails pour que nous nous rendions compte des circonstances extérieures de Paul quand il écrivait cette seconde épître, mais il est beaucoup plus important pour nous d’y chercher ce que le Seigneur veut nous y enseigner. J’ai dit une fois qu’on pouvait intituler cette épître: Le ministère chrétien. Tout en étant exacte, cette définition est cependant loin d’embrasser l’ensemble des vérités que le Saint Esprit nous y présente. C’est ainsi que, dans le chapitre que nous venons de lire, nous trouvons en premier lieu les conditions dans lesquelles un chrétien doit se trouver pour exercer un ministère qui puisse être béni au-dehors. Or, en disant «les conditions du ministère», je parle de chacun de nous, car un certain état moral est nécessaire pour s’acquitter d’un service quelconque que le Seigneur nous confie.

Je vous ferai remarquer, au commencement de ce chapitre, une parole particulièrement édifiante. La voici: «Béni soit le Dieu et Père de notre Seigneur Jésus Christ, le Père des miséricordes et le Dieu de toute consolation, qui nous console à l’égard de toute notre affliction, afin que nous soyons capables de consoler ceux qui sont dans quelque affliction que ce soit, par la consolation dont nous sommes nous-mêmes consolés de Dieu» (v. 3, 4). Vous rencontrez trois fois dans les épîtres ce terme: «Béni soit le Dieu et Père de notre Seigneur Jésus Christ». Dans la première épître de Pierre, (1:3), l’apôtre bénit Dieu pour avoir été régénéré, c’est-à-dire pour avoir reçu personnellement la nouvelle naissance, qui caractérise chacun de nous au début de sa carrière chrétienne. Or, dans cette épître de Pierre, le chrétien n’a, dans ce monde, aucune autre chose que celle-là. Il a devant lui une espérance et marche vers elle, sans la posséder encore; son salut ne lui sera révélé que dans les derniers temps. Ce n’est pas, comme en d’autres épîtres, un salut actuel, mais une délivrance future et finale. L’apôtre bénit donc Dieu d’avoir reçu une vie nouvelle, avec laquelle il peut traverser le monde, sans y rien posséder, et, bien plus, sans avoir obtenu aucune des choses futures, les ayant encore toutes devant lui. Mais, par la foi en Christ, il possède la vie divine; il est parfaitement heureux de ne rien avoir d’autre et «se réjouit d’une joie ineffable et glorieuse», en recevant «un salut d’âmes», dans lequel il n’entre que comme «fin de sa foi». Chers amis, sommes-nous pleinement satisfaits d’être des enfants de Dieu et de n’avoir aucune part dans ce monde? d’avoir tous nos trésors devant nous, sans les avoir atteints et sans les posséder? Rien dans le présent, tout dans l’avenir? Cela suffisait à ces premiers chrétiens et leur communiquait une telle joie, qu’aucune autre partie de la Parole n’en présente l’expression d’une manière plus élevée: «Une joie ineffable et glorieuse

Dans l’épître aux Éphésiens (1:3), vous trouvez exactement l’opposé de ce qui nous est dit dans l’épître de Pierre. Là le chrétien n’a rien: ici, il a tout. Il est introduit dans le ciel, béni de toute bénédiction spirituelle dans les lieux célestes; il est arrivé au but; les désirs de son âme sont satisfaits; sa position est céleste en Christ; pour lui le monde a disparu, sauf pour y rendre témoignage et y combattre; d’en haut, le chrétien le voit sous ses pieds. Aussi nous comprenons fort bien cette parole: «Béni soit le Dieu et Père de notre Seigneur Jésus Christ!» Toutefois l’une de ces positions du chrétien est aussi réelle que l’autre. Dans l’une il est dans le monde, dans l’autre il est dans le ciel. Il est tout à la fois, comme Israël, mangeant la manne dans le désert, et se nourrissant du «vieux blé du pays».

La seconde épître aux Corinthiens nous présente le passage peut-être le plus étonnant des trois: «Béni soit le Dieu et Père de notre Seigneur Jésus Christ, le Père des miséricordes et le Dieu de toute consolation, qui nous console à l’égard de toute notre affliction, afin que nous soyons capables de consoler ceux qui sont dans quelque affliction que ce soit, par la consolation dont nous sommes nous-mêmes consolés de Dieu» (1:3, 4). Nous voyons ici un homme, entouré d’afflictions, d’épreuves, de douleurs, de souffrances si grandes qu’il désespère de vivre, étant déjà comme jeté dans la poussière de la mort. Quel est donc pour cet homme le motif de rendre grâces? C’est que Dieu se sert des circonstances les plus douloureuses de sa vie pour se glorifier et faire de lui le canal de bénédictions nouvelles pour d’autres. Paul est satisfait de souffrir, parce que le Dieu de toute consolation le console ou l’encourage (ce mot a les deux significations) dans toute son affliction, non pas pour sa propre âme, et en réponse à ses propres besoins, mais pour qu’il soit capable d’encourager ceux qui sont dans quelque affliction que ce soit. Paul avait subi et traversé toutes ces épreuves, et ses provisions de consolations étaient inépuisables de la part de Dieu pour lui-même, afin qu’elles le fussent pour d’autres.

Vous trouverez la même pensée dans la suite de cette épître où il se compare à un vase de terre dans lequel Dieu a mis son trésor. Le vase est fêlé ou brisé; c’était la mort qui opérait en l’apôtre, mais afin que la lumière puisse se répandre au-dehors et aller porter la vie dans le cœur des Corinthiens.

L’apôtre Paul possédait plusieurs secrets de son action et de son service au milieu des hommes. Nous les verrons dans le courant de nos lectures; mais le premier de tous, et ce qui donnait tant de puissance a son ministère, était qu’il en avait fini avec tout ce qui constituait l’homme dans la chair: Paul était un chrétien affranchi.

On peut prêcher l’affranchissement, l’expliquer clairement à d’autres, sans être soi-même affranchi, car, pour l’être réellement, il ne faut pas seulement, souvenez-vous-en, connaître l’affranchissement, mais le pratiquer.

Ce sont, en effet, deux choses très différentes: expliquer ce que c’est que d’être mort avec Christ, ou le réaliser. L’apôtre le réalisait pleinement. L’affranchissement a, pour ainsi dire, plusieurs côtés et comprend plusieurs sortes de délivrances.

Vous trouvez le premier côté au chap. 6 de l’épître aux Romains. C’est l’affranchissement du péché. Nous avons été identifiés avec Christ dans la ressemblance de sa mort et, si nous acceptons cela par la foi, notre vieil homme a été crucifié avec Lui, afin que «le corps du péché» (le péché, comme racine en nous de tous les péchés) soit annulé pour que nous ne servions plus le péché; car «celui qui est mort est justifié du péché». Or, si nous sommes morts avec Christ, nous croyons que nous vivrons aussi avec Lui. Tel est donc le premier côté de l’affranchissement. Nous en avons fini par la mort avec la domination du péché sur nous. Non pas que nous n’ayons pas le péché, la chair en nous, mais nous ne sommes plus dans la chair; nous avons été affranchis de sa domination. Un autre, Christ, est venu se mettre à notre place, a été fait péché pour nous (ce n’est pas seulement qu’il a porté nos péchés), est mort au péché, est vivant à Dieu, et si nous sommes unis à Christ, nous sommes morts au péché et vivants à Dieu. Aussi l’apôtre exhorte les chrétiens à se «tenir pour morts», afin que, si le péché se présente, ils puissent dire: «Je suis mort», et ne lui céder en aucune manière.

Dans l’épître aux Galates, vous trouvez d’autres côtés de l’affranchissement. Le premier (correspondant à Rom. 7) se trouve au chap. 2:19. «Par la loi, je suis mort à la loi». La loi a prononcé sur moi la sentence de mort, à cause du péché, mais cette sentence a été exécutée sur Christ, fait péché, quand il est «devenu malédiction pour nous», afin de «nous racheter de la malédiction de la loi» (Gal. 3:13, 14). La loi qui me condamnait a condamné Christ à mort, quand il a été fait péché pour moi. Désormais, en mourant, Christ est mort à la loi, et moi de même. Comme Lui, je suis mort au péché, afin que je vive à Dieu; comme Lui, je suis mort à la loi, afin que je vive à Dieu.

L’épître aux Galates nous présente encore un autre côté de l’affranchissement (5:24): «Or ceux qui sont du Christ ont crucifié la chair avec les passions et les convoitises». Ici, la crucifixion est l’acte de ceux qui sont du Christ. C’est à peu près le «mortifiez vos membres», de Col. 3:5, sauf que, dans notre passage, c’est une chose faite et accomplie une fois pour toutes. Celui qui, après être mort avec Christ, a reçu l’Esprit comme puissance de sa nouvelle vie, est censé avoir fait usage de cette puissance pour en finir avec la chair et se soustraire à sa domination, car elle domine par les passions, et par les convoitises qui sont l’amorce des passions. Nous trouvons donc ici la réalisation pratique, dans la puissance de l’Esprit de Dieu, de la domination sur la chair qui a déjà rencontré son jugement complet à la mort de Christ.

À la fin de cette même épître aux Galates (6:14), nous trouvons encore un nouveau côté de l’affranchissement: «Qu’il ne m’arrive pas à moi de me glorifier, sinon en la croix de notre Seigneur Jésus Christ, par laquelle le monde m’est crucifié, et moi au monde». L’apôtre était affranchi, par la croix, de tout cet ordre de choses dont l’homme pécheur est le centre et dont Satan est le prince. Le monde, le système qui avait mis à mort le Sauveur, était jugé, condamné, crucifié pour Paul par cet acte même; et, quand le monde portait les yeux sur l’apôtre, il voyait un homme crucifié, mort à tout ce que le monde aime, veut et recherche; un homme que rien ne pouvait tenter dans la scène de péché, d’éloignement de Dieu et d’inimitié contre Christ, qu’il traversait; scène dont il est dit: «Le monde entier gît dans le Méchant» (1 Jean 5:19). N’est-il pas vrai, chers amis, que nous connaissons fort peu ce côté de l’affranchissement? C’est ce qui me fait dire que l’affranchissement n’est une réalité pour l’âme qu’autant qu’il est pratiqué. Un chrétien retenu dans les liens du monde politique, artistique, scientifique, du monde où l’on s’amuse ou du monde religieux, ne sera jamais un chrétien affranchi.

Paul était donc un homme libre de ce qui le retenait autrefois; il avait vu la fin de toutes ces choses à la croix; aucune d’entre elles ne pouvait revivre pour lui; elles avaient toutes reçu le coup de grâce dans le jugement qui avait atteint son Sauveur, aussi peut-il dire: «Je suis crucifié avec Christ; et je ne vis plus, moi, mais Christ vit en moi» (Gal. 2:20). Il était devenu comme une personnalité nouvelle, un nouvel homme, tout en ayant la chair en lui, mais cette dernière, il la tenait à la seule place qui lui soit due, dans la mort sur la croix.

Il est si vrai que, pour Paul, l’homme lui-même est crucifié que, dès le premier chapitre de cette épître aux Galates, il refuse de lui accorder aucune place dans son ministère. Il déclare n’être pas apôtre de la part des hommes, ni par l’homme. Il ne s’applique pas à satisfaire les hommes, ni à complaire aux hommes. Son évangile n’est pas selon l’homme; il ne l’a pas reçu de l’homme; et, s’il s’agissait même des meilleurs d’entre les apôtres, Christ n’avait point égard à l’apparence de l’homme (Gal. 1 et 2).

Revenons maintenant au premier chapitre de notre épître aux Corinthiens. Nous y trouvons un dernier côté de l’affranchissement qui dépasse encore celui dont nous venons de parler. Dieu faisait passer l’apôtre par des circonstances telles, qu’il avait en lui-même la sentence de mort, afin qu’il n’ait pas confiance en lui-même, mais en Dieu qui ressuscite les morts (v. 9). Il aurait pu n’avoir aucune confiance dans la chair, dans l’homme, dans le monde, et cependant avoir confiance en lui-même; mais quand la sentence de mort est, non pas prononcée sur lui du dehors, mais réalisée en lui-même, il ne peut avoir confiance qu’en Celui qui ressuscite les morts. À la fin de cette épître, nous apprenons que quatorze ans auparavant, c’est-à-dire au commencement de sa carrière, l’apôtre avait fait une expérience tendant au même but. Dieu l’avait transporté au troisième ciel, où il avait entendu des choses si merveilleuses qu’aucun langage humain ne saurait les reproduire; mais, quand il descendit de ces hauteurs, le danger commença. Il aurait pu s’enorgueillir et prendre confiance en lui-même. Dieu lui envoie un ange de Satan pour le souffleter, puis il lui dit: «Ma grâce te suffit». Longtemps après cette expérience, elle se renouvelle, car rien n’est plus subtil que le «moi», et il doit être continuellement tenu en échec. Ici, ce n’est plus l’ange de Satan, c’est la sentence de mort que rencontre l’apôtre et il l’a tellement réalisée, qu’à la fin de cette épître il s’écrie: «Je ne suis rien» (12:11). Où est la confiance en soi-même, quand on est souffleté par Satan, quand la sentence de mort s’exécute? On n’est plus rien! Je ne pense pas que la pratique de l’affranchissement puisse dépasser cette expérience.

La conséquence est que, si l’apôtre n’est rien, Christ est tout pour lui. Il peut dire: «Pour moi, vivre c’est Christ» et, par rapport à son ministère, Christ en est le seul objet. Lui seul a pris la place de toute autre chose dans le cœur, dans les pensées, dans l’activité de Paul. S’agit-il de ses circonstances, il dit: «Comme les souffrances du Christ abondent à notre égard» (v. 5). Ses souffrances ne sont plus les souffrances de Paul; dans sa carrière d’amour, il accomplit les souffrances du Christ, afin qu’il puisse apporter à d’autres tous les encouragements qui les accompagnent. Par la grâce de Dieu, il peut parler de lui-même comme d’un «homme en Christ» (12:2). Telle est chez l’apôtre la réalisation pratique de l’affranchissement.

Le résultat de cet affranchissement quant à son ministère, était que sa prédication avait Christ, et rien d’autre, pour sujet. Vous avez pu penser, dit-il aux Corinthiens, que je faisais preuve d’incertitude dans mes desseins, mais il n’y a pas d’incertitude en Lui, «Car autant il y a de promesses de Dieu, en lui est le oui et en lui l’amen, à la gloire de Dieu par nous» (v. 20). Oui, toutes les promesses se résument en Lui. En Gal. 3:14, le Saint Esprit est une de ces promesses. C’est en vertu de l’acceptation de Christ et de son élévation à la droite de Dieu, que la promesse de l’Esprit est devenue notre part. En Tite 1:2, il en est de même pour la vie éternelle, mais il y a encore d’autres promesses: la gloire, la justice, le pardon, l’héritage. L’apôtre ajoute: «À la gloire de Dieu par nous». Pourquoi ce par nous? Parce que, chose merveilleuse, Dieu nous a unis à Christ d’une manière si indissoluble que tout ce qui Lui appartient nous appartient aussi. La gloire de Dieu est par Christ, mais la gloire de Christ étant notre gloire, la gloire de Dieu est aussi par nous. L’héritage est à Christ, mais cet héritage nous appartient. La vie est en Christ, cette vie est à nous. Si donc Dieu est glorifié par Christ, il l’est aussi par nous.

L’apôtre ajoute: «Or celui qui nous lie fermement avec vous à Christ et qui nous a oints, c’est Dieu, qui aussi nous a scellés, et nous a donné les arrhes de l’Esprit dans nos cœurs» (v. 21, 22). C’est donc ce qui caractérise le chrétien: Il est lié fermement à Christ, fait «une même plante avec Lui». Il est oint de l’Esprit, comme Jésus l’a été, mais le Seigneur, Lui, en vertu de sa perfection comme homme, et nous, en vertu de l’œuvre qu’il a accomplie en notre faveur. Le chrétien est scellé du Saint Esprit qui lui apporte la conscience et l’entière connaissance de sa relation avec Dieu, relation dont le Seigneur jouissait lui-même comme homme ici-bas. Enfin, l’Esprit est «les arrhes de notre héritage». Nous allons entrer dans notre héritage céleste dont, par l’Esprit, nous avons déjà l’avant-goût et la certitude. Le Seigneur, Lui, y est entré avant nous, tandis que nous n’en avons que les arrhes; mais Il attend encore d’entrer dans son héritage terrestre, et nous y entrerons aussi avec Lui.

Telles étaient les choses que Paul annonçait. Il «prêchait le Fils de Dieu, Jésus Christ». Il montrait la valeur de sa personne et de son œuvre, et ce qu’elles étaient pour Dieu et pour nous. Il affirmait qu’en dehors de Christ, les chrétiens n’avaient rien, et lui ne voulait pas d’autre place. Il n’avait qu’une pensée, être trouvé en Lui, sans autre justice que celle de Dieu; il n’avait qu’un désir, celui de le connaître en traversant ce monde, et de le reproduire dans sa marche; il n’avait qu’une ambition, celle de l’atteindre dans la gloire.

Que Dieu nous donne de pouvoir dire ces mêmes choses, et de pratiquer notre affranchissement de telle sorte que nous soyons de vrais témoins de Christ dans ce monde!