1 Chroniques

Henri Rossier

Introduction

Un lecteur superficiel pourrait penser que les Chroniques sont le complément des livres de Samuel et des Rois. C’est en effet le caractère qui leur fut donné par les Juifs dès les temps anciens. Les chrétiens en ont usé de même à l’égard des trois évangiles synoptiques; ils pensent que les Évangiles de Marc et de Luc complètent la vie du Seigneur racontée par Matthieu. En réalité, les Chroniques, comme ces évangiles, présentent la pensée de Dieu sous un jour entièrement nouveau et nous montrent la royauté sous un aspect très important, que ces pages sont destinées à faire ressortir. En rapport avec ce sujet, une ou deux remarques préliminaires ne seront pas inutiles.

Nous avons insisté, dans d’autres Méditations1, sur l’origine et la portée prophétique des livres de Samuel et des Rois. Les Chroniques n’ont pas le même caractère, quoique, chose remarquable, on y voie à toute occasion l’intervention des prophètes. Les Juifs même ne les comptaient pas parmi les livres prophétiques dont la plupart des écrits historiques font partie, mais les rangeaient parmi les «Saints écrits» à la tête desquels se trouvaient les Psaumes.

1 Méditations sur les livres de Samuel et des Rois par H. R.

Tous les livres historiques, jusqu’à la fin des Rois, nous racontent l’histoire du peuple et de la royauté, jusqu’à leur ruine définitive. Ils se terminent à la captivité, d’abord d’Israël, puis de Juda, et ne dépassent pas cette époque. Les Chroniques, en revanche, Esdras et Néhémie formant leur suite immédiate, vont plus loin (comp. 2 Chroniques 36:22, 23 avec Esdras 1:1-3). Elles portent, du reste, partout la marque d’une rédaction tardive, postérieure au retour de la captivité babylonienne. Nous trouvons en diverses portions de ces livres la preuve de leur date relativement récente et plutôt subséquente au livre de Néhémie. C’est ainsi que nous y voyons la généalogie de la famille de David ne pas s’arrêter à Zorobabel, chef royal de Juda, remonté de la captivité, mais descendre après lui jusqu’à la cinquième génération, composée de Hodavia et de ses frères (chap. 3:19-24). C’est ainsi encore que nous rencontrons (3:22) Shemahia, fils de Shecania, de la troisième génération après Zorobabel qui (s’il s’agit toutefois du même personnage) remonte de Babylone en Néh. 3:29. Enfin notre livre décrit la captivité de Babylone comme un événement historique appartenant à un passé déjà éloigné (6:15).

À l’appui du fait, incontesté du reste, de la date postérieure des Chroniques, il serait facile de multiplier les citations. Bornons-nous seulement encore à quelques remarques qui la confirment: D’abord les lacunes des généalogies, dans les neuf premiers chapitres de notre livre, sont un précieux témoignage du temps où il fut écrit. Nous savons, en effet, qu’au retour de la captivité, les généalogies de Juda et de Benjamin se trouvèrent insuffisantes en bien des cas et que les membres de la famille de Lévi qui ne purent les fournir furent exclus de la sacrificature (Esdras 2:62). La comparaison de 1 Chron. 9 avec Néh. 11 peut aussi nous convaincre que certaines généalogies des Chroniques offrent de nombreuses lacunes, propres au peuple retourné de la captivité.

Ajoutons encore que nous rencontrons, dès le premier chapitre, la preuve que la prononciation de plusieurs noms était différente de la prononciation primitive. Il semble que l’on peut rapporter une bonne partie de ces différences à des changements de dialecte dus à la captivité. Toutes ces choses subsistent dans notre livre comme preuve du désarroi dans lequel était tombée cette nation coupable sur laquelle Dieu avait prononcé Lo-Ammi.

Ainsi l’Esprit de Dieu a soin de nous marquer lui-même la date approximative de ces livres.

Le but principal des Chroniques se dessinera clairement à mesure que nous avancerons dans leur étude, cependant il est nécessaire que nous y insistions dès le début.

Les Chroniques nous donnent l’histoire des rois de Juda, c’est-à-dire de la famille de David, tandis que, dans les livres des Rois, nous trouvons l’histoire des souverains qui ont dominé sur Israël. Les actes des rois de Juda n’apparaissent dans ces derniers, jusqu’à la captivité des dix tribus, que selon leurs rapports avec le royaume d’Israël; puis, une fois l’histoire des dix tribus terminée par leur transportation, le récit des Rois reprend l’exposé exclusif de la carrière des derniers souverains de Juda.

Mais la remarque la plus importante pour l’intelligence des Chroniques, a trait aux conseils de Dieu et il nous faut entrer dans quelques considérations à ce sujet:

La Parole envisage l’homme sous deux aspects: Selon sa responsabilité, ou selon la position qu’il occupe dans les conseils de Dieu, c’est-à-dire dans ses desseins éternels, avant les temps des siècles, avant qu’aucune responsabilité fût en cause.

L’Ancien Testament contient l’histoire de l’homme responsable, donnée par Dieu lui-même. Cette histoire montre que l’homme a toujours manqué à ce que Dieu attendait de lui; de chute en chute il arrive finalement à la croix où il a cloué le Fils de Dieu. Il met fin lui-même à son histoire par une révolte ouverte contre Celui qui était venu le sauver. Mais, sur cette même croix, Dieu, de son côté, termine aussi l’histoire de l’homme. Il y charge son Fils de toute notre responsabilité, jusqu’à le faire péché à notre place, afin que ses conseils de grâce envers nous puissent avoir un plein accomplissement.

En effet, c’est à la mort de Christ que les conseils de Dieu (le mystère de sa volonté, caché de tout temps en Lui) ont été mis en évidence. Là, le voile qui séparait le pécheur de Dieu a été déchiré; là, l’homme, racheté par le sang de Christ, a vu s’ouvrir un chemin jusqu’à Dieu; puis Jésus, ressuscité d’entre les morts, monté à la droite de Dieu et envoyant de là le Saint Esprit, a préparé dans sa personne une place pour l’homme dans la gloire.

Les conseils de Dieu, le mystère de sa volonté, se sont donc accomplis en Christ homme, que Dieu établira comme centre de toutes choses; mais ils ne se bornent pas à ce fait. Dieu donne à Christ, comme Chef, un corps, son complément — comme Époux, une compagne, son Assemblée — un corps qui est sa «plénitude», une compagne, chair de sa chair et os de ses os.

Ces conseils de Dieu ne pouvaient, en aucune manière, être révélés avant la croix. Tout au plus étaient-ils indiqués, en figure, par Adam, type de Celui qui devait venir, et Ève, sa compagne. Ainsi, non seulement Christ est l’objet des conseils de Dieu, mais, en Christ, nous sommes devenus les objets de ces mêmes conseils.

L’homme entre dans la gloire de Dieu, parce que l’homme, en Christ, l’a parfaitement glorifié. Le second Adam devient le chef d’une race nouvelle, sainte et irréprochable devant Dieu, digne d’occuper la gloire éternelle.

Rien de tout cela n’était révélé dans l’Ancien Testament. Et toutefois une partie des conseils de Dieu à l’égard de Christ y est mise en lumière, non la plus élevée sans doute, mais celle qui concerne la domination de la terre. C’est pourquoi il nous est dit dans l’épître aux Éphésiens (1:9, 10) que «Dieu nous a fait connaître le mystère de sa volonté... savoir de réunir en un toutes choses dans le Christ, les choses qui sont dans les cieux et celles qui sont sur la terre». Le conseil de Dieu n’était pas d’établir le premier Adam qui a failli, mais le second Adam comme chef de la création et cela, en vertu de ses souffrances. C’est parce qu’il a été fait de peu inférieur aux anges que Dieu «l’a fait dominer sur les œuvres de ses mains et a mis toutes choses sous ses pieds, les brebis et les bœufs, tous ensemble, et aussi les bêtes des champs, l’oiseau des cieux et les poissons de la mer, ce qui passe par les sentiers des mers» (Ps. 8:6-9). Il en est de même, et c’est le sujet qui va nous occuper dans les Chroniques, quant à l’établissement du royaume terrestre de Christ. Ici il n’est question, ni de l’homme glorifié, ni de Christ centre de toutes choses, ni du Chef de l’Église, ni de notre union avec Lui, mais du Fils de Dieu, racine et postérité de David, établissant son Royaume sur la terre et associant à son règne, au jour de sa puissance, un peuple de franche volonté. Lui-même est l’objet de ces conseils et les accomplira, alors que les hommes, auxquels la domination avait été confiée, ont entièrement manqué au but de Dieu.

Avant que ces desseins, quant à la royauté de Christ, s’accomplissent, Dieu, pour les faire connaître, a donné dans l’Ancien Testament, par des exemples tels que ceux de David et de Salomon, des types de ce que sera la royauté selon ses conseils. Mais comment de telles figures pourraient-elles avoir une portée absolue quand ces hommes de Dieu ont péché si grièvement dans leur carrière? Leur histoire rentre bien plutôt dans celle de l’homme et de la royauté responsables, telle que les livres de Samuel et des Rois nous la présentent. Sans doute on voit, tout du long de leur histoire, la grâce de Dieu à l’œuvre pour les discipliner, les restaurer, et rendre, malgré tout, ces hommes faillibles, capables de représenter le caractère de Christ. Dieu produit ce résultat en les façonnant par les épreuves, et c’est ce dont nous parlent les livres de Samuel et des Rois. Mais il s’agit, dans les Chroniques, non pas de nous faire connaître la grâce qui restaure et qui remédie aux fautes du croyant, placé sous sa responsabilité, mais de nous donner une vue anticipée des conseils de Dieu, et cela, autant que possible, sans les mélanger avec tout ce qui pourrait les obscurcir. C’est ce qui nous explique le caractère et la portée générale des Chroniques. Dieu y groupe les traits de la royauté future de Christ, en David et en Salomon, par exemple, sans nous cacher cependant que David, ne fut-ce que par deux fautes, car ce livre n’en signale que deux, et Salomon, même sans en mentionner une seule, ne peuvent être personnellement «Celui qui vient» et qu’il faut «en attendre un autre». Mais il résulte, de ce que nous venons de dire, que les Chroniques, pour répondre à leur but, devront taire tous les graves péchés de ces deux rois.

On pourrait nous objecter qu’après Salomon l’histoire des rois de Juda se continue dans les Chroniques et que l’on ne trouve pas, dans les récits qui suivent, quelque chose qui préfigure les conseils de Dieu quant au règne futur de Christ. Cette remarque est juste, avec la restriction, toutefois, qu’un roi pieux, dans les Chroniques comme dans les Rois, peut être un représentant de Christ; mais il faut se souvenir que Dieu, en relatant leur histoire dans les Chroniques, établit encore un autre fait, à savoir que ses conseils ont en vue Christ comme fils de David par descendance royale. Cette race de David s’est parfois affreusement corrompue, mais dans ce cas même Dieu a soin de faire ressortir, partout où la chose est possible, ce que la grâce a pu produire en ceux qui devaient être la souche du Messie, lorsque, depuis plus de deux siècles la royauté en Israël avait cessé d’exister. Ces voies de grâce ressortent particulièrement dans ce livre, au cours de l’histoire des successeurs de Salomon. Conformément au plan et au but des Chroniques, tout ce que la grâce produit dans le cœur des plus mauvais rois, tel par exemple un Manassé, y est mis en lumière, afin de montrer que la grâce envers l’homme est le seul moyen d’amener à son égard l’accomplissement des conseils de Dieu.

En résumé, les Chroniques ne nous présentent pas l’histoire de la royauté responsable, mais de la royauté selon les conseils de Dieu en grâce, conseils qui ne trouveront leur plein accomplissement que lorsque la couronne sera posée sur la tête du Christ. C’est pourquoi les Chroniques ne manquent jamais d’enregistrer les voies de Dieu en grâce pour remédier aux fautes des rois qui se succèdent sur le trône jusqu’à l’apparition du grand Roi. C’est pourquoi aussi le récit divin passe autant que possible sous silence les fautes commises. L’Esprit de Dieu omet, comme nous l’avons dit, les graves péchés de David et toutes leurs conséquences; il en est de même pour ceux de Salomon.

À ces traits caractéristiques vient s’en ajouter un autre. Les Chroniques sont absolument muettes sur la réjection et sur toutes les souffrances de David, et nous introduisent immédiatement dans les gloires qui suivent ces souffrances, preuve évidente que ce livre n’a pas, en rapport avec l’œuvre de Christ, le caractère prophétique de ceux qui l’ont précédé.

Si nous trouvons dans les Chroniques les conseils de Dieu à l’égard du Christ, dans les types de David et de Salomon, et les voies de Dieu en grâce à l’égard de la famille royale en vue de l’apparition du vrai Roi, n’oublions pas de mentionner qu’elles contiennent ces mêmes conseils à l’égard de Juda comme le peuple du Messie. Dieu nous montre que rien n’entravera le cours de ses desseins d’éternité envers ceux qui en sont les objets. Partout où le mal domine, Dieu se hâte d’introduire le bien, en sorte que, selon l’expression d’un serviteur de Dieu, «le bien produit par Lui, puisse toujours être sous ses yeux au lieu du mal produit par l’homme». Il prépare donc tout, en vue de la pleine manifestation et de la gloire future de son Oint.

Il est d’autant plus frappant de trouver dans les Chroniques le tableau de la grâce agissant dans le cœur de l’homme, que ces livres sont écrits, comme nous l’avons vu, après la ruine définitive du peuple et de la royauté. Mais quelle consolation pour le pauvre Résidu, remonté de Babylone, dans l’asservissement et le mépris, de trouver ici son histoire, écrite en ces temps désastreux par l’Esprit de Dieu lui-même et montrant à chaque page qu’aucune infidélité du peuple ne peut modifier les conseils de Dieu, ni altérer la grâce par laquelle il établira, à l’égard de son peuple, ses desseins éternels dans la personne de Christ.

Les conseils de Dieu au sujet de la royauté étant la vérité capitale de ce livre, nous y trouverons nécessairement tout ce qui se rattache d’une part à l’organisation sacerdotale, de l’autre, à l’organisation politique du peuple. En effet, le royaume selon Dieu est caractérisé par un ordre divin dans le domaine religieux et civil.

Le domaine religieux vient naturellement en premier lieu dans l’organisation du royaume selon les pensées de Dieu. Sans le culte de l’Éternel, ni la royauté ni le peuple ne pouvaient subsister; sans lui, la nation retombait au niveau des autres nations et, comme elles, devait être détruite. Le peuple d’Israël n’avait aucune raison d’être s’il ne maintenait, par le service religieux, ses rapports avec le Dieu qui l’avait choisi pour être à Lui. Du moment qu’Israël abandonnait ces rapports pour s’adonner à l’idolâtrie, Dieu l’abandonnait aussi, comme nous le voyons dans l’histoire des Juges et plus tard des Rois. Enfin ses transgressions sont devenues telles que Dieu prononça Lo-Ammi sur lui.

Il en a été de même de la royauté. Responsable de conduire et de gouverner le peuple pour Dieu, elle ne pouvait subsister sans observer le culte de l’Éternel et tout ce qui s’y rattachait. Les deux piliers des relations d’Israël avec Dieu, la royauté et la sacrificature, ne pouvaient être disjoints sans que tout le système croulât; si l’un des deux manquait, une ruine complète en était la conséquence. Avant même l’établissement de la royauté, l’alliance indissoluble entre elle et la sacrificature, se voyait dans le cas de Moïse, roi en Jeshurun, et d’Aaron, son frère; il y eut cependant ici cette différence, c’est que la royauté proprement dite étant établie, la sacrificature lui fut subordonnée, parce qu’elle avait failli à sa vocation; désormais le sacrificateur fidèle dut toujours marcher devant l’oint de l’Éternel (1 Sam. 2:35). Dans les conseils de Dieu, la royauté et la sacrificature, le gouvernement et le Culte, doivent nécessairement subsister ensemble. De là l’immense importance de tout le service du temple dans l’histoire de David et de Salomon, tels que les Chroniques nous les présentent. Et quand, après eux, nous assistons à des réveils lors de la ruine de la royauté, nous voyons toujours en premier lieu le culte rétabli, comme par exemple dans l’histoire d’Ézéchias et de Josias.

L’union des domaines civil et religieux nous est présentée dans les Chroniques comme types de son accomplissement en Christ dans un temps futur. Ces deux éléments se réuniront en Lui comme base inébranlable du royaume de Dieu sur la terre. Christ sera «sacrificateur sur son trône» (Zach. 6:13).1

1 Notons ici une fois pour toutes que, lorsque les récits de Samuel, des Rois et des Chroniques concordent d’une manière générale, nos réflexions ne portent que sur leurs divergences, les traits qu’ils ont en commun ayant été déjà considérés dans les ouvrages précédents.